Cegid

Le rachat de Cegid par Silver Lake Partners et AltaOne en 5 questions

Jean-Michel Aulas, le fondateur de l’éditeur lyonnais, va revendre ses parts à deux fonds anglo-saxons. Mais il ne se sépare pas de Cegid pour autant. Retour sur les raisons et les implications stratégiques de ce rachat d’un acteur majeur de l’IT français.

I - Pourquoi Cegid s'ouvre-t-il à des investisseurs étrangers ?

Tout simplement parce qu’il en avait besoin. Cegid, la société lyonnaise fondée par le médiatique Jean-Michel Aulas, est face à une triple transition : de se gamme, technologique et de marché.

L’éditeur diversifie ses produits (vers le HCM et la gestion des talents par exemple). Ses logiciels ne sont plus simplement destinés aux experts comptables – ou au retail.

L’éditeur passe dans le même temps doucement - mais surement - au modèle sur abonnement dans le Cloud. Ce qui n’est pas sans implication industrielle « sous le capot ».

Enfin, d’un point de vue marché, il s’attaque à l’international.

Ces transitions sont très gourmandes en investissements. Il faut à Cegid la capacité de racheter des sociétés (comme dernièrement le québécois Technomedia). De les digérer. Et de recruter pour développer commercialement son offre à l’étranger.

On peut regretter qu’aucune banque ou acteur français n’ait eu le courage d’investir dans Cegid et que ce soit des fonds anglo-saxons qui demain en soient les propriétaires. Mais c’est, d’après Loïc Rivière, délégué général de Tech’In France (ex-AFDEL), la dure réalité du business qui s’exprime ici.

« On rêverait que les gros investisseurs soient plus souvent français. Mais on sait qu’il n’y en a pas en pour des entreprises comme Cegid », déclare-t-il à nos confrères des Echos.

A noter qu’il s’agit tout de même d’une demi-surprise. Demi parce que les analystes avaient bien vu que Cegid ne pourrait pas relever tous ses défis seul.

Mais surprise tout de même dans la mesure où Jean-Michel Aulas avait tenté de racheter la part de Groupama dans Cegid l’an passé. Ce qui semblait indiquer – à tort peut-être - qu’il avait l’intention de garder la main sur son capital.

Or c’est Groupama qui a attiré les deux fonds anglo-saxons pour revendre ses parts. En homme d’affaires avisé de 67 ans, Jean-Michel Aulas y a vu une sortie par le haut « à un prix extrêmement attractif ». Mais une sortie liée à un réinvestissement immédiat (cf. encart).

II - Qui est Silver Lake Partners ? Et AltaOne Capital ?

Silver Lake Partners est un des plus gros fonds d’investissements spécialisés dans l’IT. Deux chiffres donnent le vertige : ses actifs se montent à 24 milliards de dollars pour 100 milliards de CA annuel. Le rachat de Cegid est donc, pour Silver Lake Partners, une petite acquisition (282 millions d’euros de CA en 2015).

La société lyonnaise s’ajoutera, dans le portefeuille du fonds, à des noms comme Avaya (communication d’entreprise), Broadcom (semi-conducteur), Dell, GoDaddy (hébergeur web), Alibaba (e-commerce), Solar Winds (outils d’administration de système et de réseaux) ou encore le français Talend (ETL)

De son côté, AltaOne Capital est un tout jeune fonds (créé en 2015) dont la stratégie revendiquée est « l'acquisition de participations significatives dans un nombre restreint de sociétés européennes, leader sur leur marché, avec l'objectif de leur permettre d'accroitre la valeur de leur activité ».

Un fonds jeune et à la surface financière plus réduite (estimée officieusement à environ 500 millions de Livres Sterlings)… mais pas dénué de talents éprouvés.

Dans ses deux fondateurs on retrouve en effet Shahriar Tadjbakhsh, américain d’origine iranienne qui maitrise le français à la perfection. Cet ex de Goldman Sachs a travaillé en France plusieurs années et est considéré par beaucoup comme l’as des as des techniciens dans la complexe discipline des fusions acquisitions. Il a par la suite dirigé Exor, le bras financier de la famille Agnelli (FIAT, Ferrari, Juventus de Turin).

Son associé, Behdad Alizadeh, est un ancien du fonds activiste américain Pardus Capital qui avait notamment investi dans Atos.

Quoiqu’il en soit, ces deux fonds ne sont pas des « fonds vautours » - à l’inverse d’Elliot Management – mais des fonds « activistes ». Autrement dit des actionnaires qui s’investissent activement dans la gestion, la gouvernance et la stratégie pour générer le plus de valeur possible avec leurs investissements financiers (là où des fonds vautours envisagent dès le départ une revente « par appartements »).

III - Jean-Michel Aulas et Patrick Bertrand vont-ils partir à la retraite ?

Non. Et ce serait bien mal connaitre « les bonhommes » - comme dirait Audiard - que de l’imaginer.

Le patron de l’Olympique Lyonnais restera Président du Conseil d’Administration. Reste juste à savoir comment ce CA sera impacté par les fonds activistes. Pour mémoire, il est aujourd’hui composé pour partie des anciens dirigeants des sociétés rachetées par Cegid. Quant à Patrick Bertrand, il restera Directeur Général de l’éditeur.

Bref, pas de changement de direction. Comme dit précédemment, Silver Lake et AltaOne ne sont pas des fonds vautours. Ils ont bien vu que l’opportunité qui s’offrait à eux n’était viable que s’ils donnaient les moyens à l’équipe en place de poursuivre son travail.

D’ailleurs, « à la demande du Consortium, Jean-Michel Aulas réinvestira dans Cegid Group […] une partie des produits de [sa] cession », explique le communiqué de Silver Lake. Un signe d’une implication renouvelée voulue par toutes les parties.

IV - On dit partout que CEGID a réussi sa transformation vers le Cloud : pourquoi ce besoin de capitaux alors ?

Tout simplement parce que ce n’est pas vrai. Cegid est en train de réussir sa transition vers le Cloud. La route est encore longue.

Cegid revendique fièrement 150 000 clients/utilisateurs en mode SaaS. Soit 30% de ses utilisateurs. Mais lors d’un entretien avec LeMagIT, Patrick Bertrand, Directeur Général de Cegid, précisait que seuls 17.7% de ses revenus en découlaient en 2014 (47 millions).

Certes, Cegid vend aujourd’hui moins de licences sur site que de SaaS, mais avec ces environ 20% de CA dans le Cloud, elle n’est pas encore totalement une « Cloud Compagy » (slogan de SAP... et de Oracle… et de Infor… et de etc.)

Côté infrastructure, Jean-Michel Aulas nous expliquait également que les rachats d’autres acteurs SaaS représentaient un défi technique très important. Le SaaS de Cegid s’appuie en effet sur un Cloud Privé fourni par IBM. Ce qui n’est pas le cas des autres « start-ups » qui ont toutes leurs infrastructures propres.

Tout comme SAP, Cegid va donc devoir achever « un grand chantier d’intégration entre Clouds ». Ce qui demande du temps, de l’argent, et des compétences coûteuses.

Idem pour les ambitions à l’international. Cegid peut viser les pays européens depuis ses datacenters en France. Mais pour des marchés plus lointains – et plus porteurs – c’est une autre histoire (un PoC est en cours en Asie, un partenariat signé avec Rackspace aux Etats-Unis, l’Afrique est en cours d’étude d’un point de vue infrastructure). L’éditeur va devoir investir lourdement pour se créer « un Cloud mondial » d’ici fin 2016 (objectif de Patrick Bertrand).

IV - Cegid à l’étranger justement, c’est quoi aujourd’hui ? Et demain ?

Pour l’instant, ce n’est pas encore grand-chose. Mais le potentiel est énorme.

Rappelons quelques chiffres clefs : aux Etats-Unis, après le rachat de JDS Solutions (solution Retail), Cegid a réalisé 7 millions de dollars de revenus en 2014. En Afrique, il a réalisé 1.8 millions d’euros pour 1.200 sites clients.

En tout, l’éditeur réalise entre 8 et 12 % (si l’on intègre Technomedia acheté fin 2015) de son CA à l’international. Principalement en Amérique du Nord et en Europe (45% environ pour chaque). Mais aussi pour 10% en Asie et en Afrique.

En termes de ventilation, en 2014, le retail représentait 87 % du CA des 15 filiales de l’éditeur. Filiales qui opèrent dans 75 pays. Les solutions de gestion représentent 11 %. Et le Manufacturing, 2%.

La part de l’international reste donc faible, mais elle est en forte croissance (+25%). Et surtout, elle est stratégiquement prioritaire pour Jean-Michel Aulas et Patrick Bertrand. Les deux dirigeants savent que dans une économie de l’IT mondialisée, il n’est pas possible de rester un acteur purement local.

Dans cette optique de conquête du monde, Cegid a mis la main en 2015 sur le français Altaven et ses solutions de gestion fiscale pour grandes entreprises (une manière d’attaquer l’international par les maisons mères).

Bref, Cegid a de forts atouts à faire jouer. Encore faut-il pouvoir les faire fructifier. L’arrivée de Silver Lake Partners et d’AltaOne Capital devrait, sur le papier, permettre de concrétiser ce potentiel.

Les faits bruts

Silver Lake et AltaOne Capital ont formé un consortium qui va acheter une participation représentant exactement 37,6% du capital social de Cegid Group. Cette part regroupe toutes les actions détenues par Groupama SA, Groupama Gan Vie et ICMI (société contrôlée par Jean-Michel Aulas). L’offre de rachat est qualifiée d’amicale par les parties en présence.

S’en suivra une offre publique – déposée auprès de l’AMF - pour le reste du capital à un prix égal à celui proposé aux deux principaux actionnaires actuels.

Une prime supplémentaire est prévue dans le cas où l’offre globale du consortium permettrait de racheter plus de 95 % du capital. Le but de cette prime est de motiver les actionnaires à vendre pour atteindre ce seuil. Celui-ci permettrait en effet le retrait pur et simple de Cegid de la cotation.

Jean-Michel Aulas s’est par ailleurs engagé à réinvestir dans le groupe une partie des produits de la vente des parts d’ICMI. L’histoire entre Cegid et son créateur est donc encore loin d’être finie.

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