Vente de la Flash de Toshiba : le roman d'une bataille d’enchères sur fond de pénurie

Foxconn, Broadcom, Western Digital et SK Hynix se livrent un combat impitoyable pour récupérer un des bijoux du samouraï blessé. Apple, SoftBank (ARM), Silver Lake Partners (Cegid) et le gouvernement japonais font irruption dans ce western IT moderne.

Il y a des lois économiques immuables. Si la demande est forte et l’offre faible, les prix explosent. Le cas de la cession en cours de la division mémoire de Toshiba illustre ce principe à merveille. Pour combler des pertes de plus de 8 milliards de dollars et juguler ses mauvais investissements dans le nucléaire américain avec Westinghouse, le géant industriel japonais (63 milliards de dollars de CA) a dû se résoudre à mettre en vente un de ses plus beaux actifs : sa division mémoire et Flash.

Il n’était en effet pas  pas question de toucher aux activités industrielles historiques ni de se débarasser , aux téléviseurs et à l’équipement grand public. 

La ruée vers la Flash

Toshiba espérait à l'origine tirer 8 à 9 milliards de dollars de la vente de cette division, mais les enchères se sont envolées. Et pour cause, la flash NAND est partout : smartphones, tablettes, PC portables, serveurs et - évidemment – dans le stockage.

Et surtout, la production n'est plus suffisante au niveau mondial pour faire face à la demande. HPE a ainsi mis en cause la pénurie de NAND Flash pour justifier le ralentissement de ses ventes de systèmes de stockage. Dell-EMC a admis faire face à des retards de livraison sur certains systèmes à base de Flash du fait de contraintes d'approvisionnement sur les SSD.

Or, Toshiba c’est en tout 38% de la production de tranches de Flash NAND de la planète. Avec son usine japonaise, le keiretsu est leader du marché, devant le Coréen Samsung. Et ouvrir des usines coute cher, très cher même. La prochaine grande unité de production qui devrait entrer en service en Chine avec l'appui de Pékin, coutera la bagatelle de 24 milliards de dollars à son promoteur, TsingHua UniGroup (qui avait du renoncer à racheter Micron puis à investir dans Western Digital du fait de la méfiance des autorités américaines).

On comprend mieux – sur un marché fini – l’intérêt pour Western Digital, Apple, Google, Foxconn ou Broadcom qu’il y a à se battre pour emporter l’enchère lancée par Toshiba.

Et pour quelques dollars de plus

Les offres sont évidemment confidentielles. Mais les fuites de « proches du dossier » indiquaient ce jeudi – selon Reuters - que Broadcom (épaulé par le fonds Silver Lake Partners) aurait proposé le plus haut prix lors du premier tour d’enchères avec 21,5 milliards d'euros (2500 milliards de Yens), devant le chinois Foxconn (et fournisseur d’Apple) qui serait prêt à payer 17,2 milliards d'euros (environ 2000 milliards de Yens). C'est plus de deux fois le prix initial espéré par Toshiba.

Mieux – ou pire – une autre source (Bloomberg) croit savoir que Foxconn envisagerait de monter à près de 25,9 milliards d'euros (3.000 milliards de yen).

Alors que le deuxième tour d’enchères n’a pas encore commencé, les grandes manoeuvres ont déjà débuté. Il reste aujourd’hui quatre concurrents : Broadcom et Foxconn, accompagnés de Western Digital et de SK Hynix.

Western Digital, depuis son rachat de SanDisk, est un allié stratégique de Toshiba. En échange du financement de la moitié des investissements dans les lignes de fabrication de l'alliance, WD achète à prix coûtant près de la moitié de la production du complexe de fabrication de NAND du japonais, à Yokkaichi. La cession par Toshiba de ses activités NAND à un tiers constitue donc un risque industriel majeur pour Western Digital.

Le coréen SK Hynix, lui, est le numéro 4 du marché avec 14% de la production mondiale de la Flash NAND derrière Toshiba, Samsung  et Micron. Samsung produit déjà 29% des tranches NAND mondiales et n'est pas intéressé par une vente qui le placerait en position beaucoup trop dominante psur le marché. Micron, qui contrôle 18% de la production mondiale, est quant à lui allié avec Intel, et n'a sans doute pas les reins financiers suffisamment solides pour s’aligner dans la course). 

Règlement de comptes à OK Corral

Premier à attaquer ce deuxième tour, Western Digital a contesté dès mercredi le projet de vente. La vente à un tiers sans son aval constituerait « une violation très grave des accords de coentreprise », selon une lettre adressée au groupe japonais que Reuters a pu consulter. En clair, le californien montre ses biceps juridiques - même s’il ne parle pas d’action en justice (pas encore) ? - pour pousser à des négociations exclusives.

Début mars, une autre source de Reuters, indiquait que le gouvernement japonais considérait la division « mémoire, puces et flash » comme un actif stratégique pour la sécurité nationale. Dit autrement, pas question que le vainqueur des enchères soit un « ennemi » diplomatique du Japon. Or dans la région, ses relations avec la Corée sont plutôt fraiches, et celles avec la Chine quasiment glaciales.

Pour ne pas faire les frais d’un veto, Foxconn a multiplié les pourparlers. Apple – qui a une relation privilégiée avec le Taiwanais – envisagerait depuis hier de faire équipe avec son fournisseur. S’allier à un Américain sera-t-il suffisant pour rassurer le gouvernement chinois ? Pas sûr. D’où la volonté de Foxconn proposer un autre ticket à SoftBank, le groupe japonais qui s’est offert ARM pour 31 milliards de dollars.

Kagemusha

Bref, tout est en place pour le deuxième acte d’un western économique et IT qui voit un des plus gros industriels de la planète, sérieusement blessé par sa trop grande ambition dans le nucléaire, contraint de céder les bijoux de famille pour éviter le naufrage.

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