Kirill Tatarinov, CEO de Citrix : « Nous avons redéfini notre mission »
Quel est le visage du nouveau Citrix, ses axes de développement après ses différents rachats, comment le Cloud y trouve sa place, et où en sont les activités en France ? LeMagIT s'est entretenu avec Kirill Tatarinov, à la barre de Citrix depuis janvier 2016, sur la stratégie d’un groupe qui se transforme.
LeMagIT : Citrix fait partie de ces cadres historiques de l’IT qui mènent une stratégie de transformation de leurs activités. Pouvez-nous nous décrire où en est aujourd’hui le groupe ?
Kirill Tatarinov : Citrix s’est transformé radicalement ces 18 derniers mois. Une transformation majeure et des investissements clés ont ainsi eu des résultats significatifs. Nous avons redéfini notre mission. Notre rôle premier est donc de favoriser la productivité, de donner les moyens aux employés d’accéder à leur environnement de travail depuis n’importe où dans le monde et de leur apporter de la flexibilité. Et cela, de façon très sécurisée et fiable. Notre cible principale est les professionnels de l’IT et les DSI. On passe la majeure partie de notre temps avec eux.
Notre rôle est de les accompagner à devenir les héros de cette ère digitale. Une ère dans laquelle ils ont la capacité d’apporter de la valeur aux métiers et de supporter de nouveaux scenarii comme l’Internet des objets, tout en maintenant le legacy.
En matière de produits et de stratégie, il s’agit de proposer des services Cloud intégrés pour diffuser des données vers tous terminaux, n’importe quand et sur chaque type de réseau, tout cela à partir du Cloud Citrix. Plusieurs éléments doivent pris en compte : la sécurité est depuis des années un secteur dans lequel nous sommes reconnus. Nous continuons à mettre l’accent sur ce point, et nous investissons de plus en plus dans des fonctions de sécurité. C’est un travail continu et cela donne de bons résultats.
Chez Citrix, nous retrouvons 3 grands piliers. Le premier est la distribution d’applications. Cela comprend XenApp pour la virtualisation d’applications, XenDesktop pour le VDI et XenMobile pour la sécurisation et la gestion des terminaux mobiles - et plus important pour la gestion des applications sur les terminaux.
Pour tout ce qui porte sur la donnée, et il n’y a pas d’applications sans donnée, le second pilier de Citrix est ShareFile. Il s’agit d’un outil de partage et de synchronisation de fichiers sécurisé pour les entreprises. Un segment à très forte croissance pour Citrix, qui a connu une hausse de 20% à 25% l’année dernière. C’est une technologie très intéressante, née dans le Cloud, qu’il faut imaginer comme un Dropbox sécurisé. Cela permet à l’IT d’y inclure des politiques de sécurité et permet aussi d’intégrer Box, Dropbox, OneDrive et toute une kyrielle de technologies issues du grand public (et donc non contrôlées, NDLR). Cela donne la possibilité aux entreprises de sécuriser leurs données. L’outil comporte des modules de gestion des droits et de suivi de logs. Vous savez qui accède aux fichiers, quand et comment. Plus important, l’outil embarque aussi des fonctions de protection contre les fuites de données (Data Leak Protection – DLP). ShareFile embarque donc ce package complet dont les entreprises ont besoin pour sécuriser leurs données.
Les discussions autour de ShareFile sont montées en puissance ces 6 derniers mois car la fuite de données est aujourd’hui un thème central pour toutes les entreprises. Il semble que ce soit une partie clé des programmes de cyber-sécurité.
La technologie ciblait au départ les PME et a été conçue ainsi. Mais ces 2 dernières années, elle a aussi prise dans les grandes entreprises. En Europe, depuis l’année dernière, nous commençons à signé des contrats, le plus gros d’entre eux étant Daimler. La société déploie ShareFile auprès de 280 000 personnes, y compris auprès de ses fournisseurs. Tous les flux de documents seront effectués via ShareFile.
LeMagIT : La GDRP est-elle l’un des moteurs de cette croissance de ShareFile ?
Kirill Tatarinov : Oui, la GDPR est bien un moteur. Mais aussi toutes les lois et régulations. ShareFile supporte la géolocalisation des fichiers, dans le Cloud ou sur site. Il est important que les entreprises disposent de cette flexibilité et sachent qu’elles peuvent placer leurs fichiers dans leur propre domaine. Une zone géographique qu’ils peuvent contrôler. Nous supportons aussi un datacenter européen. Ces régulations sont très critiques. En France, ShareFile est au cœur des négociations avec tous nos grands comptes (il cite une grande banque, NDLR). Les banques font d’ailleurs partie des secteurs intéressés, avec plusieurs scenarii d’usages.
LeMagIT : Retour au 3e pilier de Citrix ?
Kirill Tatarinov : Ce 3e pilier est NetScaler. Pour distribuer des applications et des données de façon sécurisée, une infrastructure réseau est nécessaire. Pour cela, vous devez être certain que les accès à chaque site sont sécurisés, résilients, que chaque branche soit toujours opérationnelle et que le réseau soit protégé et contrôlé. L’accès au réseau peut être contrôlé via des gateways sécurisées. Et un firewall peut être déployé. Mais plus important, l’utilisateur peut aussi avoir une vue complète de ce qui se passe sur le réseau. NetScaler joue tous ces rôles : contrôleur de distribution d’applications, gateway sécurisée et firewall. Cela donne en fait des possibilités d’optimisation de WAN et offre désormais une visibilité complète du réseau via les services d’administration et d’analytique. Il s’agit donc d’une solution complète.
LeMagIT : Parmi ces trois piliers, lequel tire les activités de Citrix en France ?
Kirill Tatarinov : ShareFile commence à apparaître. Le cœur de l’activité en France repose sur les services liés à l’environnement de travail (WorkSpace, NDLR), la famille de produits Xen, XenApp, XenDesktop et XenMobile. Ils occupent une grosse part des activités, puis vient ensuite NetScaler. Ce dernier favorise la distribution via XenApp et XenDesktop, par exemple. Encore une fois, ShareFile est récent pour Citrix. Nous l’avons placé au premier plan il y a un an, c’est donc un produit relativement jeune. Mais c’est celui qui a le plus de potentiel en France.
LeMagIT : Gartner fait état d’une tendance : celle de la convergence entre la mobilité, la sécurité et l’EMM, le tout dans des offres de sécurité-as-a-service par exemple. Quel est votre avis sur la question et Citrix travaille-t-il dans cette direction ?
Kirill Tatarinov : L’unification est l’un des plus gros avantages du Cloud, car, historiquement, notre industrie a été ralentie par cette nécessité d’intégration. Mais le Cloud offre de nouveaux débouchés : tout ce qui vient du Cloud est intégré. Ce n’est pas toujours le cas et l’industrie du Cloud a encore du chemin à parcourir, mais on s’oriente vers cela. La sécurité-as-a-service est une composante très importante du Cloud. Le Workspace-as-a-service est aussi une partie très importante dans la transition vers le Cloud. Et nous nous orientons aussi vers cela. La transformation vers le Cloud et le Cloud de Citrix sont la priorité stratégique n°1 du groupe.
Tout notre portefeuille technologique migre vers le Cloud. Parfois, les technologies ont été ré-architecturées, parfois elles sont déjà prêtes, et peuvent être déployées telles quelles. Mais le Cloud est notre priorité n°1.
LeMagIT : Citrix a racheté successivement Norskale et Unidesk autour de l’App Layering. Tout est sujet d’optimisation des environnements VDI. Mais qu’est-il advenu d’AppDisk ?
Kirill Tatarinov : Permettez-moi d’abord de revenir sur la façon dont nous développons nos produits. Nous sommes une entreprise technologique et de toute évidence, comme toutes les entreprises de ce type, notre priorité n°1 est l’innovation. C’est un impératif. Donc avant tout, nous favorisons toujours le développement interne. Nous investissons beaucoup dans notre R&D grâce à notre équipe d’ingénierie.
En même temps, nous sommes toujours à l’écoute du marché. Ces deux sociétés étaient des partenaires de Citrix. Ils travaillaient avec certains de nos clients. Norskale dans 2 domaines : le premier est l’optimisation de serveurs. Dans certains cas, on obtient jusqu’à 30% de gains de performances grâce à l’optimisation VDI côté serveur. Leur technologie propose aussi la gestion des environnements utilisateurs en gérant les configurations de façon intelligente. Norskale est une petite société localisée en France et déjà partenaire. Nous avons pensé qu’il était plus efficace de les racheter, de simplifier le processus pour les clients et d’en faire une partie intégrante de la famille Citrix Xen.
A l’exception de sa taille, Unidesk était de la même veine. Ils sont spécialistes en « Application Layering ». En fait, il serait même plus juste de dire qu’ils ont inventé le procédé. Ils ont réalisé un travail d’ingénierie très pertinent, ont une bonne équipe, des brevets et sont parvenus à avoir une bonne visibilité sur le marché. La plupart utilise leur technologie avec du Citrix. Il était donc pertinent de nous rapprocher du meilleur.
AppDisk a été fusionné dans la technologie d’Unidesk. Vous pouvez considérer Unidesk comme un sur-ensemble de ce que pouvait proposer AppDisk. Tous nos clients avec des contrats de maintenance peuvent en profiter.
LeMagIT : Vous avez mentionné le rôle de Netscaler dans l’optimisation VDI. Mais ne pensez-vous pas que la gestion du réseau et son optimisation et l’App Layering sont deux activités éloignées difficiles à faire cohabiter dans une unique entreprise ?
Kirill Tatarinov : Le réseau est un ingrédient clé de notre stratégie qui consiste à proposer des services Cloud intégrés. Cela nous permet de travailler à la fois sur les terrains de la mobilité, de la gestion d’applications mobiles et de la virtualisation. Cela est absolument essentiel. En plus de cela, d’autres cas d’usage émergent avec NetScaler. Par exemple, NetScaler ADC (un contrôleur de mise à disposition d’applications, NDLR) supporte 85% du téléchargement de musique dans le monde. Une grande majorité des sites de e-commerce utilisent aussi NetScaler. (C’est le cas de C-Discount, NDLR). Cela constitue une vraie opportunité pour nous. Dans de nombreux cas, cela nous permet de discuter autrement avec le client et de positionner différemment Citrix, là où nous résolvons des problèmes très spécifiques. Nous avons aussi des discussions autour de la transformation numérique, comment être plus agile, par exemple.
Deux autres éléments de NetScaler sont également très critiques pour Citrix. Le premier est NetScaler SD-WAN, un segment fort pour Citrix surtout dans les services financiers. Il s’agit ici de mieux fournir du trafic auprès des filiales, ce qui est absolument essentiel mais représente beaucoup de travail. Cela doit être opérationnel en permanence et de façon sécurisée. Le second repose sur des services analytiques et de gestion. Ils garantissent une visibilité complète des couches 4 à 7, de contrôler les accès aux applications, qui demande cet accès, et tout cela dans un contexte de cyber-sécurité.
LeMagIT : En termes d’innovation, sur quoi Citrix travaille-t-il actuellement ?
Kirill Tatarinov : Nous avons modifié la façon dont nous concevons nos produits. En fait, ces dernières semaines, nous avons complètement unifié la société : nous disposons désormais d’une unique entité dédiée à la gestion de produits et à l’ingénierie. Nous avons parlé convergence et Cloud. Nous nous sommes structurés pour cela et n’avons plus de silos. Nous avons adapté l’entreprise aux processus agiles, et nous pouvons travailler plus rapidement. Notre cadence est devenue très rapide.
De nombreuses annonces seront réalisées d’ailleurs lors de notre événement Synergy au mois de mai. Sans vous les révéler en avance de phase, le Cloud sera une partie importante des débats, ainsi que notre transformation vers le Cloud et la démonstration d’utilisateurs qui ont migré leur environnement de travail sur une infrastructure VDI Citrix. La cyber-sécurité sera également un élément central. En fait cette édition de Synergy sera la première où la sécurité jouera un rôle de premier ordre. Nous articulons différemment notre proposition de valeur. Il y a peu, pour la première fois de son histoire, Citrix était à la RSA Conférence.