Entreprises françaises : la culture Open Source infuse progressivement
L’Open Source est perçue par les entreprises comme un turbo pour l’innovation et la transition des modèles économiques vers le numérique. Son modèle et sa culture perce dans les grands comptes français. De quoi donner un élan européen à l’Hexagone, qui devient le champion du genre, devant le Royaume-Uni et l’Allemagne.
Les entreprises françaises s’approprient l’Open Source et entraînent dans leur sillage la croissance de la filière. Désormais, lorsqu’on abordera la croissance de l’Open Source en France, il ne faudra plus uniquement considérer le secteur public comme moteur. Il faudra aussi y inclure les entreprises. Alors que l’ensemble de l’écosystème français s’est réuni cette semaine à Paris, à l’occasion du Paris Open Source Summit 2017, une étude de Pierre Audoin Consultants a montré à quel point les industriels et les grands comptes avaient contribué à placer la France au rang de 1er pays européen dans le domaine.
L’Open Source hexagonale présente le taux de pénétration du marché global des logiciels et services IT (45 Md€ en 2017, + 4,1% en un an) le plus élevé en Europe, soit 9 ,9%. Devant le Royaume-Uni (6,5%) et l’Allemagne (6,4%). La France représente 23% du marché européen de l’Open Source.
En 2017, le secteur pèse 4,462 milliards d’euros dans le pays, en croissance de 8% en un an. La croissance se tasse, constate Philippe Montargès, co-président du CNLL (Conseil National du Logiciel Libre) et co-fondateur de l’ESN AlterWay, mais cela montre une forme de maturité du marché. D’autant que jusqu’en 2021, l’Open Source en France doit connaître une progression moyenne de 8,1% par an pour peser à cette date 6,1 milliards d’euros.
Ce marché doit en grande partie sa progression aux entreprises. Syntec Numérique et Cigref sont en accord sur la question. L’Open Source s’installe progressivement dans le privé, mais aussi – et c'est une avancée majeure, quoiqu’encore perfectible - il y infuse ses spécificités et sa culture.
« L’Open Source est de plus en plus en plus le nerf de la guerre », lance Godefroy de Bentzmann, président de Syntec Numérique et Pdg / co-fondateur de l’ESN Devoteam. Il note lui-aussi une activité soutenue des membres du syndicat professionnel (éditeurs et ESN) en la matière. D’ailleurs, 88% des membres de Syntec Numérique affirment que le code ouvert fait partie des outils clés pour bâtir leurs offres.
Jusqu’alors, les entreprises étaient assez timides, reprend Bernard Duverneuil, DSI d’Essilor, et actuel président du Cigref, le club informatique des grandes entreprises françaises. Il note un « virage assez sensible des grands groupes vers l’Open Source ». Parmi les critères, la réduction des coûts est encore présente. Mais selon lui, l’Open Source est aussi de plus en plus considéré comme une « alternative aux grands éditeurs ».
« Nos entreprises membres se posent la question de l’indépendance. Cela nous permet de réfléchir aux alternatives. Et l’Open Source est une vraie piste », explique-t-il de façon nuancée.
Le « booster » de l’innovation et transformation
Toutefois, s’il est un critère qui favorise l’adoption de l’Open Source dans les grandes entreprises en France, c’est bien celui de l’innovation. Le secteur industriel placent désormais l’Open Source et ses méthodes au cœur de ses stratégies de transformation numérique. Les logiciels à code ouvert s’installent à la table des relais de croissance de l’ensemble d’un secteur qui cherche à se transformer, souvent radicalement.
« On ne picore plus seulement pour trouver une alternative, on le considère comme un investissement », lance Bernard Duverneuil. Comme le moteur d’un changement à grande échelle.
Le fait que l’Open Source soit un pilier de la transformation numérique se traduit concrètement à deux reprises dans l’étude PAC.
Primo, les métiers et les directions générales prennent part aux débats. Parce que la transformation numérique place l’IT au cœur des activités de l’entreprise, l’Open Source y joue un rôle et les populations « non –IT » l’ont compris. « C'est un changement notable », précise le cabinet d’analystes. Les membres de la DSI d’un côté, et les DG et métiers de l’autre deviennent les interlocuteurs privilégiés en matière d’Open Source, de façon égale. Cet élargissement de la cible tire inévitablement la croissance du secteur vers le haut – une partie des budgets y sont en effet concentrés.
Cependant, note PAC, « les domaines forts du logiciel libre – développement, middleware, infrastructure – restent très techniques, ce qui explique la prédominance de ce type d’interlocuteur (l’IT donc, NDLR) ».
Secundo, « l’investissement en R&D, financier ou en nombre de personnes, illustre la volonté des entreprises d’avancer vers l’Open Source ». Elles sont 26% à affirmer dédier plus de 25% de leur chiffre d’affaires à la R&D dans des projets Open Source - même si les équipes dédiés à cette R&D spécifiquement restent réduites. Elles réunissent moins de 5 personnes pour 47% des répondants.
Le démarrage de la contribution
Néanmoins, un certain « basculement » est nécessaire, pour reprendre les propos de Bernard Duverneuil. Ce basculement, c’est celui du changement culturel.
La contribution par exemple représente l’un des poumons de la mécanique Open Source. Les entreprises ont compris ce levier de l’Open Source et comment il pouvait contribuer à activer dans leur stratégie d’innovation. Mais elles sont encore fragiles lorsqu’il s’agit de reverser les fruits de leurs travaux à une ou plusieurs communautés.
L’étude de PAC montre toutefois une avancée. Sur la base des utilisateurs répondants, 27% considèrent que leur entreprise encourage la participation à la contribution (12% sont « tout à fait d’accord » avec cette notion d’encouragement, 15% « plutôt d’accord »). Mais au final, seulement 6% admettent être véritablement actifs envers les communautés (11% sont « plutôt d’accord »).
« La contribution a démarré récemment. Jusqu’alors, réduire les coûts et éviter le verrou-vendeur étaient les deux motivations. L’appartenance à une communauté est venue après, mais ce n’était pas déterminant. Cela s’installe progressivement », constate le Président du Cigref.
Société Générale
A l’occasion de l’édition 2017 du Paris Open Source Summit, certaines entreprises ont confirmé cet engagement dans les valeurs de l’Open Source. La Société Générale par exemple a calé sa stratégie de transformation numérique sur celle de son adoption de l’Open Source. En interne, tous les nouveaux projets démarrent avec l’Open Source. Son parc IT est donc en voie de conversion.
Cecid dit, l'approche de la baqnue n’est pas uniquement technologique ; elle est également culturelle. « On est convaincu qu’avec l’Open Source, on sera plus ouvert et plus innovant », ascène Alain Voiment, le Deputy CTO de la Société Générale. Qualifiant la contribution « d’essentielle », la banque travaille à structurer en interne cette participation avec les communautés, et elle autorise donc les collaborateurs à contribuer.
L’autre facteur clef est celui de l’attractivité. La Société Générale a mis en place un programme pour faire évoluer les compétences en interne vers l’Open Source et ses pratiques. Elle pense surtout que cela va devenir un « facteur déterminant dans les années à venir » en matière de recrutement. En clair, l’étincelle qui attirera les développeurs.
Et des grands groupes
Dans sa démarche, la banque a aussi décidé de miser sur la co-création et le co-développement. Le thème commence d’ailleurs à se faire entendre chez les grandes entreprises en France – et il ne s’agit pas de start-up. Certaines d’entre elles, (dont la Société Générale, la SNCF, Air France, la Maif et Carrefour – elles sont aujourd’hui une vingtaine) se sont réunies au sein de la communauté PostgreSQL France pour donner naissance à un groupe de travail inter-entreprises, dont la vocation est de peser de tout leur poids sur cette base de données concurrente d’Oracle.
Ensemble, elles mutualisent leurs ressources, financières ou humaines, pour faire éclore des projets de développement ou promouvoir PostgreSQL.
C’est aussi ce que prône le projet Tosit. Cette association créée en juillet dernier s’est fixée pour mission de fédérer des entreprises afin de travailler en commun et de mutualiser besoins et ressources autour de projets Open Source. Tosit (EDF, Orange et la SNCF en sont membres) a par exemple débuté des travaux sur la cyber-sécurité.
Formation et recrutement : des freins à la croissance
Reste que cette adoption de l’Open Source par les entreprises les pousse également à ré-internaliser leur SI pour reprendre la main sur leur IT, ce qui est l’une des motivations de l’Open Source.
Cette popularité grandissante accentue l’une des bêtes noires de la filière Open Source en France : le recrutement et les compétences. Aujourd’hui la filière emploie 45 000 personnes. 4 000 emplois supplémentaires seront créés par an jusqu’en 2021 pour répondre à cette croissance – des développeurs à 34% suivis d’architectes / consultants (21%) et des administrateurs systèmes (15%).
L’une des principales difficultés, qui est d’ailleurs celle de l’ensemble du marché IT en France, est et restera donc la formation et le recrutement. « La croissance de l’Open Source est comme bloquée par le manque de compétences », regrète Godfroy de Bentzmann, le président de Syntec Numérique. S’agirait-il de multiplier les initiatives en ce sens, comme l'Open Source School ?