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Laurent Allard, OVH : le marché français du cloud ne démarre vraiment que maintenant
Le CEO d'OVH fait le point avec LeMagIT sur le développement de l'activité du numéro un français du cloud et de l'hébergement. L'occasion d'évoquer comment OVH entend se différencier de ses concurrents.
LeMagIT : Vos concurrents mondiaux sont aujourd’hui présents sur la plupart des continents. Avez-vous la même ambition et si oui, le durcissement des cadres législatifs actuels est-il un obstacle à cette expansion ?
Nous disposons d’une une présence forte en Europe et France et nous poursuivons notre expansion internationale dans le cadre de notre feuille de route. Cette expansion répond à des demandes clients. Des clients comme Amadeus, Villeroy et Boch ou LVMH souhaitent un accompagnement à l’international. Les clients qui nous ont fait confiance à partir de nos services web à un moment donné souhaitent aller plus loin pour y mettre des applications core business. Et il y a des limites à ce qu’ils acceptent de mettre ou non dans leur pays. Villeroy et Boch, par exemple, nous a fait confiance pour l’hébergement de l’ensemble de ses sites e-commerce mondiaux, mais son CIO m’a encore confirmé récemment qu’il ne souhaitait pas que son ERP SAP ne devait pas quitter l’Allemagne. C’est pour répondre à ce type de besoin que nous nous développons à l’international.
LeMagIT : Amazon a avec AWS conçu un écosystème large de service avec un ensemble d’API riche qui font de son environnement un vrai OS cloud. Microsoft a fait de même. L’ambition d’OVH dans le cloud est elle aussi de bâtir un ensemble large de services et d’API ou est-elle plus modeste ?
Notre marché est différent des Amazon et Microsoft. Ils sont concentrés sur le cloud public. Ce monde du public n’est pas notre axe premier de développement. Dans le cloud, l’essentiel de notre activité est pour l’instant sur le monde du dédié même si nous proposons aussi du cloud public.(…) Cela fait plus de 30 ans que je suis dans l’IT. J’ai connu les mainframes, les machines Unix, le client-serveur, le cloud. Je ne crois pas qu’il y a une réponse technique unique aux besoins des entreprises. Les clients ont besoin de dédié, de public et aussi de production interne. Je ne pense pas que la réponse d’Amazon qui veut pousser tout le monde vers le cloud public soit la bonne.
Et puis nous sommes très différents. La croissance d’Amazon AWS a été longtemps portée par de grands clients représentant une part conséquente de son chiffre d’affaires [Netflix, Dropbox, ou Amazon lui-même, N.D.L.R.]. OVH n’a pas de clients de ce type en Europe. Notre marché est constitué de clients ayant des besoins plus petits et nous avons industrialisé et automatisé notre infrastructure en conséquence. Pour vous donner un ordre d’idée, nous allons passer la barre du million de clients vers la rentrée.
Il est aussi important de voir comment les clients voient les offres de chacun dans le cycle de vie de leurs applications. La première phase est la phase de construction ou de développement. Durant cette phase, les clients veulent de la rapidité et souhaitent une plate-forme riche. Cette richesse est notamment importante pour les entreprises qui démarrent et veulent se lancer sur le marché avec les dernières technologies. OVH avait du retard sur ces sujets et nous sommes en train de le rattraper. Notre programme Digital launchPad nous a permis d’attirer 300 start-ups sur notre infrastructure [OVH met par exemple à leur disposition de multiples services PaaS].
Une fois que le développement est effectué, vient l’étape du « scaling » : il faut délivrer la capacité et les performances demandées de façon flexible. Sur ce point nous sommes aujourd’hui largement en mesure de répondre. L’étape 3 est celle de la consolidation, une fois que les clients ont plusieurs applications dans le cloud. Beaucoup s’aperçoivent alors que le prix de revient récurrent d’Amazon est très élevé. Alors qu’avec nos offres dédiées, nous proposons des tarifs et une performance prévisible. Nous attachons une énorme importance à la prédictibilité des coûts. Nos conditions tarifaires sont claires et sans surprises, ce qui n’est pas toujours le cas de nos concurrents qui disposent parfois de clauses byzantines dans leurs contrats.
Laurent Allard, CEO d'OVH Group
Plusieurs acteurs français, SSII et opérateurs ont tenté de bâtir leurs propres offres de cloud d’infrastructure avec le peu de succès que l’on sait. La plupart semblent aujourd’hui se recentrer sur l’intégration et le brokering de cloud. Les SSII sont-elles des partenaires naturels pour vous ?
Lorsque je suis arrivé chez OVH, il y a un an et huit mois, nous étions pour l’essentiel ignorés par les SSII. Je venais de CGI, nous avions gagné un dossier Sanofi avec OVH. Mon expérience chez CGI me prouvait qu’un tel partenariat est pertinent. Chez les SSII, la valeur est dans la compréhension des métiers des clients et les clients sont d’ailleurs prêts à payer pour cela. En revanche, l’usine nucléaire est chez les acteurs type OVH.
Il nous a toutefois fallu en faire la preuve et en 2015 et 2016 nous avons signé en direct de grands contrats avec la SNCF et la Société Générale qui ont servi à montrer les capacités d’OVH et son aptitude à répondre aux exigences de très grands clients. Voyage SNCF, ce sont par exemple 5 milliards de transactions sécurisées par an. Avec ces références, nous avons prouvé que notre infrastructure était « scalable » et conforme aux attentes des grands comptes. Depuis plusieurs SSII ont noué des accords avec nous. Nous travaillons par exemple en Europe avec Linkbynet ou Cap Gemini, - en direct ou via Prosodie –, en plus de CGI, mais aussi à avec des acteurs comme Rogers au Canada [les 700 commerciaux de la firme vendent les services de cloud d’OVH aux clients de l’opérateur, N.D.L.R.].
Le marché du cloud public d’infrastructure semble tarder à décoller en France et serait encore loin de la barre des 100 M€. Comment l’expliquez-vous ?
Le marché français a été plus frileux que d’autres et les tentatives des entreprises de bâtir leurs propres cloud n’y sont pas étrangères. J’ai fait partie de l’aventure Axa Tech. Dans les années 2000 on était dans une croyance très française que la mise en commun allait être le bon modèle avec des SSII internes. Et effectivement, toutes ces structures de mutualisation ont permis à leurs maisons mères de réaliser de considérables économies. Lorsque l’idée du cloud a émergé, ces structures ont tout naturellement estimé que leur avenir passait par la création de clouds internes. Sauf que personne n’avait anticipé les exigences d’automatisation qu’implique la mise en œuvre d’un cloud et que personne n’avait vraiment la taille critique pour offrir l’élasticité des grands cloud publics. C’est une spécificité française.
Objectivement le 2e point est un problème d’offre. Si l’on excepte Amazon, l’intégration d’IBM avec Softlayer a été problématique, OVH n’était pas vu comme un acteur du cloud et les acteurs soutenus par l’état ont rencontré les difficultés que vous savez avec pas mal de « write off ».
En France, les choses ne démarrent vraiment que maintenant. Mon discours est de dire qu’il y a des alternatives à Amazon. La complémentarité entre des acteurs comme nous et les SSII change la donne dans la perception qu’ont les grands comptes du cloud public. Et la prédictibilité de nos coûts et la clarté de nos conditions tarifaires sont une vraie arme dans cette bataille. Ce sont des sujets stratégiques pour nous.
OVH a levé beaucoup d’argent au cours des trois dernières années, dont récemment auprès de la famille Mulliez. À quoi vous servent ces levées ?
Nous avons une feuille de route ambitieuse et qui est dans la logique du marché. OVH a un rythme de croissance annuelle de 30 %. Soutenir une telle croissance demande de la capacité de financement. Nous avons le choix entre progresser lentement avec nos capex ou appliquer un coup d’accélérateur. C’est ce que nous faisons en construisant 10 nouveaux datacenters en deux ans (contre 17 en seize ans). Nous ferons d’ailleurs une mise à jour sur notre stratégie financière lors du prochain OVH Summit, le 11 octobre prochain à Paris.