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Jean-Marc Defaut (Capgemini) : « Les entreprises sont en quête d'agilité » (1)
Jean-Marc Defaut, le vice-président Cloud de Capgemini, a accordé un long entretien au LeMagIT. Dans ce premier article, il évoque les enjeux de l'automatisation et de la modernisation des infrastructures pour les entreprises.
Dans le cadre de ses offres de services d’infrastructure et de transformation numérique, Cap Gemini Sogeti a développé une offre sophistiquée d’automatisation d’infrastructures et de gestion de cloud, la Cloud Management Platform (ou CMP). Conçue pour faciliter l’industrialisation des SI clients. Comme l’explique Jean Marc Defaut, le vice-président cloud de Capgemini, l’infrastructure à un rôle essentiel à jouer dans la transformation des entreprises. Elle constitue en effet le socle sur lequel se déploient les nouvelles applications.
La plate-forme de gestion de cloud de Capgemini permet à une entreprise d’automatiser son infrastructure et de composer l’ensemble des services dont elle a besoin, afin de les mettre à disposition via un portail réutilisant les canons du cloud. Ce portail permet de provisionner des ressources et de déployer automatiquement des services sur l’infrastructure propre de l’entreprise, sur le cloud multitenant de Capgemini ou dans le cloud public (IaaS ou SaaS).
Jean-Marc Defaut s’est récemment entretenu avec LeMagIT pour aborder les enjeux auxquels sont confrontés les grands comptes en matière d’automatisation et de cloud et sur les challenges auxquels ils doivent faire face pour industrialiser leur production, réduire leurs coûts et accélérer le provisioning de leurs services. Ce sont ces enjeux sur lesquels se concentre la première partie de cette interview.
Dans une seconde partie, à suivre dans un prochain article, Jean-Marc Defaut revient plus en détail sur les attributs de la plate-forme de gestion de Cloud de Capgemini Sogeti et discute avec nous de ses implications en matière de livraisons d’applications et de transformation.
LeMagIT : Comment les clients qui s’intéressent à votre plate-forme de gestion de cloud abordent-t-ils la question de l’automatisation et du multi cloud ?
Nos clients sont en général de grandes entreprises clientes de Capgemini. Elles ont des configurations très hétérogènes avec plusieurs hyperviseurs, des environnements Unix, Linux, Windows et Mainframe. Elles opèrent des applications développées en Java, .Net, des applications packagées et se battent pour réduire les coûts de leur IT traditionnelle. Leur objectif est en général de libérer du budget pour les nouveaux projets. L’une des clés de cette réduction de coûts est l’automatisation. Cela fait un moment que Cap Gemini investit dans les plates-formes de gestion de cloud d’HPE et VMware, mais aussi dans ses offres d’outsourcing afin de permettre à ses clients d’automatiser leur infrastructure au travers d’un portail ou d’APIs.
LeMagIT : Ces plates-formes doivent en général gérer aussi bien des ressources externes que les ressources internes des clients, ce qui veut souvent dire qu’elles doivent être personnalisées pour prendre en compte leur existant. D’une certaine façon, cela va à l’encontre de l’industrialisation que vous prêchez…
Effectivement, nos clients demandent que ces plates-formes gèrent aussi leurs ressources internes existantes. L’objectif est donc de rester versatile sans tomber dans les excès du spécifique.
Notre approche est de travailler autour d’un cœur commun, qui peut être ensuite personnalisé pour prendre en compte les spécificités des clients. Nous faisons en sorte de proposer un socle solide d’objets de référence et nous délivrons plutôt de la personnalisation de masse que du spécifique.
Notre but est de permettre à des grands clients, dont les productions sont peu automatisées, de passer d’une situation où le provisioning de services d’infrastructure peut prendre des semaines à quelques heures.
LeMagIT : On parle d’automatisation depuis longtemps, mais il semble que l’une des choses qui bloque une partie des entreprises n’est tant pas la technologie en elle-même, que son impact sur l’organisation et sur les équipes en place, surtout lorsque l’on parle d’environnements de très grands comptes. On l’a vu avec l’actualité récente, chez des entreprises comme BPCE ou Engie, les changements qui ont un impact sur l’humain et l’organisation ne sont pas forcément si simples…
Cela pose la question de la gestion du changement et de la gestion des compétences humaines dans les grandes organisations. C’est un sujet important chaque fois que nous menons un gros projet d’automatisation consubstantiel à la refonte de l’infrastructure d’un de nos grands clients. On doit traiter à la fois l’impact technologique qui permet la livraison d’objets en quelques jours, là où cela prenait précédemment des semaines ou des mois, ce qui n’est pas si évident que cela. Il faut aussi gérer le modèle d’exploitation et les nouveaux processus et réaligner les compétences en fonction de ces évolutions. En France, il n’y a jamais vraiment de dégâts sur les personnels internes, mais cela a souvent un impact sur les prestataires.
Il y a aussi de nouveaux métiers techniques très intéressants qui se créent, mais la reformation des personnels est délicate. (…) Un autre métier qui émerge est celui de la « promotion ». Les gros centres de services infrastructures et opérations ont la problématique de vendre leurs offres à leurs clients internes. Il leur faut muscler leurs compétences avant-vente pour promouvoir leurs offres auprès des métiers et mettre en avant la valeur ajoutée de leurs prestations pour redevenir le fournisseur préféré de leur métier. Il est très facile dans les grosses structures de ne pas être au courant des offres internes et il y a donc un gros effort d’évangélisation à faire en interne. (…) Globalement, plus on automatise et plus la pyramide s’inverse, on a moins de gens vers le bas, mais plus de gens qui interagissent en interne avec les métiers.
LeMagIT : Avec qui discutez-vous de ces sujets chez vos clients aujourd’hui. Plutôt des architectes ou plutôt des DSI ?
Pour l’essentiel, ce sont les CTO, les responsables de la production et les DSI. Bien souvent, ce sont des gens de la production qui sont à l’initiative. Ils veulent regagner l’attention des métiers et quand on dit métiers ce sont en fait les développeurs des métiers. Ils sont convaincus qu’il faut bouger.
Le principal débat avec eux porte sur le temps nécessaire pour mettre en place une telle plate-forme et sur les éventuels freins. Les freins nous les avons évoqués, ce sont les résistances liées au fait que là où il y avait du vertical, il va maintenant y avoir de l’horizontal ; là où il y a avait des processus disjoints, il va y avoir des processus continus. Le sujet n’est pas tant la technologie que le pilotage de la transformation.
LeMagIT : On l’a vu récemment dans le monde bancaire avec une société comme le Compte Nickel qui a bâti son SI sur un moteur transactionnel en temps réel développé en technologies cloud natives. Un nouvel acteur innovant peut débouler sur un marché mature et prendre rapidement des parts de marché. Est-ce cette crainte qui alimente l’appétit des entreprises pour la modernisation de leurs SI ?
En fait, que ce soit dans la finance, les utilities, l’énergie, on voit émerger des acteurs ultra-agiles, qui n’ont pas de dette technique, qui n’ont pas de locaux et qui sont juste très malins. Ils sont gérés par des gens brillants qui ont 14 ans d’études derrière eux et s’appuient sur des codeurs qui ont les doigts carrés pour coder très très vite [rires…]. Face à cela, les acteurs traditionnels sont en quête d’agilité. Ils ont tous en vue des plates-formes de nouvelle génération, mais il leur faut aussi réduire le coût de l’existant (en général de 25 à 40 %) tout en accélérant leurs processus de déploiement d’applications.
LeMagIT : Les cibles auxquelles les SI des entreprises se comparent de plus en plus sont les acteurs du cloud. Leurs infrastructures ne ressemblent pourtant en aucun cas à celle des entreprises. Elles sont massivement automatisées et font un usage intensif de technologies distribuées, ce qui est loin d’être le cas des infrastructures patrimoniales des grands comptes. Lorsqu’un client choisit votre plate-forme de gestion de cloud, ne doit-il pas aussi faire évoluer son infrastructure sous-jacente en parallèle ?
Il y a deux façons de faire. On peut installer la cloud management platform pour automatiser l’existant d’un client, mais bien souvent dans les gros projet de modernisation de datacenters, on mène en parallèle des actions qui visent à amener des infrastructures bien plus efficientes et plus « scalables » que l’existant. L’objectif est d’aligner les coûts sur la valeur des services rendus. Il est par exemple difficile d’imaginer proposer un service de bac à sable pour le développement sur le même socle technologique que la production. À chaque étape, il faut donc se poser la question de façon très pragmatique de l’infrastructure à déployer pour chaque type de service.