Cloud Week 2016 : la transformation Cloud est en marche, mais pas sans obstacles
En 10 ans, tout a changé. Le marché des services cloud a été multiplié par 10 et nombreuses sont les entreprises françaises à utiliser des applications Saas, des services d’infrastructures Iaas ou Paas. Même les plus réticentes y viennent. Mais des réserves perdurent.
Pour de nombreuses entreprises françaises, la question d’aller ou pas dans le Cloud ne se pose plus. Comme l’a souligné Sylvie Chauvin, présidente de Markess, lors des Etats généraux du Cloud Computing, en passant de 900 millions d’euros en 2007 à 5,9 milliards cette année, le marché des services Cloud en France à été multiplié par 10 en 10 ans.
Les entreprises nationales misent sur le Cloud et sur les 52 milliards d’euros qui seront dépensés dans le logiciel et les services cette année, 11% iront aux services BPaaS, Saas, PaaS et IaaS.
Le 100% Cloud restent l’exception
Certaines entreprises, comme Aldebaran Robotics (aujourd’hui Softbank Robotics) sont 100% Cloud et ont placé l’intégralité de leur système d’information sur Amazon Web Service et Microsoft Azure. C’est aussi le cas de la ville de Drancy dont le DSI, David Larose, n’a pas hésité à supprimer son poste après avoir totalement « cloudisé » le SI de la ville. Résolument au service des citoyens et des métiers, il occupe le poste de directeur de l’aménagement numérique de la ville.
De telles entreprises restent toutefois l’exception et cette « ubérisation » du DSI reste une perspective encore lointaine pour beaucoup d’entres-eux. Les entreprises préfèrent généralement une adoption plus progressive des services Cloud et commencent par migrer leurs plateformes les moins critiques.
Le CAC40 a enfin entamé sa marche vers le Cloud
En dépit de cette prudence, de grandes entreprises se sont mises en marche, à l’image d’Engie.
Gérard Guinamand, Groupe Deputy CIO, a ainsi évoqué le déploiement d’une cinquantaine d’applications dans le Cloud pour 37 pays, pour l’essentiel des applications Big Data, analytiques et mobiles. L’énergéticien a mis en place une « Engie Factory » pour porter ces applications et il s’appuie sur les offres des éditeurs C3 IoT et Kony pour mettre en place des solutions qui sont portées par le cloud Amazon Web Services.
Pour les 4 500 applications existantes d’Engie, le responsable préfère temporiser : « Nous n’avons pas de grand projet de chambardement de cet existant. Nous irons dans le Cloud essentiellement via des nouvelles plateformes et en 2017 nous verrons comment faire évoluer nos grands datacenters. »
Cette voie marquée par la prudence est aussi suivie la Société Générale qui a préféré se doter d’un Cloud privé VMware que l’entreprise à mise à la disposition de l’ensemble du groupe. « C’est un projet réussi » s’est félicité Carlos Goncalves, DSI de Société Générale Global Banking and Investor Solutions.
« Nous avons créé une équipe séparée pour implémenter ce Cloud et répondre aux demandes de l’ensemble des activités du groupe. Nous en sommes à plus de 5 000 VM aujourd’hui en production, un chiffre que l’on va doubler dans l’année. D’ici 2017/2018, 80% de notre production informatique aura basculée sur ce Cloud privé. » Un cloud privé qui sera ensuite complété par des ressources du Cloud public, le chantier sur lequel Carlos Goncalves travaille aujourd’hui.
Pour certains, le passage des applications au Cloud est devenu un impératif économique. C’est ce qu’explique Damien Andreani, le DSI de Soitec, un industriel grenoblois qui produit des plaques de silicium pour l’industrie électronique.
« Pour un industriel comme nous, le Cloud est vital. Nous devons nous concentrer sur notre cœur de métier, c'est-à-dire la production. Le cloud et ses services associés, c’est notre unique avenir. Amazon Web Services est notre principal fournisseur, nous nous appuyons aussi sur ServiceNow ainsi que Google Apps qui a été déployé auprès de 1 000 personnes. Notre ERP, Oracle Business Suite sera remplacé par des services Cloud à termes mais nous devons y aller petit à petit, service par service. » D’ici 3 à 5 ans, Soitec aura totalement remplacé son ERP par des services Cloud.
Quelques voix dissonantes face au discours unique
Si les Etats généraux du Cloud ont été l’occasion pour de nombreux DSI de souligner les gains qu’ils ont engrangés en termes d’économies, d’agilité et de souplesse d’exploitation, certains n’ont pas hésité à pointer les limites, voire les manques de l’écosystème Cloud français.
Parmi les plus prudents à avoir pris la parole lors des Etats généraux du Cloud, Jean-François Vigneron, le puissant DSI de Covéa : « Je suis un Cloud convaincu, mais nous devons faire attention à l’argent de la société, à investir sur des technologies matures. Le Cloud c’est aussi une nouvelle façon pour les éditeurs de générer du revenu. Que ce soit du Paas, du Iaas ou autre, c’est aussi une autre façon de nous vendre des choses ! »
Le DSI se montre donc prudent vis-à-vis du discours des offreurs de solution et des articles de presse mais ne jette pas le bébé avec l’eau du bain. « Le Big Data nous a amené au Cloud non pas parce que c’était mieux dans le Cloud, mais parce que nous ne savions pas le faire en interne ! Le Cloud est aussi une façon d’expérimenter des nouvelles technologies. Au lien d’investir lourdement dans une approche Big Bang, nous avons commencé à utiliser le Paas pour nous approprier le Big Data il y a maintenant 2 ans. Une fois que nous avons évaluées quelles étaient les bonnes technologies, nous avons réinternalisé cette plateforme sur un Cloud interne avec la solution Cloudera. »
Même note discordante lors de ces Etats généraux de la part d’Hubert Tournier, SI du groupement des Mousquetaire. « Nous avons 600 applications majeures, 8 000 serveurs dans 4 datacenters dont 2 qui nous appartiennent. Avant d’aller louer des infrastructures dans le Cloud, il faut que j’utilise au mieux celles dont je dispose déjà et il est hors de question de convertir nos 600 applications pour les passer dans le Cloud. Par contre, la question se pose lorsqu’on crée de nouvelles applications et là, il n’y a pas de religion, nous étudions toutes les solutions possibles, que ce soit un progiciel sur étagère, un développement maison, l’Open Source, un service Saas. On retient la meilleure solution en fonction du besoin de départ. »
Le DSI souligne néanmoins les difficultés d’intégration entre ces applications Saas et services Cloud et ses systèmes internes, ce qui affaiblit la fiabilité et les performances des chaines applicatives dans leur ensemble.
Il remet aussi en cause l’intérêt économique du Cloud pour certaines applications : « Pour des applications et leurs données qui sont hébergées à l’année dans le Cloud, quand vous faite la multiplication, vous vous rendez compte que cela revient assez cher d’héberger à l’extérieur. Néanmoins, des cas d’usage du Cloud sont assez intéressants. Ainsi, si on a besoin de 1 000 serveurs pour quelques heures, quelques jours, il est préférable d’aller les chercher dans le Cloud. Pour une infrastructure transitoire, le Cloud est bien adapté, c’est vrai. Mais pour une infrastructure qui doit fonctionner à longueur d’année, c’est un non sens économique par rapport aux infrastructures que je possède déjà. »
Un écosystème français du Cloud pas assez mature ?
De son côté, David Larose, le dynamique directeur de l’aménagement numérique de Drancy, pointe le manque de concurrence entres acteurs du Cloud, notamment vis-à-vis des administrations dont les données ne peuvent théoriquement pas quitter le territoire national.
« J’aimerai avoir plus de compétition entre les prestataires Cloud. Je n’ai que 120 serveurs et 1 000 postes à virtualiser. Mais SFR m’a répondu qu’ils ne savaient pas faire de virtualisation du poste de travail et Orange m’a confié que cela coutera très cher. En outre, Microsoft et Amazon Web Services n’ont pas de datacenter en France. » A son appel d’offre, seul OVH et un prestataire suisse ont répondu. Et son choix est allé finalement à OVH.
Si les DSI ont nettement gagné en maturité vis-à-vis du Cloud, ceux-ci ne se sont pas privés de critiquer les éditeurs qui ont « cloudisé » à la hâte leurs logiciels sans réelles compétences en hébergement et production informatique. Ce manque de maturité se retrouve aussi au niveau des phases de négociations de contrats, bien trop longues du goût des grandes DSI qui pointent par ailleurs le manque d’intégrateur spécialisés dans les solutions Cloud.
Si pendant de nombreuses années, les fournisseurs de Cloud américains soulignaient les réticences et la lenteur des DSI français à aller vers le Cloud, désormais ceux sont ces mêmes DSI qui estiment l’écosystème trop immature pour les accompagner dans l’accélération qui leur est désormais imposée par le business.