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Couverture mobile : un accord très favorable aux opérateurs
L'accord sur la résorption des zones blanches et l'augmentation de la couverture en haut débit mobile noués par l'Etat, l'Arcep et les 4 opérateurs mobiles français s'avère très favorable à ces derniers, même s'il profitera aussi aux utilisateurs.
Depuis le Comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire de Limoges en juillet 2001, les opérateurs se sont à de multiples reprises engagés à résorber les zones blanches. Mais ces accords de dupes, souvent bancals, n’ont jamais été vraiment respectés (à l’exception du dernier sur la couverture des centres bourg, dont on sait tout le mal qu’en pense les habitants dans les villages ruraux).
Le sujet aurait ensuite pu être traité par la réglementation lors de l’attribution des fréquences 3G et 4G et lors du premier renouvellement des licences 2G. Mais ni l’Arcep ni le gouvernement n’ont jugé nécessaire de rendre l’élimination des zones blanches contraignantes dans les licences. Quant aux obligations de couverture et de qualité de service le moins que l’on puisse dire est qu’elles n’ont pas fait l’objet d’une définition très précise.
Pire, lorsque les opérateurs ont été en violation de leurs obligations de déploiement, aucune sanction n’a été prise par l’Arcep. La même Arcep se félicitait pourtant en 2003 d’un accord de couverture 3G censé largement résorber la question des zones blanches.
Face à un tel bilan, presque 17 ans après le CIADT de Limoges, on ne peut donc que se féliciter de ce que produira l’accord noué hier entre le gouvernement, l’Arcep et les opérateurs mobiles, qui vise à supprimer les zones blanches et à doper la couverture française en haut débit mobile.
Cela n'empêche pas de considérer que l'Etat a été généreux avec Bouygues Télécom, Free, Orange et SFR. Les concessions qu'il a effectuées en échange de l’amélioration de la couverture semblent en effet disproportionnées. D'autant qu’il était en position de force pour imposer de nouvelles obligations dans le cadre de la négociation sur le renouvellement des fréquences 3G allouées lors de l’appel d’offres UMTS initial du début des années 2000.
3 milliards d’investissements. Vraiment ?
Pour justifier un accord qualifié de gagnant-gagnant, l’État explique que les opérateurs vont investir 3 milliards additionnels. Le moins que l’on puisse dire est que ce chiffre est à prendre avec des pincettes. Ainsi, une partie de cette somme ne provient pas de nouvelles obligations, mais d’une accélération d’investissements qui auraient de toute façon dû être effectués par les opérateurs mobiles pour étendre ou moderniser leurs réseaux 3G/4G actuels ou afin de densifier leur réseau face à l’accroissement de la demande des utilisateurs. Il est à ce sujet difficile d’effectuer un chiffrage précis. L’Arcep s’évertue en effet à protéger les informations de plan d’investissement fournies par les opérateurs lors de leurs candidatures aux licences, au nom du secret des affaires.
Exemple type, la couverture des axes routiers et ferroviaires fait partie des obligations des opérateurs dans les fréquences 4G 700 et 800 MHz (mais pas en 2,6 GHz), mais elle n’aurait dû être achevée qu’entre 2022 et 2027. De même, l’ajout de nouveaux sites 4G et la modernisation d’une large partie des stations de base 2G/3G en 4G auraient de toute façon dû être réalisés par les opérateurs dans le cadre de leurs engagements de couverture – quoique sur ce dernier point l’accord étend les obligations de couverture et force à une nette accélération du calendrier.
On peut estimer qu’environ la moitié de la facture annoncée pour les opérateurs correspond à des anticipations d’investissements et que l’autre est le fruit de nouvelles obligations. En clair, sur les 250 M€/an d’investissements que devra réaliser chaque opérateur au cours des trois prochaines années, il est vraisemblable que moins de 125 M€ seront de nouvelles dépenses. Pas de quoi mettre les opérateurs sur la paille. De l’aveu même de Sébastien Soriano, le président de l’Arcep, ils ont collectivement investi près de 9 Md€ en 2016 (soit, en moyenne, 2,25 Md€ par opérateur).
Enfin, l’obligation de supporter la voix sur WiFi présentée comme un progrès pour améliorer la couverture est une plaisanterie. Tout d’abord parce que ce support est déjà une réalité chez plusieurs opérateurs et que cette technologie est une alternative économique à la fourniture de femtocells ou de picocells. La supporter est donc logique pour les opérateurs, d’autant que les smartphones modernes incorporent la technologie et que cela permet de libérer la charge des sites radio, d’abaisser les coûts de backhauling (en utilisant les liaisons DSL et fibre des abonnés) et d’améliorer la qualité de couverture « in-door » à bon compte. Bref, si les abonnées profitent de la technologie, elle bénéficie aussi aux opérateurs.
Une négociation vraiment gagnante pour les opérateurs
En échange de leurs « concessions », les opérateurs ne repartent pas les mains vides, loin s’en faut. Ils ont tout d’abord obtenu une quasi-garantie de renouvellement de 10 ans de leurs licences. Rappelons que les fréquences sont publiques et concédées aux opérateurs mobiles. Elles devraient donc logiquement faire l’objet d’une remise en concurrence à échéance de la concession.
Ensuite, les opérateurs ont négocié une garantie de stabilité de leur redevance annuelle pour les fréquences. Enfin, l’État a renoncé à recourir aux enchères pour l’attribution de nouvelles fréquences mobiles. Un cadeau important qui garantit aux opérateurs une stabilité de leur environnement pour les dix à quinze prochaines années. L’ensemble de ces mesures représente sans doute une économie proche de 3 à 4 milliards d’euros pour les opérateurs (le seul ticket d’entrée fixe pour chaque licence 3G était de 619 M€ en 2002 sans compter le coût de la non-réévaluation des redevances, etc. ) et un trou équivalent dans le budget de l’État,
Un cynique pourrait donc conclure que le scandale des zones blanches, fruit de la mauvaise volonté et de la mauvaise foi persistante des opérateurs , a finalement été utile à ses derniers pour négocier un accord fort favorable.
L’Arcep l’assure pourtant à nos confrères du Monde, « il ne s’agissait pas de faire un cadeau aux opérateurs ». Reste que l’Autorité et le gouvernement devront encore manœuvrer finement, car l’accord fera sans doute l’objet d’une analyse de la part de Bruxelles, qui s’est déjà agacé à plusieurs reprises de l’art très particulier de la réglementation à la française. À la Commission Européenne, on pourrait estimer que sous couvert d’amélioration du service aux utilisateurs et de politique industrielle, le gouvernement fait la part un peu trop belle aux opérateurs en place.