Salon Smartcity + SmartGrid : la bataille des réseaux pour objets connectés est lancée
Les annonces relatives au lancement de nouveaux réseaux Lora étaient au cœur des discussions sur le salon Smartcity+SmartGrid. Les industriels des objets connectés, mais aussi les opérateurs, vont devoir choisir entre les réseaux cellulaires LTE-M d'un côté, et de l'autre les réseaux bas débit de Sigfox ou ceux des opérateurs alignés sur la norme LoRa. Pas simple.
Paradoxalement, ni Sigfox, ni aucun opérateur de télécom n’était présent cette année sur le salon Smartcity+SmartGrid. Pourtant, l’actualité des réseaux M2M était au cœur des discussions dans les allées du salon et nombreux étaient les exposants à afficher à la fois le logo Sigfox et "LoRa Alliance" sur leurs stands.
Ces réseaux très bas débit de nouvelle génération se posent comme le moyen de communication numéro 1 des objets connectés. Jamais les choses n'ont autant bougé dans le petit monde du M2M depuis l'essor de ce que l'on appelle maintenant l'internet des objets.
La réussite de Sigfox auprès des investisseurs et la myriade de nouveaux acteurs qui se posent en concurrents du français dans le cadre de LoRa montre le dynamisme retrouvé de ce secteur.
Après Bouygues Telecom au mois de mars, la startup angevine Qowisio en juin, Orange en septembre, c'est au tour d'Archos, le constructeur de smartphones français bien connu, à proposer à son tour une connectivité LoRa. Plutôt positionné sur le marché grand public, celui-ci propose une mini antenne LoRa, le PicoWAN, à placer dans une prise électrique pour relier à Internet les objets connectés de la maison. Le français se rêve en opérateur LoRa si suffisamment de clients installent ces prises électriques afin de couvrir le territoire.
A la différence du cellulaire, la portée de LoRa comme de Sigfox est très grande et permet de couvrir un vaste territoire avec relativement peu d'antennes. C'est notamment ce qui explique que Sigfox ait entrepris une conquête à l'international impressionnante avec la France, le Benelux, l'Espagne, le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Italie prochainement, et les Etats-Unis annoncés.
Pour les opérateurs d’infrastructure de distribution des eaux, d’éclairage public, l’heure du choix approche et pour beaucoup un réseau ne va pas s’imposer sur les autres, mais plusieurs solutions vont devoir cohabiter.
Le cellulaire compte vendre chèrement sa peau
Devant l'arrivée tonitruante de ces nouveaux réseaux très bas débit, les spécialistes du M2M sur réseaux cellulaires font le gros dos. Le GPRS, la 3G offre des débit bien supérieurs à ces réseaux très bas débits, mais les frais d'abonnement sont bien plus élevés, les puces de communication bien plus chères et consommatrices d'énergie et la couverture cellulaire est loin d'être parfaire.
Frédéric Salles, président de Matooma, un fournisseur de cartes SIM multi-opérateurs pour le M2M pointe le débit très faibles de ces réseau dits UNB (Ultra Narrow Band) : « Ils offrent de très petits débits là où nous sommes positionnés sur le petit, moyen et haut débit. Les données transférées seront de l’ordre de quelques octets, et cela ne concerne qu’une faible partie des projets ».
Pour mémoire Matooma compte 1.200 clients, dont Securitas, Crédit Agricole, Europ Assistance, Mondial Assistance, le SAMU de Paris pour les défibrillateurs connectés, Vinci pour ses horodateurs, Véolia pour la télérelève de ses compteurs d'eau.
La norme LTE-M que préparent les opérateurs cellulaires parviendra-t-elle à contrer l'essor de Sigfox et des réseaux compatibles LoRa ?
Orange et Bouygues Telecom ont choisi de miser sur les deux tableaux. « Face à toutes ces solutions, les industriels sont perdus » estime Frédéric Salles.
« Les réseaux sont complémentaires et le choix doit se faire en fonction de l’usage. Pour une application mondialisée, le choix ira vers le cellulaire car la norme est internationale. Un client peut déployer tant en France, aux Etats-Unis qu’en Australie. On sait fournir une tarification unique, nous resterons fidèle au cellulaire. Nous préférons miser sur la normalisation apportée par LTE-M ».
En pointe dans l'IoT, la France montre la voie
Cette question de la normalisation internationale s'est posée lors des sessions publiques du salon et Gabor Pop, responsable marketing solutions chez Actility, une start-up positionnée dans le déploiement de réseaux IoT sur la technologie LoRa, a défendu le choix de LoRa comme standard.
« Le problème de norme internationale ne se pose pas. La France est reconnue mondialement comme un expert IoT et nous sommes en train de déployer des réseaux LoRa et Sigfox un peu partout dans le monde. Les standards mondiaux sont français ! Il y aura des réseaux Sigfox et LoRa dans tous les pays et les problèmes d'interopérabilité ne se posent pas. Sur Sigfox, la problématique du roaming n'a pas lieu d'être et sur LoRa, ce problème est en train d'être résolu. Orange pourra un jour passer des accords avec Swisscom ou KPN, le standard LoRa le permettra dans les prochains mois. Ces deux technologies françaises sont en train de s'imposer comme des standards mondiaux ! Je ne vois pas de standards aussi forts émerger dans les autres pays actuellement ».
En visitant le salon, on pouvait constater que les fournisseurs d'équipements se rallient tant à Sigfox qu'à LoRa dont les logos étaient omniprésents. Un vrai succès pour LoRa alors que les réseaux ne sont pas encore entrés en service.
Exemple de cet engouement, Atim Radiocommunications qui présentait sur le salon un modem Sigfox a connecter aux compteurs d'électricité ou de gaz existants. Luke Carden, au service ventes livre quelques détails sur ce modem. « Il vient se plugger sur un compteur et envoie ses données sur le réseau Sigfox ou LoRa. Le prix d’un tel modem est de l’ordre de 200 euros pour une durée de vie de l’ordre de 7 ans en tout autonomie. GDF Suez intègre nos modems sur plusieurs de leurs projets, nous leur en avons vendu environ 2 000 à ce jour. »
Si l'offre commerciale Sigfox est maintenant bien connue des professionnels, ce n'est pas encore le cas des offres concurrentes LoRa. Les opérateurs sont en train d'installer les antennes et le secteur reste suspendu dans l'attente des tarifs qui seront pratiqués par les opérateurs.
Luke Carden souligne que « l’intérêt de LoRa, c’est aussi que l’on peut constituer son propre réseau. On peut acheter un concentrateur et envoyer des données depuis les modems LoRa jusqu’à ce concentrateur et se passer d’opérateur. Actuellement, pour LoRa, nous avons essentiellement des demandes pour mettre en place des liaisons point à point, d’un modem à un autre. »
Plusieurs moyens de communications vont devoir cohabiter
Si ces réseaux très bas débit vont révolutionner le secteur, ce ne sont pas les seules solutions disponibles pour un industriel qui veut connecter ses produits ou une ville dans le cadre d'une stratégie SmartCity.
Hervé Bibollet, directeur commercial de Webdyn, constructeur de concentrateurs M2M souligne : « En termes de technologies radio, ce qui est « à la mode » en ce moment chez nos clients, c’est le Wireless M-Bus, LoRa, Sigfox, mais aussi le Wavenis qui est plus ancien, mais qui est toujours utilisé. C’est la partie mesh des réseaux M2M. Ensuite on envoie les données dans le système d’information en GPRS ou en Ethernet. »
Les industriels peuvent aussi utiliser la bande de fréquence des 868MHz, une bande "libre" aujourd'hui très utilisée.
« Sigfox et LoRa ne sont pas encore déployés par nos clients » affirme Hervé Bibollet. « LoRa et Sigfox apportent surtout une nouvelle vision du réseau M2M, avec cette notion d’opérateur qui n’existait pas jusqu’à maintenant dans ce secteur. Jusqu’à présent, il fallait concevoir son réseau privé, installer des concentrateurs en pied d’immeuble pour faire les relevés. Désormais, l'industriel n'aura plus à s’occuper de l’infrastructure, son objet sera vu directement via le Cloud. Par contre le débit, la qualité du signal va être plus ou moins bonne. Si une partie de la ville est mal couverte par l'opérateur, que devra-t-il faire ? Mettre en place une seconde technologie ? Ce n’est pas si simple ».
Et de poursuivre : « la technologie radio de Sigfox ne suffit pas. Sigfox et les opérateurs LoRa vont essayer d’aller dans des marchés de volume or ces technologies ne sont pas adaptées car elles présentent de trop faibles débits, sont trop limités en termes d’échanges. Ces réseaux ont sans doute un gros avenir devant eux mais il faut trouver les bons cas d’usages ».
Ce problème de couverture réseau, fortement présent dans le cas des réseaux cellulaires, n'est pas totalement résolue par ces réseaux UNB. C'est la raison pour laquelle Sigfox a annoncé en septembre 2015 qu'il allait intégrer la technologie « SmartLNB » d'Eutelsat à ses puces. Les objets connectés ainsi équipés bénéficieront d'une connectivité satellite dans les endroits où le signal radio est de mauvaise qualité voire inexistant.
Le SmartGrid et les SmartCities, futurs moteurs de l'IoT
La SmartCity, où ville intelligente, a été évoquée à de multiples reprises lors de l'édition 2015 du salon. A l'heure des baisses de budgets imposées par l'Etat, Isabelle Flory, directrice des ventes entreprises et institutions pour l'Europe de l'Ouest d'Intel s'est voulue optimiste.
« Le SmartGrid se fera car les opérateurs de réseaux électriques ont un intérêt direct à ce que cela se fasse. Ils ont fait leurs calculs de ROI et c'est intéressant pour eux. Cela leur permettra de faire face à l'augmentation de la complexification de leurs réseaux, notamment avec l'arrivée des sources d'énergies renouvelables. Pour les SmartCities, c'est plus complexe car il y a beaucoup de résonnance sociétales. Il est plus facile de bâtir une SmartCity dans un pays totalitaire que dans une démocratie ! En France, la baisse des budgets des collectivités sera un facteur d'accélération, c'est un peu paradoxal. Une autre contrainte sera le climat et la rareté des ressources. les citoyens seront plus sensibles à ces sujets et cela entrainera plus d'innovations dans ces domaines. »
Là encore, la bataille des standards sur les innombrables objets connectés que l'on va trouver dans une SmartCity apparaissent pour beaucoup comme un frein majeur à leur essor.
Sébastien Lalaurette spécialiste du monde industriel et de l'IoT chez Wind River explique que « pour les villes intelligentes, les initiatives doivent venir des villes elles-mêmes. Elles se focalisent généralement sur un secteur particulier qui leur est cher. Cela peut être l'éclairage intelligent, le parking dans la ville. Une ville très avancée sur la question, c'est Dubaï qui a un plan ambitieux à l'horizon 2020. Un des problèmes dans ce type de projet reste celui de l'interopérabilité des équipements fournis par les industriels. Les gros clients devront imposer des standards sinon il devront en subir de multiples et essayer de les faire cohabiter entres eux ».
Isabelle Flory balaye cette problématique d'un revers de main, misant sur le Big Data pour résoudre ces problèmes techniques. « Les standards de communications sont intéressants, car la spectre des fréquences est une ressource rare et il peut être intéressant d'avoir des standards. Mais pour ce qui est des villes, il ne faut pas vouloir tout standardiser, on y arrivera pas. Dieu merci , on dispose aujourd'hui de technologies Big Data comme Hadoop qui permettent de travailler sur des données hétérogènes et d'en extraire de la valeur ».
Un discours volontariste alors que beaucoup dans l'assistance se montraient plutôt hésitants face aux enjeux de standardisation, de sécurité, de protection des données personnelles. Que ce soit en termes de réseaux, de Cloud et de Big Data, la technologie est au rendez-vous, aux décideurs de franchir le dernier pas.