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L'UE prévoit un milliard d'euros pour la prochaine génération de HPC en Europe
Afin de rattraper son retard en matière de calcul intensif et développer son industrie du supercalcul, l'UE vient de créer EuroHPC. Ce consortium, doté d'un milliard d'euros de fonds, devra coordonner le développement et l'exploitation de 4 grands clusters, ainsi que le développement d'un écosystème industriel européen du HPC.
Dans le cadre du nouveau programme Euro HPC, l’Union Européenne va investir près d’un milliard d’euros dans le développement d’une infrastructure HPC mutualisée sur les 4 prochaines années. 486 M€ proviendront directement du budget de l’Union tandis que la solde proviendra des États membres et des États associés au programme comme la Suisse.
Le programme sera piloté par une entreprise commune baptisée EuroHPC, qui étonnamment sera basée au Luxembourg. Cette localisation surprise n’est sans doute pas liée à l’amour immodéré des 570 000 habitants du grand duché pour le calcul à haute performance. Pas plus qu’il n’est dû à l’importance de la recherche menée par le pays dans le domaine - sans vouloir insulter le LIST ou l'Université du Luxembourg.
Plus vraisemblablement, les grands pays qui contribuent à la recherche HPC en Europe n’ont pas réussi à s’entendre sur une implantation d’EuroHPC en France, en Allemagne, en Espagne ou en Italie. Ils ont donc choisi le Luxembourg comme terrain « neutre ». Cela n’a pas empêché le pays de se féliciter de ce choix et de le justifier par le fait que le Luxembourg s’impose comme une « smart nation » (sic). Il est vrai que le Luxembourg est bien connu pour ses champions de l’IT mondiale et pour son grand nombre de supercalculateurs dans le Top 500...
Développer une infrastructure HPC européenne
Euro HPC aura pour mission d’acquérir et d’exploiter deux superordinateurs pré-exascale de classe mondiale (100 petaflops et plus) et au moins deux machines de calcul intensif de milieu de gamme (offrant une capacité de l’ordre de 10 petaflops). Cette infrastructure devra être accessible à un large éventail d'utilisateurs publics et privés à partir de 2020.
En parallèle, la structure devra piloter un programme de recherche et d'innovation en matière de calcul à haute performance visant à soutenir le développement de la technologie européenne dans le domaine du calcul intensif.
Parmi les objectifs, figure la conception de la première génération de technologie européenne de microprocesseurs à faible consommation (près de 120 M€ de financements européens sont prévus dans le cadre du projet ICT-42-2017 dans le cadre de ce développement), ainsi que la conception conjointe de machines exascale. Plus généralement EuroHPC devra encourager les applications, le développement des compétences et l'usage plus général du calcul à haute performance.
Avec EuroHPC, l’UE semble enfin avoir pris conscience des racines du problème du supercalcul en Europe. Elle semble décider à s’assurer que les fonds européens profitent à la recherche et aux industriels locaux pour le développement d’architectures et de technologies de nouvelle génération. Elle souhaite aussi garantir que ces technologies seront mises en œuvre dans les systèmes mis en production.
L’objectif est ainsi de mettre fin à un paradoxe: jusqu’alors, les fonds européens étaient non seulement utilisés pour financer les recherches d’acteurs non européens, mais aussi pour l’achat de leurs systèmes.
En l’état, Atos-Bull semble bien placé pour profiter des largesses d’Euro HPC. Le constructeur est le principal fournisseur de supercalculateurs en France et il a aussi réussi à percer en Allemagne et en Espagne (où il collabore au programme de recherche et de développement d’un supercalculateur à base de puces ARM). Il est vrai que le constructeur est aujourd’hui le dernier acteur européen de taille crédible dans le secteur.
L'entreprise commune EuroHPC exercera ses activités durant la période 2019-2026. L'infrastructure prévue sera détenue et exploitée conjointement par ses membres qui seront, dans un premier temps, les pays ayant signé la déclaration EuroHPC (la France, l'Allemagne, l'Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, le Portugal et l'Espagne, rejoints ensuite par la Belgique, la Slovénie, la Bulgarie, la Suisse, la Grèce et la Croatie) et des membres privés issus du milieu des universités et des entreprises. D'autres membres pourront se joindre à cette coopération à tout moment, moyennant leur contribution financière.
Mettre un terme à la fragmentation de l’écosystème HPC européen
Le constat de l’Union est que l’écosystème HPC européen est bien trop fragile et trop fragmenté pour répondre aux besoins des chercheurs et des industriels européens et qu’il ne fait pas le poids face aux efforts des Américains et des Chinois.
Pour l’instant, chaque pays mène sa propre politique (même si des programmes comme PRACE ont aidé à la collaboration) et chacun définit ses règles d’approvisionnements, ses choix technologiques et ses modalités d’accès aux ressources disponibles. Le résultat est qu’aucun acteur européen crédible n’est de taille à l’échelle mondiale et que les besoins sont largement insatisfaits. Quelques chiffres compilés par Bruxelles font ainsi froid dans le dos.
En 2014, 81,2% de tous les systèmes HPC européens ont été achetés à des fournisseurs américains. Le seul constructeur européen d’une certaine taille, Atos-Bull, n’a représenté que 3 à 6 % de la dépense européennes en serveurs HPC entre 2014 et 2016.
L’UE a semble-t-il été naïve en ouvrant ses frontières et en jouant le jeu de la concurrence internationale alors que les Américains et les Chinois finançaient abondamment leurs champions nationaux tout en privilégiant l’achat de technologies nationales. L’Europe consommerait ainsi environ 29% des ressources HPC mondiales, mais n’en produirait que 5%.
Les universitaires français consomment plus de HPC aux États-Unis qu'en Europe
Plus grave si l’Union n’a pas d’industrie informatique à même de produire ses clusters, elle n’a pas non plus les meilleurs systèmes. Aucun supercalculateur de l’UE ne figure dans le Top 10 et le premier cluster européen, le Suisse Piz Daint, classé n°3, est fabriqué par Cray ).Et pire encore les supercalculateurs disponibles ne satisfont pas la demande.
Du fait du manque d’infrastructures sur le vieux continent et/ou de la difficulté d’accès aux ressources disponibles, les universitaires européens consomment ainsi plus de ressources HPC aux États-Unis dans le cadre du programme ASCR (Advanced Scientific Computing Research ) que dans le cadre du programme européen PRACE. En 2016, seuls 60 projets ont ainsi pu avoir accès aux ressources PRACE, alors que 921 projets européens ont utilisé des ressources américaines dans le cadre d’ASCR. Et même dans les 4 pays hébergeant des supercalculateurs du programme PRACE (Allemagne, Espagne, France, Italie), plus d’utilisateurs ont consommé des ressources ASCR que des ressources PRACE.