Blockchain jette les bases de « l'économie programmable », dixit Gartner
Moins de corruption, chaîne d'approvisionnement simplifiée et même fin du spam : telles sont les belles promesses de l'économie programmable. Les registres que permettent le Blockchain en sont un ingrédient essentiel. Aux DSI d'y prêter attention.
Nouveau système économique fondé sur les décisions algorithmiques, données issues de services autonomes ou robotisés, notamment l'Internet des objets (IoT), l'économie programmable ouvre la voie à toute une gamme d'innovations technologiques.
Cette nouvelle économie, notamment la notion de « chaîne de blocs » (Blockchain) et de métamonnaie (metacoin) qui la sous-tend, porte en elle la promesse d'une amélioration de problématiques incroyablement variées : baisse de la fraude et de la corruption, simplification des transactions dans la chaîne logistique, ou même quasi-disparition du spam.
Lors d'une intervention au Gartner Symposium/ITxpo d'Orlando, en Floride, en octobre 2015, David Furlonger a dressé le panorama de ce que pourrait devenir l'économie programmable.
Pour illustrer ce concept, David Furlonger cite l'exemple d'un registre Blockchain (une base de données distribuée et décentralisée des transactions) au Honduras. Victime d'une forte corruption, ce pays est aux prises avec des fraudes aux titres fonciers. En effet, la base cadastrale y aurait été piratée, des bureaucrates ayant apparemment accordé des titres de propriété en échange de pots-de-vin.
« Soixante pour cent des propriétés foncières [du Honduras] n'ont pas de titre de propriété. Vous vous savez propriétaire d'une terre, vous vous rendez au cadastre et là, vous découvrez que quelqu'un d'autre a payé un pot-de-vin et que vous avez perdu la terre censée vous appartenir. »
Le gouvernement hondurien s'est saisi du problème : il envisage de recourir à la technologie de Factom. pour coder les titres fonciers dans un registre qui s’appuie sur une chaîne de blocs. « Le registre Blockchain est chiffré et horodaté de manière visible, explique David Furlonger. Quiconque veut devenir propriétaire d'un terrain peut trouver ces informations codées, horodatées et stockées en toute sécurité dans un registre distribué. Tout le monde au Honduras saura à qui appartient quoi dans le pays et ces fraudes ne seront plus possibles. »
Le secteur des diamants offre un autre exemple de la puissance de cette technologie. L’entreprise EverLedger élabore des fiches électroniques reprenant les caractéristiques propres des diamants. Ces fiches sont ensuite partagées dans un registre de type Blockchain. « Chaque diamant sur terre est unique lorsqu'on l'examine selon les 4 critères traditionnels (carat, couleur, pureté et taille, dits 4C en référence à l'anglais). La société est en train de créer un registre distribué qui documente tous les numéros de certificats et tous les 4C des diamants dans un registre en chaîne de blocs. Ainsi, même si un diamant est retaillé en 50 000 morceaux, il est impossible de frauder car on sait exactement de quel diamant il s'agit. »
Vers l'économie programmable
Ray Valdes, VP chez Gartner, décrit l’économie programmable comme une évolution de l'économie des API, dans laquelle les entreprises qui connectent leurs systèmes internes aux systèmes externes renforcent leurs capacités à faire des profits mais dans les limites qu'impose le cloisonnement des systèmes. Selon lui, Internet est en toute logique la prochaine étape de l'évolution vers l'économie programmable, car il constitue une « plateforme mondiale de contenu programmable. Il est décentralisé et forme un ensemble de normes communes. N'importe qui peut installer un serveur Web et le raccorder à ce tissu mondial pour accéder au contenu et, finalement, au commerce et à la communauté ».
Ray Valdes affirme que l'économie programmable est rendue possible par « une plateforme d'échange de valeurs distribuée à l'échelle mondiale. La seule inconnue est la forme qu'elle revêtira. » Il cite Bitcoin, qui repose sur la technologie Blockchain comme l'exemple éloquent d'une « plateforme mondiale décentralisée d'échanges internationaux pair-à-pair ».
Il estime que les limitations techniques de Bitcoin en termes d'évolutivité, d'agilité, de transactions et de gouvernance entraîneront inévitablement son échec. Et d'après lui, 90 % des projets reposant sur Blockchain lancés cette année échoueront dans les deux ans.
Mais cette technologie, qui motorise Bitcoin et les autres cryptomonnaies (qu'il nomme plateformes de métamonnaie), constitue une innovation réelle. « Par ce mécanisme, une population dynamique de milliers de parties non fiables, qui ne sont pas véritablement authentifiées, peut créer un registre sécurisé et fiable, irrévocable et non modifiable ».
Parmi les autres technologies utiles à l'économie programmable, citons le chiffrement par clé publique, l'authentification, les jetons et les API. « Les scripts sont au cœur de cette économie. C'est là que la partie programmable entre en jeu. Chaque transaction peut lancer un script, explique Ray Valdes. Dans son incarnation actuelle, le Bitcoin est un simple script, délibérément limité. Il n'est pas puissant parce qu'il faut pouvoir le contrôler, mais par ricochet il manque également de souplesse. On commence désormais à se tourner vers les plateformes de métamonnaie nouvelle génération, entièrement programmables ».
Selon le VP de Gartner, dans l'économie programmable, les scripts déclencheront des transactions et des interactions autonomes entre des réserves de valeur. « C'est pourquoi nous pensons que l'économie programmable va bouleverser les économies telles que nous les connaissons ».
Pour lui, les plateformes de métamonnaie prendront aussi en charge des systèmes auxiliaires. On pourrait par exemple construire un système de messagerie anti-spam dans lequel, pour envoyer un message, les utilisateurs devraient effectuer un micropaiement en métamonnaie par destinataire. Le coût d'envoi des spams passerait ainsi de la quasi-gratuité à une somme définie. Pour les spammeurs, l'équation économique serait alors tout autre, car ce coût pourrait bien dépasser le retour sur investissement attendu.
Au final Ray Valdes prévoit l'émergence de plusieurs plateformes de métamonnaie dans les cinq années à venir. Ces plateformes devront interagir et la tâche ne sera pas aisée. Toujours selon lui, ceci débouchera sur des tentatives de normalisation… qui échoueront. Mais des normes de fait émergeront.
Contrats intelligents et Internet des objets
Blockchain permet également de concevoir des « contrats intelligents ». Des contrats dans lesquels un jeton de valeur est associé à une logique de contrôle de comportement.
« Je peux par exemple donner 20 euros à mon fils de 15 ans. Si je lui donne cet argent en liquide, je ne sais pas comment il va le dépenser. A l'avenir, je pourrai lier cette somme à des règles : restauration rapide interdite, achat d'une place de cinéma autorisé mais pas en journée ».
Dans le secteur de l'assurance, Ray Valdes imagine un scénario. « Si je paie une prime [à une compagnie d'assurance], je ne sais pas si cette entreprise existera encore dans 20 ans [quand j'aurai besoin d'un remboursement]. Mais dès aujourd'hui, une somme d'argent est provisionnée conditionnellement pour cette éventualité et elle n'appartient pas à la compagnie. Elle se trouve dans le grand livre public décentralisé. Je n'ai pas besoin de me fier aux serveurs de ma compagnie d'assurances, ni aux serveurs centralisés de ma banque ».
L'Internet des objets aussi verra son avenir lié à l'économie programmable. « Nous évoluons vers une situation dans laquelle des agents programmables habitent un monde où toute chose peut être connectée à une autre et lui transférer de la valeur. L'Internet des objets peut aussi interagir avec d'autres entités. Celles-ci peuvent payer par transfert de valeurs, mais aussi créer et générer d'autres entités ».
David Furlonger imagine une société pétrolière qui placerait des capteurs sur ses pétroliers pour mesurer le taux d'évaporation du pétrole pendant le transport. Actuellement, les compagnies pétrolières estiment au jugé le volume de pétrole qui arrivera à destination et c'est cette estimation qui est inscrite dans le contrat régissant la transaction avant que la marchandise soit expédiée. « Ensuite, le pétrolier largue les amarres et lorsqu'il arrive à destination, tout le monde s'active pour modifier le connaissement et les contrats de contrepartie financière. Il y a beaucoup de tâches manuelles », dit-il.
L'installation de capteurs à l'intérieur des cuves de pétrole éliminerait ces incertitudes. « Dans les cuves, ces capteurs mesurent l'évaporation et seront reliés à des contrats intelligents qui évoluent à mesure que le pétrolier avance. Ce processus dynamique au cœur de la chaîne d'approvisionnement actualise en permanence les conditions économiques dans lesquelles il se déroule ».
Selon lui, un modèle de ce type pose au service IT d'importantes problématiques de gouvernance et de gestion des risques.
Conseils aux DSI : préparez-vous aux perturbations que va engendrer le Blockchain
David Furlonger invite en tout état de cause les DSI à s'intéresser aux différents « mécanismes de valeur » sur le point d'émerger en se posant les questions suivantes : « Qui a accès à ces mécanismes ? Ces personnes sont-elles disposées à vous fournir ces points de valeur en échange d'autre chose ? Comment vos systèmes les prendront-ils en charge ? Quelles sont les conditions d'une utilisation commerciale ? »
Les systèmes ERP actuels se focalisent sur un seul moyen d'échange et seraient donc incompatibles avec l'économie programmable. David Furlonger juge cette situation problématique.
Les entreprises devront aussi déterminer la meilleure façon d'utiliser les plateformes de métamonnaie. « Est-ce vraiment une question de dématérialisation des documents ? Est-ce un cas d'utilisation valable ? Ou s'agit-il plutôt de sécurité et de chiffrement, de la possibilité de recourir à un niveau de chiffrement élevé pour réduire la fraude ? Ou veut-on supprimer les frais intermédiaires sur les paiements ? ».
Selon lui, les DSI doivent préparer leur entreprise à des « chamboulement considérables, qu'ils accordent ou non du crédit à notre hypothèse. Les modèles économiques d'aujourd'hui nous laissent présager d'énormes perturbations. L'élimination des intermédiaires est en cours, que vous le vouliez ou non. »
David Furlonger recommande aussi aux DSI de sensibiliser les PDG à l'impact de l'Internet des objets et de l'économie programmable. Le modèle d'organisation des entreprises devra changer en conséquence. « La Société se transforme en une communauté collaborative du partage. Regardez votre propre entreprise à travers ce prisme ».
Enfin, conclut-il, les services informatiques doivent commencer à tester les technologies qui sous-tendent l'économie programmable. « Il va falloir mettre en place un labs de tests. Il est impensable d'utiliser l'environnement informatique standard. Alors commencez dès aujourd’hui à développer les solutions qu'il faudra valider à l’avenir. »
Cet article a été publié pour la première fois en novembre 2015 en anglais sur SearchCIO