Cisco déporte la téléphonie IP vers le Cloud
En dotant son service en ligne Spark de la fonction d’appel vocal et vidéo, sécurisée et administrable, Cisco propose ni plus ni moins aux entreprises de se débarrasser de leurs PBX.
Spark, l’outil de messagerie collaborative de Cisco, permettra désormais aussi de passer des appels vocaux et vidéo. Mais à la différence des solutions de téléphonie sur IP et de visioconférence que Cisco vend depuis des années aux entreprises, Spark est un service Cloud ; son déploiement se résume à payer un abonnement de 25 dollars par mois et par salarié. Il n’y a plus d’infrastructure matérielle de PBX ou de serveurs à installer et à maintenir dans le datacenter de l’entreprise client. « L’utilisation de la messagerie Spark en entreprise a permis de réduire de moitié les e-mails entre collaborateurs et d’un quart le nombre de réunions. Parce que c’est un outil extrêmement simple. Nous voulons que la téléphonie et la visioconférence le soient tout autant et c’est pourquoi nous les avons ajoutés à Spark », a déclaré Rowan Troloppe, le directeur général de la branche Collaboration Technology Group de Cisco, lors du Cisco Collaboration Summit 2015 qui se tenait mi-décembre à San Francisco.
Apparu en 2014, Spark s’est différencié de Jabber, la messagerie instantanée historique de Cisco, en introduisant la notion de salles de réunion virtuelles, capable de conserver dans le temps des documents de travail. Spark comprend par exemple un moteur de recherche pour retrouver toutes les informations partagées sur un sujet donné. « La grande différence avec un outil de messagerie grand public est que, d’une part, tout le contenu est stocké de manière cryptée ; Cisco ne peut pas lire les échanges entre les interlocuteurs. D’autre part, les utilisateurs sont gérés par un administrateur sur un portail web, de sorte que l’entreprise conserve la maîtrise de l’accès à ses données. Ce n’est pas le cas avec les outils de messagerie grand public comme iMessage d’Apple, où un salarié démissionnaire part en gardant tous les échanges sur son téléphone », explique Bruno Caille, qui chapeaute la branche Collaboration Business Solutions en France.
Un service en ligne local, sans PBX
Le service de téléphonie/visioconférence n’arrivera pas avant juin 2016. « Outre l’aspect technique de ce déploiement - nous devons installer des datacenters partout dans le monde pour assurer la qualité des communications vocales et vidéo -, il y a aussi des contraintes légales à résoudre. Nous deviendrions ainsi avec Spark un nouvel opérateur téléphonique, avec par exemple l’obligation d’offrir les appels vers les services d’urgence et ou encore celle de permettre l’interception des communications par les autorités. Notre stratégie est de travailler avec des opérateurs locaux, pays par pays, pour fournir ces fonctions », ajoute Bruno Caille. En attendant, un service Spark Hybrid en ligne devrait permettre d’accoler le profil de messagerie Spark à l’identifiant de téléphonie IP qu’un utilisateur des produits Cisco possédait déjà. En pratique, on échange au clavier depuis Spark sur un PC, on clique sur la fonction de conversation vocale et le téléphone Cisco sonne.
A terme, les équipements muraux de visioconférence et les téléphones IP de Cisco embarqueront un système Spark OS qui les reliera au service Cloud Spark afin qu’ils fonctionnent sans PBX. « Et toujours dans un souci de simplicité, chaque poste sera configuré avec le profil d’un utilisateur en faisant passer un QR Code devant sa caméra. Ce QR Code aura été envoyé comme e-mail de bienvenue à chaque salarié, depuis le portail Spark », se plaît à raconter Rowan Troloppe. Évidemment, l’application Spark apportera toutes les fonctions de communication depuis un PC ou un mobile.
Une adaptation secrète pour iPhone
En revanche, impossible de savoir officiellement en quoi consistera la version de Spark spécifique à l’iPhone que Cisco a largement plébiscitée lors de son Collaboration Summit. En coulisse, il se murmure qu’il s’agirait d’utiliser Spark comme le service de téléphonie de base de l’iPhone : il ferait sonner l’appareil sans qu’il soit besoin d’entrer dans l’application et on passerait un appel en cliquant sur l’icône du combiné téléphonique ou en faisant la demande à Siri. Apple lui-même se chargerait de l’implémentation, d’où l’obligation d’en garder le secret jusqu’à sa disponibilité finale. « Oui, nous sommes bien conscients qu’Android, aussi, est présent en entreprises. Mais considérez qu’il n’y a qu’un système à supporter pour tous les iPhone, alors qu’il faudrait s’adapter à une centaine de versions pour le système de Google. La balle est dans le camp des fabricants de smartphones Android. A eux de s’unir », lance Bruno Caille.
L’accord entre Cisco et Apple présente par ailleurs une opportunité pour les intégrateurs. « Nous pouvons vendre le pack complet : téléphones mobiles et service de communication. L’intérêt n’est pas de faire de la marge sur la vente d’iPhone - elle est maigre - mais d’être un intégrateur unique pour une solution globale », se satisfait Laurent Auzély, responsable pôle Réseaux et Communications Unifiées chez l’intégrateur français Exaprobe.
Un bouleversement pour les DSI et les intégrateurs
Pour le reste, le fait que Spark remplace l’offre très technique de communications unifiées par un simple abonnement à un service Cloud a plutôt tendance à bouleverser les intégrateurs. « Là, on ne parle plus aux DSI de technique. Nous parlerons aux métiers d’une nouvelle approche fonctionnelle. Nous ne discutons plus d’un nombre de téléphones à installer, mais d’accompagner les utilisateurs dans une nouvelle façon de travailler. Bref, nous devons, nous aussi, réinventer notre modèle », lance Laurent Auzély. Il imagine d’ailleurs que les projets de communications unifiées lui arriveront plutôt à présent d’autres intégrateurs, spécialisés sur des applications plus verticales.
Vincent Bazillio, directeur marketing des technologies chez l’intégrateur français Axians y voit l’opportunité d’être un partenaire de l’innovation pour les entreprises. « Il faut éviter le Big Bang. Les métiers se précipitent sur les services Cloud car ils leur évitent de passer par la DSI. Mais une entreprise ne peut pas laisser une direction métier travailler avec des outils déconnectés des autres. Nous devons être là pour soulever les problématiques de sécurité, de disponibilité, de pérennité et d’intégration. Et il nous paraît intéressant de ne surtout pas abandonner le DSI dans ce contexte », conclut-il. A noter que Spark se connecte aux passerelles matérielles Cisco Expressway ; ce qui lui permet à la fois de récupérer les profils utilisateurs depuis un annuaire d’entreprise, mais aussi d’assurer les communications pour les agents des call centers (y compris les conversations audio/vidéo en ligne depuis un site web, initiées par les produits Cisco CUCM et HCS).
En revanche, la stratégie de Cisco qui consiste pour l’heure à maintenir ses anciens services Cloud Jabber (messagerie instantanée simple) et WebEx (conférence vidéo en ligne) n’est pas très claire, d’autant qu’ils ne se connectent pas à Spark.
Cisco se targue d’avoir plus de 85 millions de téléphones IP déployés dans le monde, notamment dans les bureaux de pratiquement tous les grands groupes. Gartner le place en tête de son Magic Quadrant des communications unifiées, devant Microsoft et Avaya. D’après les observateurs interrogés sur le Cisco Collaboration Summit 2015 par le MagIT.fr, Cisco apporte de la collaboration mobile à son portefeuille de moyens de communication multimédia, tandis que Microsoft propose, via Skype for Business, de la communication multimédia aux clients de sa suite bureautique collaborative. Selon Research & Market, le marché de collaboration multimédia en ligne devrait atteindre 6,4 milliards de dollars en 2020, soit environ le double de ce qu’il pesait en 2014.