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Orange condamné à une amende record de 350 M €
Dans une décision étonnante, le Conseil de la Concurrence a condamné Orange à 350 M$ d'amende pour certaines de ses pratiques commerciales sur le marché des entreprises. Il n'a pourtant pas retenu les accusations de pratique de prix prédateurs de Bouygues Telecom et SFR.
C’est une décision à la fois attendue et surprenante qu’a rendue le conseil de la concurrence contre Orange la semaine dernière. Faisant suite aux saisines de Bouygues Télécom et SFR (respectivement en 2008 et 2010, ce qui en dit aussi long sur les lenteurs de la justice en France), le conseil a décidé de condamner Orange à une amende record de 350 M € pour des pratiques qui se sont déroulées tout au long des années 2000 dans le monde des services télécoms fixes et mobiles aux entreprises.
Pas de prix prédateurs, mais des partages d'informations contestés entre services
Au vu du montant, on pourrait s’attendre à ce que les clients entreprises aient été lésés en masse par des pratiques tarifaires excessives ou que le conseil ait donné raison à Bouygues Télécom et SFR dans leurs analyses. Les deux opérateurs reprochaient en particulier à leur concurrent des pratiques tarifaires prédatrices. En fait, après avoir bien cherché, le conseil n’a trouvé aucune pratique prédatrice de la part de l’opérateur historique. Tant en analysant les cas présentés par SFR et par Bouygues, qu’en s’attaquant aux comptes de résultat de plusieurs grands contrats signés par l’opérateur.
Qu’est ce qui peut donc bien valoir à Orange de devoir s’acquitter ainsi d’une amende record de 350 M€ (qui finira dans les caisses de l’État). Le reproche le plus crédible est le manque d’étanchéité entre les services de l’opérateur qui a permis à certains commerciaux et gestionnaires de grands contrats d’obtenir des informations techniques auxquelles les concurrents ne pouvaient avoir accès. Orange opère en effet la base 42C, la base technique dans laquelle se trouvent l’ensemble des informations de la boucle locale en cuivre. Entre collègues, on se repassait ainsi des informations, parfois de façon formelle, parfois de façon informelle (entre la poire et le dessert). L’objectif était parfois d’obtenir des informations sur l’installation du client, et parfois d’accélérer son dépannage en cas de problème (un avantage dont ne pouvaient bénéficier les concurrents). Ce n’est pas bien, mais d’un autre côté, il va être très difficile d’interdire à des collègues de se parler à la cantine, ou alors, il faut créer une nouvelle réglementation contraignant les opérateurs à faire cantine commune.
Des pratiques de fidélisation jugées trop agressives
Un autre grief fait à l’ancien opérateur historique est d’avoir tenté de défendre ses parts de marché face à ses concurrents en recourant aux remises de fidélité et aux remises en volume. Sur le marché mobile, ce sont notamment le fameux programme Changer de mobile, et les remises « privilèges » - qui récompensent l’ancienneté par des réductions de tarifs - qui sont critiqués. Visiblement, le conseil de la concurrence apprécie mal que l’opérateur historique ait voulu limiter le churn de ses clients, pour éviter de les voir partir chez les concurrents. Selon le conseil, à une période, 89 % des clients Orange avaient souscrit à des offres avec engagement de durée, ce qui aurait limité les possibilités des concurrents. Le problème est que ces offres avec engagement étaient monnaie commune : à l’époque toutes les offres mobiles comportaient une clause d’engagement, souvent de 24 mois, et le jeu était effectivement de séduire les clients avec des offres sur les mobiles afin d’éviter le churn et d’inciter au renouvellement de l’engagement. Ces pratiques ne sont d’ailleurs pas limitées qu’au marché des mobiles. Dans le fixe aussi, nombre de contrats se signent pour des durées de 3 à 5 ans, selon leur degré de complexité.
Un autre grief fait à Orange est la pratique de remises en volume sur le marché fixe, une pratique qu’Orange assortissait aussi de contraintes d’exclusivité. On pourrait critiquer une telle approche, sauf que dans le cas présent, le conseil note l’absence de prix prédateurs. Rien n’interdisait donc aux concurrents de faire de même pour séduire le chaland.
Le marché des télécoms d'entreprises n'a rien à voir avec celui du grand public
En filigrane de la décision du conseil, on lit une forme d'incompréhension du marché télécoms entreprise. Ce dernier ne s’est jamais comporté comme le marché résidentiel. S’il est facile à un particulier de changer d’offre (et encore les histoires d’horreurs sont légion), cela est autrement plus compliqué pour une entreprise. Tout d’abord car aucune entreprise ne peut se permettre une quelconque interruption de ses moyens de communication. Ensuite, parce que les configurations d’entreprises sont autrement plus complexes que les configurations des particuliers. Migrer un VPN interconnectant plusieurs dizaines ou centaines de sites n’a rien à voir avec une migration d’une ligne mobile de particulier. Et l’on peut comprendre que nombre d’entreprises n’aient pas envie de changer d’opérateur. Surtout si ce dernier conserve des tarifs et des prestations compétitives.
On imagine aussi facilement qu’une entreprise puisse répugner à partager la gestion de son VPN entre deux opérateurs. Gérer deux contrats au lieu d’un, devoir batailler avec deux fournisseurs se renvoyant la balle, n’est pas forcément l’objectif dans la vie d’un responsable télécoms d’entreprise.
Des entreprises qui répugnent souvent à changer d'opérateur télécoms, en particulier dans le fixe
Enfin, la décision du conseil méconnaît aussi les errements propres aux concurrents d’Orange. Dans un marché échaudé par les faillites d’opérateur des années 2000 (qui se souvient d’Hermès Europe Railtail, de WorldCom, de KPN/Qwest ?), les entreprises ont appris à se méfier des nouveaux entrants, même parés des plus beaux atours.
Bouygues Telecom et SFR n’ont, qui plus est, pas toujours été en phase avec les attentes des clients : Bouygues Telecom a ainsi choisi initialement de ne se concentrer que sur le mobile. Ce qui a handicapé sa progression sur un marché d’entreprises souvent à la recherche d’un fournisseur unique pour leurs prestations télécoms. SFR de son côté a eu une histoire tumultueuse dans le fixe. Le mariage entre Cegetel et Neuf Telecom (ex-LDCom) - et avant lui les intégrations plus ou moins bien réussies d'opérateurs plus ou moins défaillants par LDCom (la liste inclut Siris, Firstmark, Kaptech, Worldnet et 9 Telecom) - et la fusion de SFR avec Neuf/Cegetel ont été autant d’occasions pour la firme de se fâcher avec son réseau de distribution ou avec certains clients. Et on n’entrera pas en détail sur certaines migrations ont pour le moins été « compliquées », vécus par certains clients dans le cadre de ces multiples fusions. Pendant ce temps, Orange n’apparaissait peut-être pas comme l’opérateur le plus dynamique du marché, mais certainement comme une valeur sûre pour des responsables d’entreprises désireux de s’éviter des soucis. Et si l’on ajoute la force de frappe commerciale de l’opérateur, la capilarité de son réseau et la richesse de ces équipes de support, on peut comprendre pourquoi l’opérateur reste le principal fournisseur de nombre d’entreprises françaises.
Orange n’a pas contesté les pratiques qui lui sont reprochées –ce serait difficile, elles étaient pour la plupart publiques et inscrites à son catalogue tarifaire – mais la firme va devoir les modifier en profondeur suite à sa condamnation.
Nul ne sait encore comment les clients seront affectés d’un point de vue tarifaire, mais on voit mal comment les prix pourraient ne pas être revus à la hausse dans certains domaines. Orange sera sans doute moins compétitif, et SFR et Bouygues pourront sans doute à la marge, améliorer un peu plus leurs parts de marché. De là à penser, que du fait de la décision du conseil, les clients entreprises vont commencer à zapper de fournisseurs Télécoms comme le font les particuliers…
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