Oracle France tend officiellement la main au Cigref
Gérald Karsenti, nouveau Directeur Général de la filiale, dit « comprendre la frustration » de l'association. Il promet le dialogue, la coopération et de nouvelles relations commerciales. Tout en défendant les équipes précédentes et les audits.
Cela fait pile deux mois que le nouveau responsable de la filiale française d'Oracle, Gérald Karsenti, a pris ses fonctions. À l'occasion du Oracle Cloud Day de Paris, il est revenu - comme il avait fait lors de l'Open Word 2017 à San Francisco - sur les conditions de son arrivée et sur sa mission de pacificateur.
Sa tâche principale, même si il ne le dit pas en ces termes, sera de redorer l'image de l'éditeur dans le pays.
Les stratégies commerciales, jugées souvent agressives (tout comme l'usage souvent coercitif des audits), ont en effet détérioré, année après année, la renommée du géant du logiciel et des bases de données.
Venu de HP, Gérald Karsenti a une réputation différente. Vendeur dans l'âme, son credo est de mettre le client au centre des préoccupations.
« Je n’entends pas mener la politique commerciale d’Oracle demain, comme elle a été faite hier », lâche-t-il tout en prenant soin de ne pas dénigrer ses prédécesseurs. Il justifie cette évolution par le fait que « le monde de demain [NDR : celui du Cloud] demande une autre approche ».
Lors de l'événement parisien, le nouveau responsable de la filiale France n'a cessé de le marteler. « Je veux que l’on sente bien que Oracle arrive avec un plan différent [...] même si c'était déjà le cas, le client devient la clef de voute de tout ce que nous faisons ». Il souligne encore cette nouvelle philosophie lorsqu'il explique ce qu'est, à ses yeux, le "business". « Je veux gagner, mais je veux aussi que le client gagne deux ou trois fois ce que je gagne ».
Pour beaucoup d'observateurs, cette évolution de mentalité ressemble plus à un changement radical pour Oracle. Mais Gérald Karsenty prend beaucoup de pincettes pour ne pas faire passer "l'ancien" Oracle, celui d'avant son arrivée, pour une machine qui, une fois qu'elle avait fait signer un contrat (standard et non négociable), pouvait devenir impitoyable envers ses clients captifs.
D'autres, en revanche, n'ont pas pris ces précautions oratoires. Et pour cause, ils sont clients d'Oracle de longue date et se sont affranchis de leurs réserves habituelles. En juillet (avant l'arrivée de Gérald Karsenty donc), le CIGREF avait ainsi mis son différend avec Oracle sur la place publique.
En substance, la lettre ouverte du club informatique des grandes entreprises françaises dénonçait « la dégradation [depuis une dizaine d'années] de la qualité des échanges et des services de ce fournisseur, en France et en Europe » et « des comportements commerciaux inadmissibles » (sic).
Résultat, le Cigref - menaçant - mettait en avant que 50 % de ses décideurs travaillaient activement sur une stratégie de sortie d’Oracle.
En réponse à ce brulot - dont il n'est pas la cible - Gérald Karsenti a déclaré à l'Oracle Cloud Day Paris qu'il comprenait ces réactions.
« Il ne s'agit pas d'une mise en demeure », nuance-t-il d'abord en réponse à une question de la presse française. « C'est l'expression d'une frustration. Dans une relation commerciale, il faut deux gagnants. Les membres du Cigref veulent avoir de gens en face pour dialoguer. Et je vais le faire », promet-il publiquement.
On peut d'ailleurs supposer que le nouveau dirigeant a été nommé à cette position justement pour son profil de négociateur, pour sa réputation d'homme de dialogue et pour son carnet d'adresses bien fourni. « Je les connais tous [NDR : les membres du Cigref] et ils me connaissent. Certains m’ont déjà contacté », confie-t-il.
Pour calmer la colère qui gronde, l'ex-président de HP France s'engage concrètement à « proposer des groupes de réflexions au Cigref en collaboration avec des personnes d'Oracle » pour que l'association puisse contribuer activement à la résolution du différent. « Je souhaite vraiment arriver à une meilleure compréhension ».
Mais, le Directeur Général d'Oracle France prévient. Il n'y aura pas de contrats localisés, ni de réponses globales et générales. « Chaque cas est particulier. Je vais traiter client par client. Je suis un commercial ».
Pas question non plus de mettre fin aux audits. Celles-ci font partie intégrante de la relation entre un fournisseur IT et un client pour s'assurer que le vendeur n'est pas lésé. Simplement, « l’audit ne doit pas être un business » concède volontiers le DG, avant de tempérer les critiques sur ce point : « vous savez, ici, 99% des problèmes se règlent par une négociation. Je n’ai pas un service contentieux de cent personnes ».
Le ton se veut donc conciliant, voir bienveillant, mais ferme à la fois. Gérald Karsenti ne peut en effet pas s'affranchir des procédures internes d'Oracle (et de ses contrats types).
Plusieurs utilisateurs, partenaires et anciens de la maison Oracle se demandent même, indépendamment de sa volonté affichée d'avoir des « clients satisfaits » - une volonté jugée unanimement sincère par tous ceux que nous avons croisés - si Gérald Karsenti aura suffisamment de marge de manoeuvre par rapport à la Corp.
L'avenir le dira. En attendant, le DG tend officiellement et franchement la main au Cigref. « Je veux les écouter tous, et trouver un accord. C'est comme dans une famille. Des fois, il y a des choses qui ne vont pas. C'est partout pareil. C'est la vie. Mais il faut aller de l'avant. On met tout sur la table et on perce l’abcès », compare-t-il. « Il y a tellement d’intérêts en commun ».
Dans cette reconquête, difficile (comme d'ailleurs pour SAP), Gérald Karsenti possède une autre carte majeure en main. Il ne la montre pas de manière ostentatoire. Mais elle existe. Il est nouveau chez Oracle. Et « la plupart du comité de direction n’a pas participé à l’équipe précédente », souffle-t-il discrètement, sans que personne ne relève vraiment le message. Le Cigref, lui, l'aura certainement bien noté.