Cloud : comment les ESN tentent de s’adapter aux nouvelles exigences des entreprises
Avec des contrats d’outsourcing de plus en plus résolument tournés vers le Cloud, les ESN ont dû ajuster leur modèle, leurs prestations et leurs compétences. Un mouvement de transformation qui va continuer en 2017.
A l’heure de la transformation numérique, où le Cloud est roi, les prestataires de services IT (ESN, ex-SSII) ont dû revoir leur copie. Poussées dans leur derniers retranchements par des entreprises de plus en plus présentes sur le Cloud, les ESN ont entrepris progressivement, voire dans la douleur, d’entamer une mutation de leur modèle. Elles doivent aujourd’hui prendre en compte les spécificités inhérentes de cette IT dématérialisée, « as-a-service », qui reste indissociable des grands chantiers IT d’infrastructure ou d’application. Rares sont en effet les entreprises qui décident de lancer des projets d’innovation sans considérer le Cloud comme maillon clé du projet.
Une vague Cloud déjà palpable
Dans son dernier indice portant sur l’état de l’outsourcing en EMAE (Outsourcing Index) ISG montre une hausse du nombre et de la valeur des contrats dans la zone géographique. Et il ressort que cette croissance est due à une forte dynamique des contrats Cloud (en valeur) au détriment des contrats de sourcing traditionnels. La hausse est affichée à 41% au 3e trimestre 2016 en un an, rien que sur ce segment – tirant ainsi le marché global en EMEA (+10% en un an, à 3,1 milliards d’euros).
Des grands projets d’externalisation d’infrastructure classiques, les entreprises sont passés à des projets Cloud, au sein desquels interviennent des acteurs spécialisés comme AWS, Microsoft Azure, Google et ou encore OVH. Pour les ESN, mises en défi sur leur propre terrain, il est impératif de trouver un nouveau positionnement et d’ajuster les précieux modèles sur lesquels s’adossaient les grands projets d’externalisation d’infrastructure plus classiques.
L’impact du Cloud est visible. Il a un effet quasi-sismique sur l’ensemble de l’écosystème IT. « Trouver de nouveaux débouchés, mettre en avant la valeur ajoutée et les points de différenciation, rester compétitifs dans un marché de plus en plus concurrentiel : tels sont les enjeux stratégiques induits par l’arrivée du Cloud », rappelle François Juillot, Partner chez Devoteam Management Consulting. « Ces enjeux sont les mêmes à chaque rupture ou innovation, technologique ou non. Mais la vitesse d’adoption ainsi que la hauteur des investissements, en dizaines de milliards de dollars, font du Cloud une vague qu’il sera difficile de contrer. »
Cette lame de fond, aujourd’hui palpable, a déjà frappé les différentes strates de l’IT, tant au niveau infrastructure qu’au niveau applicatif. Elle concerne également tous les profils d’entreprises.
« Nous sommes en train d’assister à une phase exponentielle de l’externalisation des serveurs. Les modèles sont en train de se confronter, de se compléter », constate un responsable de la société française Cloud Temple, spécialisée dans l’infogérance et l’hébergement de SI dans le Cloud. « Tous les chemins se croisent. Du très grand compte - qui essaie de rentabiliser ses investissements dans de gros Datacenters et de reconstruire une IaaS en GIE pour ses filiales - aux équipes de développement et de pré-production - qui ont déjà depuis longtemps choisi de commander chez OVH ou AWS à la carte bleue »,.
Le casse-tête : amortir les investissements en infra, et composer avec les grands du Cloud public
Il faut dire que l’enjeu est de taille pour ces ESN. Cette évolution vers le Cloud rebat les cartes de leur modèle.
Yannick Tricaud, Directeur Exécutif Infrastructure Management France chez Sopra Steria, résume la situation de façon très pragmatique. « Si nous revenons quelques années en arrière, beaucoup d’ESN disposaient d’infrastructures en fonds propres qu’ils refacturaient à leurs clients. Ces contrats d’infogérance pluriannuels intégraient donc un volume important de CAPEX, amorti sur la durée de ces dossiers ».
Avec l’émergence du Cloud et l’accès à des ressources à un moindre coût, les entreprises se sont trouvé de plus en plus demandeuses et avides de ce réservoir de stockage et de puissance de calcul illimitée.
« Les ESN se sont retrouvées dans une impasse avec un choix cornélien entre accompagner leurs clients vers le Cloud public (AWS et Azure) ou optimiser leurs infrastructures non amorties », observe Yannick Tricaud.
Un point sur lequel s’accorde également Cloud Temple. Les ESN, par peur de se scier la branche sur laquelle elles sont assises, se sont positionnées sur l’accompagnement personnalisé vers le Cloud. En partenariat avec les géants du secteur.
« Très peu d’ESN ont investi elles-mêmes dans des plateformes IaaS pour offrir des services de Cloud Privé à leurs clients (NDR : comme l’a fait l’ESN bordelaise Cheops). Elles ont plutôt réagi à des demandes en forte croissance chez les clients à infogérer depuis au moins deux ans, via des accords avec des fournisseurs comme AWS, Azure, OVH », constate Cloud Temple. « Globalement, une partie des ESN prennent une posture « Conseil et accompagnement vers l’hybridation». Les autres réinventent à chaque nouveau deal un Virtual Datacenter pour chaque nouveau cas rencontré, en affichant plus ou moins une posture Cloud ». Difficile dans ces conditions de trouver un équilibre industriel.
Une mutation du modèle
L’une des premières conséquences de l’avènement du Cloud est logiquement une réduction du champ d’action des prestataires de services. Les services d’automatisation et d’ordonnancement proposés par les fournisseurs de Cloud public ont ici un regain d’intérêt auprès des entreprises pour leur projet.
Conséquence, « les services d’opérations vont alors nécessairement se réorienter et se renforcer vers la conduite applicative. Les infogérants historiques qui assurent les opérations de ‘run’ à grande échelle, vont profiter de leur empreinte sur le marché pour proposer des solutions ‘Cloud’, construites sur des infrastructures privatives » assure François Juillot (Devoteam Management Consulting). « A l’instar des fournisseurs technologiques, ces infogérants se proposent d’accompagner leurs clients vers le ‘off-premise’ en s’appuyant sur des solutions privatives, étape préalable au Cloud public, pour répondre à certaines réticences ou contraintes réglementaires ».
La prise en compte des environnements hybrides et multi-cloud, via l’intégration et l’orchestration de services ainsi que du brokering de Cloud (courtage), est aussi devenue un critère à considérer. Les ESN les greffent dès lors à leurs arsenaux de services.
« Réorganiser la DSI en lignes de services ayant la maîtrise de bout-en-bout – du marketing des services au run en passant par le modèle économique – implique de réorienter les compétences vers des profils maîtrisant les solutions du marché et capables de les utiliser de manière optimale pour apporter une vraie valeur ajoutée et concrétiser le modèle de « service broker ». Il ne s’agit donc plus de chercher à refaire le même travail qu’un Amazon, ou un Azure, ou un Google. Notamment sur les infrastructures », ajoute encore François Juillot.
La spécificité métier comme élément différenciant
Dans ce schéma de rupture, l’heure est à l’ajustement de l’organisation interne des équipes internes des ESN pour répondre au plus près aux demandes du marché.
Il leur faut monter en compétence sur les technologies qui motorisent cette transformation numérique. Il leur faut également se doter de profils résolument métiers pour mieux coller aux desiderata des DSI et à la si recherchée agilité.
La connaissance des spécificités métier constitue l’élément différenciant, soutient François Juillot. « La politique de recrutement devient un levier clé pour accompagner cette transformation, en se focalisant sur de nouveaux profils historiquement hors de l’IT : responsable produits, marketing, contract manager… au détriment des profils purement techniques. »
Yannick Tricaud (Sopra Steria) confirme. « Cette transformation a supposé un accompagnement important des collaborateurs en termes de formation. On observe de plus en plus une convergence entre les métiers de l’intégration/développement et ceux de l’infrastructure. Ces deux mondes étaient historiquement hermétiques et cela suppose par conséquent une évolution des organisations ».
Pour se donner le temps de leur propre transformation - et pour s’adapter aux conséquences protéiformes qu’engendre le Cloud - les ESN essaient plus que jamais faire valoir leur distinguo métier.
Et pour cause. Les grandes tendances de l’IT actuelle (à commencer par l’Intelligence Artificielle, le Big Data, l’Internet des Objets) sont toutes propulsées par le Cloud et sont toutes histoires de personnalisation de PoC et de « Business Cases » qui, par définition, concernent les métiers. La distribution des compétences n’en jouera qu’un rôle plus important pour à l’avenir des ESN.