COP21 : Comment l'IT peut sauver la planète
Quel rôle peut jouer l'IT dans la lutte contre le dérèglement climatique ? Outre le fait de maitriser les émissions de ses datacenters, le secteur va jouer un rôle clé à l'avenir afin d'aider l'ensemble des autres secteurs à émettre moins de CO2. Une responsabilité mais aussi une opportunité colossale à saisir.
Si des géants de l'IT tels que Microsoft, Google, Facebook et des grands hébergeurs construisent des datacenters de plus en plus grands, l'impact de l'informatique sur les émissions mondiales de CO2 reste modeste. Le rapport SMARTer2030 publié par le GeSI (Global e-Sustainability Initiative) et Accenture fixe à 2,3% seulement la quantité de CO2 émise par l’IT. Mieux, ce même rapport considère que l'IT et les télécoms vont jouer un rôle dans la réduction de 20% des émissions mondiales de CO2 d'ici 2030. Ce sont 12,1 Gt de CO2 qui n'iront pas dans l'atmosphère grâce à l'informatique. C'est colossal.
Les secteurs économiques qui vont bénéficier le plus des nouvelles technologies, seront la mobilité (le transport au sens large) pour 3,6 Gt, devant l'industrie pour 2,7 Gt, l'agriculture et la construction pour 2 Gt chacun et enfin l'énergie pour 1,8 Gt.
En dépit de sa croissance, le secteur IT saura maitriser ses émissions de CO2
Un chiffre de l'étude Smarter2030 est plutôt paradoxal : celui du secteur ICT lui-même. Les chercheurs estiment qu'en 2030, les émissions du secteur représenteront 1,27 Gt "seulement", soit 2,3% du total des émissions de CO2 engendrées par l'activité humaine. Lors de l'édition précédente de l'étude, rédigée en 2012, les chercheurs avançaient le chiffre de 1,27 Gt de CO2 pour 2020 tandis qu'en 2008 il prévoyait encore 1,43 Gt. En dépit de l'accroissement considérable du nombre de smartphones, tablettes et autres objets connectés au niveau mondial, le secteur devrait parvenir à contenir ses émissions de CO2, voire à les réduire en partie.
Des initiatives telles que l'Open Compute Project ont commencé à repenser la manière dont on conçoit les serveurs et les équipements réseaux de manière à les rendre plus efficaces sur le plan énergétique. Cela a permis à Facebook d'afficher un PUE (Power Usage Effectiveness) record de 1,078 pour son datacenter de Prineville et de 1,082 pour celui de Forest City, alors que ce ratio est de l'ordre de 1,5 pour les meilleurs datacenters. Il est largement supérieur dans les salles machine de bon nombre d'entreprises.
Mais si le matériel progresse, les sources d'approvisionnement électrique reste une problématique forte pour l'environnement. La production d'électricité à partir de charbon est encore importante, y compris dans des pays développés comme les Etats-Unis ou l'Allemagne. Dans son rapport Clicking Clean, Greenpeace a pointé le poids des énergies sales dans le mix-énergétique de grands acteurs du Cloud comme Oracle, Microsoft, HP, Amazon Web Services. Une contre-publicité qui pousse de plus en plus de fournisseurs à privilégier les énergies renouvelables lors de la construction de nouveaux datacenters. Ainsi, en 2012, Greenpeace avait souligné que 55% de l'électricité consommée alors par Apple provenait du charbon. Trois ans plus tard, Apple affiche 87% d'électricité provenant d'énergies renouvelables et même 100% dans ses nouvelles implantations chinoises.
Mais outre cette maitrise des émissions du secteur, ce qui sera beaucoup plus significatif pour notre environnement est l'impact qu'aura l'IT sur les autres secteurs d'activité. Entre les éditions 2008 et 2015 de l'étude du GeSI, l'estimation de cet impact est passé de 7,8 Gt à 12,08 Gt, preuve que l'informatique et les télécommunications seront la clé de la baisse des émissions de CO2 pour beaucoup d'industries traditionnelles.
SmartGrid, la porte d'entrée vers les renouvelables
Le SmartGrid est sans nul doute le domaine où l'impact de l'informatique est le plus évident. Le déploiement de compteurs intelligents, c'est-à-dire connectés comme le Linky d'ERDF, va permettre à tous de pouvoir influer sur la consommation électrique. La simple mise à disposition de la consommation quotidienne d'électricité pousse les abonnés à restreindre leur consommation. L'expérience TicElec menée par le CNRS et l'Université de Nice Sophia Antipolis a récemment montré que les ménages disposant de cette information quotidiennement modifiaient naturellement leur comportement et voyaient leur consommation chuter de 23%.
Mais outre cet effet sur les consommateurs, c'est sur le réseau de production et de distribution que l'IT va apporter les plus grands bouleversements. En rendant le réseau intelligent et connecté, celui-ci va être plus efficace dans la distribution d'énergies, mais va surtout pouvoir se montrer plus flexible alors que les énergies renouvelables vont monter en puissance. Beaucoup des solutions envisagées, dont le solaire et l'éolien, sont des énergies intermittentes et le réseau de distribution va devoir réagir en temps réel face à la montée ou la baisse de production de tel ou tel moyen dans une région donnée. L'intelligence du réseau doit compenser en temps réel ces fluctuations avec les autres sources d'approvisionnement à sa disposition. La situation va se compliquer plus encore lorsque chaque foyer ou chaque entreprise sera équipé de panneaux solaires et de batteries Tesla ou telles que Eaton/ Nissan s'apprêtent à commercialiser. Chacun pourra devenir producteur d'énergie et injecter dans le réseau son énergie excédentaire.
Seule une "intelligence" dans le réseau va permettre de faire face à l'intermittence de ces sources renouvelables mais aussi à l'essor attendu de la voiture électrique. L'étude Smarter2030 chiffre à 1,8 Gt la baisse des rejets de CO2 que l'on devra au SmartGrid - sachant que les économies engendrées par le "Smart Building" pourront atteindre jusqu'à 2 Gt. Un marché potentiel de 800 milliards de dollars à se partager pour les acteurs de l'IT positionné sur ce juteux marché.
Le transport : secteur où le potentiel de gains est le plus fort
Si le SmartGrid est l'application la plus évidente, les gains que va apporter l'IT dans le secteur du transport et de la mobilité au sens large sont beaucoup plus grands. Quelques 3,6 Gt de CO2 seront potentiellement économisés grâce à la transformation numérique de nos moyens de transport et surtout de nos habitudes.
L'économie la plus importante est bien évidemment réalisée par les déplacements évités grâce au numérique. La généralisation du videoconferencing, notamment à l'international, permet aux entreprises aujourd'hui très internationalisées d'obtenir des gains très significatifs en termes de réduction d’émissions de carbone, notamment lorsque ces conférences impliquaient des déplacements en avion. Selon le rapport SMARTer2030, si seulement 100 heures de travail de chaque salarié étaient transformées en "E-Travail" chaque année, cela représenterait une économie de l'ordre de 500 milliards de dollars pour les entreprises. Autre piste à développer, le e-Learning. Dans l'étude, Accenture table sur 450 millions d'adeptes aux cours par Internet en 2030.
En outre, la mise en place de services en ligne d'auto-partage, que ce soit grand public tels que BlaBlaCar mais aussi au niveau des entreprises avec des services comme Zipcar et ALD Sharing sont des pistes à suivre.
En parallèle à ces changements de nos comportements dans la mobilité, l'IT et tout particulièrement les objets connectés, vont permettre d'optimiser la logistique et donc permettre des économies sur les transports et les stocks inutiles qui alourdissent le bilan carbone des entreprises. Une "Supply Chain" temps réel où chaque palette, chaque véhicule est localisé en temps (presque) réel, c'est non seulement la promesse d'une logistique optimisée, mais aussi de meilleurs informations sur l'état de la demande et la possibilité d'offrir une meilleure expérience client en limitant au maximum les produits indisponibles chez les distributeurs.
De la même manière, grâce aux objets connectés, au Big Data et aux nouvelles approches prédictives en matière de gestion des stocks et de la maintenance, l'industrie devra bénéficier de l'essor des objets connectés. L'évaluation quantifie à 2,7 Gt de CO2 épargnée le mouvement vers le "smart manufacturing".
Enfin, le secteur de la santé peut espérer réaliser des économies substantielles tant pour les services de santé que sur leur impact environnemental. La médecine à distance, que ce soit la consultation via videoconferencing et les objets connectés comme les tensiomètres, électrocardiogrammes ou glucomètres connectés, pourrait concerner 1,6 milliard d'êtres humains à l'horizon 2030.
Lutte contre les émissions de CO2 ne signifie pas forcement décroissance
L'étude estime qu’une manne de 6 500 milliards de dollars va se déverser sur le secteur de l'IT d'ici 2030 afin de servir les objectifs de réduction des émissions de CO2 – ceux qui vont être pris lors de la COP21. Une manne pour tout un secteur, non seulement pour les grands de l'informatique et du Cloud, les équipementiers télécoms, mais aussi pour de nombreuses startups qui vont défricher de nouveaux marchés.
Parmi les 20 projets les plus innovants sélectionnés par une communauté d'experts du climat et de l'innovation de Solutions COP21 (exposition qui a lieu sous la nef du grand palais pendant la conférence) : Partnering Robotics. Cette start-up de Cergy a mis au point le robot DIYA ONE. Celui-ci a été conçu pour arpenter à longueur de journée les couloirs et les open spaces des entreprises afin de purifier l'air ambiant. Un robot 100% français qui bénéficie du soutien du programme de l'Union européenne SPARC et dont le marché potentiel est mondial.
Autre acteur à suivre, M2ocity, la start-up créée en 2011 par Veolia et Orange. Positionnée sur le marché du déploiement des objets connectés, qu'ils soient compteurs d'eau, d'électricité ou de gaz, M2ocity mise sur le marché de la connexion des compteurs de 35 millions de foyers français d'ici 2021, mais aussi sur la connexion des bennes à ordures pour optimiser la collecte des déchets, des places de stationnement pour les municipalités, des capteurs de bruit et de qualité de l'air, de la température et encore le pilotage de l'éclairage public... M2ocity connecte déjà 1,6 million d'objets dans 2 000 villes en France.
Citons enfin ce qui est sans doute le projet le plus fou en ce moment : celui de la startup canadienne Carbon Engineering Ltd. Celle-ci travaille sur le concept de modules qui vont aspirer l'air ambiant pour en extraire le CO2 afin de rejeter de l'oxygène et produire du carburant avec le carbone extrait. Basée à Calgary, Carbon Engineering Ltd. a déjà construit un module de démonstration afin de valider son concept. Son système de capture du CO2 fonctionne effectivement. La start-up construit maintenant sa première usine de démonstration. Bientôt, une usine d'oxygène à côté de chaque raffinerie, de chaque centrale électrique, c'est le rêve de David Keith, climatologue de l’université de Harvard qui a fondé Carbon Engineering.