Microsoft entre dans la course à l'informatique quantique
Après près de quinze ans de recherches, l'éditeur a profité de sa conférence Ignite pour level le voile sur sa stratégie en matière d'informatique quantique. Outre un ordinateur quantique, l'éditeur travaille sur un simulateur, un compilateur et un langage. Les premiers fruits de ses travaux seront mis à disposition à la fin de l'année 2017.
En matière d’informatique quantique, Microsoft trace son propre chemin depuis près de 15 ans. Au début des années 2000, la firme a fait un pari qui rétrospectivement peut paraître insensé.
Elle a fondé son programme de recherche sur l’informatique quantique sur une quasi-particule, dont l’existence a été théorisée en 1937, mais que jusqu’alors personne n’avait réussi à prouver, le fermion de Majorana. Ce pari est en train de payer, la firme étant sur le point d’assembler son premier ordinateur quantique et se préparant en parallèle à dévoiler un simulateur, un langage et un compilateur pour tirer parti de son architecture.
Les travaux de Microsoft s’appuient sur un fermion théorisé par le physicien italien Ettore Majorana, qui est à la fois une particule et sa propre antiparticule. Sa charge et son énergie sont nulles. Il a été pour la première fois observé à l’université de Delft en 2012 et son existence a été séparément prouvée par des travaux menés par des équipes des universités de Princeton et Cambridge (en 2014 et 2016). Il est aujourd’hui largement maîtrisé par les équipes de Microsoft.
Le pari de l'informatique quantique topologique pour bâtir un ordinateur quantique à grande échelle
L’éditeur a fait le pari qu’il était possible de créer des Qubits à partir des interactions entre deux fermions de Majorana. Une approche que Microsoft baptise informatique quantique topologique (théorisée par Michael Friedman, lauréat de la médaille Fields et chercheur chez Microsoft Research).
Comme l’explique Bernard Oughanlian, le directeur technique de Microsoft France, "le problème est qu’il est difficile d’assembler un ordinateur avec de multiples Qubit. La moindre perturbation de l’environnement peut en effet se traduire par une décohérence quantique, qui fait s’effondrer le système".
Si Microsoft a parié sur le fermion de Majorana c’est parce que les Qubit qu’il permet d’assembler ont une plus grande stabilité (environ 1 minute, contre 10 milliards de fois moins pour les autres approches) et sont moins sensibles aux perturbations externes, ce qui permet de faciliter l’observation et de réduire les erreurs. Dans la pratique, il faut donc bien moins de Qubit physiques pour produire un Qubit logique (environ 10 000 fois moins de QuBit physiques que dans une approche concurrente, indique Microsoft). Il est aussi plus simple, selon l’éditeur, d’assembler des ordinateurs avec un grand nombre de Qubit.
Or l’intérêt d’un ordinateur quantique est que sa performance double avec le nombre de QuBit, ce qui permet d’atteindre des niveaux de performances sans commune mesure avec ceux d’un ordinateur traditionnel. En théorie, il serait ainsi possible de casser une clé RSA 2018 bit en 100s avec un ordinateur quantique à 100 Qubit.
Un ordinateur quantique, un simulateur et un langage en cours de développement
Au sein de ses laboratoires, Microsoft a déjà produit des « puces » quantiques et travaille à la construction d’un ordinateur à trois étages. Le premier, fonctionnant à -273 °C (proche du 0 °Kelvin) est celui où opèrent les Qubits. Le second étage, cryogénique (à -269 °C), est celui où fonctionne l’ordinateur chargé d’observer et de manipuler les Qubit. Le dernier est constitué d’un ordinateur traditionnel, fonctionnant à température ambiante, qui héberge un OS standard et utilise les deux étages sous-jacents comme un accélérateur pour l’exécution de code optimisé pour l’informatique quantique.
Pour ce dernier étage, Microsoft a conçu un langage optimisé (dont le nom sera dévoilé plus tard) ainsi qu’un compilateur. La firme a aussi en parallèle développé un simulateur quantique pouvant simuler jusqu’à 40 Qubit. Ce simulateur — de même que les outils logiciels de la firme, dont le langage — sera disponible en fin d’année pour stations de travail (avec un maximum de 30 Qubit) et sur Azure. L’atout du simulateur cloud est qu’il simulera 40 Qubit (ce qui est impossible sur un simple ordinateur, car il faut 16 To de mémoire vive, la quantité de mémoire nécessaire augmentant d’un facteur deux avec chaque Qubit additionnel)
Au vu de la complexité du système, l’objectif de Microsoft n’est pas de produire en quantité industrielle des ordinateurs quantiques, mais dans un premier temps d’héberger un certain nombre d’entre eux sur son cloud Azure et de les mettre à disposition de ses clients. L’éditeur ne fournit pas de date de disponibilité, mais indique qu’il n’est plus très loin de son objectif. « Nous sommes bien plus près que vous ne le pensez » a ainsi indiqué Krysta Svore lors d’une session sur l’informatique quantique à Ignite, « nous sommes déjà en train de concevoir ces systèmes et nous travaillons sur le logiciel ». Comme le confirme Bernard Oughanlian, « on ne parle pas de 2025, mais de bien plus tôt ».
Microsoft évoque des applications très pratiques pour son ordinateur quantique notamment en matière de science des matériaux, de chimie, de compréhension du vivant ou de machine learning. La firme ne se cache pas non plus des implications de l’émergence de la technologie pour la sécurité. Ses recherches menacent en effet l’ensemble de l’édifice moderne en matière de cryptographie. Il s’agit aussi sans doute d’une des raisons pour lesquelles Microsoft a limité ses coopérations industrielles et de recherche sur le domaine aux pays occidentaux.
Voir le Keynote de Satya Nadela à Ignite (à partir de la 56e minute pour la partie sur l'informatique quantique)