Pour ses 50 ans, l'INRIA fait le vœu de préserver une « vision ouverte » de l'informatique
Deux ministres ont fait le déplacement au CentQuatre à Paris pour fêter le symbole de la recherche française en informatique et preuve vivante qu'il est possible de construire des ponts solides entre recherche académique et industrie appliquée.
C’est lorsque les Etats-Unis refusent de vendre au CEA un CDC 3600 - le meilleur supercalculateur de l’époque - que le général de Gaulle lance le plan calcul qui va conduire à la création de l'IRIA (Institut de recherche en informatique et en automatique). Comme s’en amuse aujourd’hui Alain Bensoussan qui fut PDG de l’Inria de 1984 à 1996 : « il y a 50 ans, le Général de Gaulle a lancé ce plan pour doter la France d’une filière informatique. L’IRIA était un élément du plan calcul, pas le plus fondamental, et pourtant le seul qui fut un succès ! ».
Créé en 1967 à Rocquencourt, l’INRIA a connu depuis plusieurs mues. Au fil des gouvernements et des révolutions technologiques, il a su traverser le temps, notamment grâce à une organisation mise en place par Jacques-Louis Lions. PDG de 1979 à 1983 celui-ci a structuré l’institut autour de la notion d’équipes de recherche et non pas de départements comme c'était l'usage.
Depuis sa création, l’IRIA a connu différents phases de développement, avec des phases de croissance forte, de décentralisation, d’internationalisation. Il a aussi connu quelques revers, notamment lorsque l'IRIA est coupée en deux par le gouvernement de Raymond Barre afin de créer l'Agence de l'Informatique et reléguer la recherche, ce qui allait devenir l'INRIA, à Sophia Antipolis.
Autre échec cuisant avec le recul, celui de Cyclades, cet ancêtre d’Internet créé dès 1972 et arrêté en 1978 pour faire la place à X.25 et assurer l’éphémère succès national du Minitel.
Un institut a mi-chemin entre recherche pure et industrie
Aujourd'hui, l'INRIA représente 2400 personnes dans 8 centres de recherche auxquelles viennent s'en ajouter plus 1800 chez les partenaires. Outre son organisation qui lui a permis de traverser le temps et les turbulences, l'INRIA peut se targuer d'avoir su créer un lien avec l'industrie du logiciel et le monde des startups.
Antoine Petit, l'actuel PDG de l'INRIA souligne que : « l'INRIA a généré 150 spin off dont Ilog, Kelkoo, Esterel Technologies, Trusted Logic ou encore Chorus Systems ou, plus récemment Hikob, Golaem, TeraPixel, ou iExec. Beaucoup ont été créées grâce aux dispositifs que nous avons mis en place : INRIA Transfert, puis IT-Translation. »
Cette dernière est spécialisée dans ce que l'on appelle l'ultra amorçage, c'est à dire un soutien apporté au chercheur afin de l'aider à formaliser son projet avant l'aller voir les fonds d'amorçage. Le président du directoire de cette structure, Laurent Kott, a profité de l'événement pour annoncer un partenariat avec le fond Elaia Partners.
En parallèle à cette politique d'accompagnement des spin-off, Antoine Petit a rappelé que l'INRIA a noué de multiples partenariats avec plusieurs grands groupes internationaux tels que Nokia, Microsoft, Facebook, Fujitsu, Samsung ainsi qu'avec des groupes français comme Orange, EDF, Safran et Qwant, ou européens comme Airbus.
Face à ce constat, Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l'Innovation a souligné le poids de l'Inria sur le secteur informatique français : « l'INRIA a fortement contribuée au fait que l'informatique est devenue une science reconnue en France. Sa devise "L'excellence scientifique au service du transfert et de la société" s'est concrétisée au fil des années. La volonté politique qui a présidé à sa création s'enracine dans le monde économique avant même sa naissance, le positionnant à l'avant-garde dans les relations entre les organismes publics et l'entreprise. Le plan calcul dont il émane vise à garantir l'autonomie de la France en la dotant d'une industrie informatique performante, même si cet objectif, avec le recul de ces 50 années, est encore perfectible. Il nous manque encore un ou deux Google, Apple ou Amazon pour transformer l'essai. »
Un catalogue logiciel impressionnant
Si aucun géant du net n'a émergé du plan calcul, l'INRIA peut néanmoins s'enorgueillir d'avoir développé de nombreux logiciels en pointe dans leurs domaines. Antoine Petit a par exemple cité le langage Caml, l'assistant de preuve Coq, le framework de simulation Sofa ou encore Scikit-learn.
Le catalogue d'applications développées par les chercheurs de l'INRIA - et disponible en Open Source ou commercialisé via des startups - est au final assez impressionnant que ce soit dans les outils dédiés aux langages informatiques, que dans le monde de la simulation. Dans ces domaines, l'expertise de l'Inria est reconnue au niveau mondial et a participé très directement aux performances des avions conçus par Dassault Aviation.
De l'importance de la sciences
Mais cette expertise a pourtant bien failli disparaitre comme l'a révélé Bernard Larrouturou, PDG de l'INRIA de 1996 à 2003. « En 1999, quand nous travaillions sur le deuxième projet stratégique, lors de la première réunion avec des acteurs extérieurs, le message était de tout miser sur Internet, d'arrêter les travaux sur la modélisation. Avoir gardé l'ensemble des sciences du numérique en y incluant les maths appliquées et des pans tels que les réseaux ou la data [a permis de conserver] une vision ouverte et cette capacité d'arriver à des applications dans l'industrie. Il faut conserver cette ouverture. »
Cette analyse sur l'importance de la science est partagée par Alain Bensoussan. « On a beaucoup parlé de la société digitale sous tous ses aspects, dont l'intelligence artificielle. On a aussi beaucoup parlé des conséquences sur la société en termes d'emploi, d'éthique. Mais je voudrais insister sur l'importance de la composante scientifique. Je sens une très forte exaltation qui résulte de la pression de la Silicon Valley et des grands groupes qui sont basés là-bas, mais je voudrais que l'INRIA apporte une vision scientifique et sereine. Pour moi, l'intelligence artificielle, les énormes quantités de données, la puissance actuelle des ordinateurs sont incroyables. Mais ils doivent rester des outils au service de la science. Il ne faut pas réduire le rôle de la science et, comme certains l'évoquent, se passer de l'approche traditionnelle de la science. Ce serait une erreur et sur ce plan l'INRIA doit tenir le rôle du sage. »
Faire avancer la recherche informatique tout en veillant à ce que cette recherche puisse générer des innovations et, au final, des produits, c'est le point d'équilibre que tient l'INRIA depuis 50 ans.