Assises du Géomarketing : les défis de la géolocalisation de masse
Plus que jamais, les entreprises ont besoin du géomarketing pour optimiser leurs réseaux de distribution et améliorer le ROI de leurs opérations marketing. Mais, en marge de ces usages « classiques » de la cartographie, elles doivent aujourd’hui totalement revoir leur stratégie numérique pour intégrer la géolocalisation de leurs clients.
Organisées par l’éditeur GEOCONCEPT, les Assises du Géomarketing viennent de se tenir à Paris sur le thème de la géolocalisation. L’éditeur y a fait venir plusieurs de ses clients et partenaires pour qu’ils évoquent les usages actuels les plus en pointe de la cartographie et les premiers projets qui exploitent la géolocalisation des clients, aujourd’hui rendue possible grâce au Web et au mobile.
Certains de ces usages sont relativement classiques, d’autres beaucoup moins.
Premier utilisateur à témoigner sur ses projets, Maison du Monde, une enseigne de décoration et d’ameublement. Créée en 1996, celle-ci est déjà présente dans 12 pays, mais reste une marque jeune : sa direction marketing n’a été créée qu’il y a deux ans et Maison du Monde n’utilise la solution GEOCONCEPT que depuis un an seulement. Une preuve que beaucoup d’entreprises françaises restent encore à équiper, en dépit des nombreux éditeurs de solutions de cartographie présents sur notre marché.
« Nous nous sommes lancés sur le géomarketing avec un double objectif », a expliqué Bruno Gallini, responsable Connaissance Clients chez Maisons du Monde « Il s’agissait d’une part d’utiliser le géomarketing du point de vue stratégique, pour étudier le maillage de nos points de vente, les éventuelles cannibalisations entre magasins et étudier leurs zones de chalandise. Nous voulions aussi utiliser les données de géomarketing d’un point de vue opérationnel, pour nos prises de paroles CRM et marketing. »
Maison du Monde a fait le choix de GEOCONCEPT considérant qu’il s’agit de la meilleure solution pour automatiser la génération des 180 rapports cartographiques destinés à ses points de vente.
Le cahier des charges a été rédigé en août, le contrat signé en septembre et les premiers rapports étaient en place dès le mois d’octobre. « Nous savons aujourd’hui où sont les trous dans la raquette de notre réseau de distribution, et où nous avons de la cannibalisation. Nous souhaitons maintenant estimer le potentiel commercial des zones, les potentiels de marchés par commune afin d’optimiser notre réseau et arriver à un maillage optimal avant de basculer nos analyses à l’international. »
Autre profil d’utilisateur des outils GEOCONCEPT, La Française des Jeux.
Un utilisateur de longue date de la cartographie et qui a déployé l’outil cartographique en 2011 pour la gestion de son réseau de courtiers mandataires. « GEOCONCEPT était déjà déployé pour d’autres directions de la Française des Jeux », confirme Florian Mahieu, Responsable support commercial de l’entreprise. « Nous avons voulu dresser un état des lieux. Il fallait passer à autre chose que la carte Michelin et le Stabilo ! Nous avions besoin de mieux comprendre ce qui se passait dans notre réseau commercial. Nous voulions rationnaliser nos 150 secteurs commerciaux. Nous nous sommes aperçus après avoir fiabilisé notre cartographie que certains secteurs étaient trop importants par rapport à ce que nous voulions mettre en place. Nous devions homogénéiser leur taille pour gommer le rapport de 1 à 10 qui existe aujourd’hui entre les secteurs, en matière de chiffre d’affaires. »
Appuyée sur l’outil cartographique, la mutation du réseau Française des Jeux n’a véritablement débutée que l’année dernière. Elle devrait s’achever en 2016.
La géolocalisation crée un lien entre physique et numérique
Face à ces projets finalement assez conventionnels dans le domaine du géomarketing, Didier Robert, directeur général de GEOCONCEPT a évoqué l’impact de la géolocalisation sur les processus de géomarketing actuel.
« C’est une dimension nouvelle qui est donnée aujourd’hui au géomarketing. Que ce soit au niveau du Web ou sur les mobiles, il y a aujourd’hui énormément de collecte d’informations. Étonnamment, on ne s’en sert pas énormément, c‘est tout l’enjeu aujourd’hui. Cette collecte a des applications utiles comme Google Maps, qui est l’application la plus téléchargée dans le monde. Elle permet de faire apparaître des business models innovants voire disruptifs comme Tinder ou Uber. Sans géolocalisation, Uber ne fonctionnerait pas. Un autre domaine d’utilisation, c’est l’efficacité marketing. Certains l’utilisent depuis longtemps, à l'image d’Amazon, dont les algorithmes de personnalisation utilisent le parcours Web du visiteur, mais aussi sa position géographique. La géolocalisation, c’est la passerelle entre le monde réel et le monde numérique. »
C’est cette géolocalisation qui permet à une enseigne de repérer son client dans un de ses points de vente au moment même où il entre, et non plus au moment où il passe en caisse et donne sa carte de fidélité. Une nuance de taille.
Didier Robert évoque aussi l’intérêt d’exploiter la géolocalisation du visiteur Web, et ce, même en environnement B2B - pour diffuser sur le site des annonces différentes si le visiteur est à proximité ou pas d’un point de vente de la marque. « Cela fait vraiment du sens que de marier la géolocalisation au marketing, cela ouvre une nouvelle ère au géomarketing. L’information existe, il faut l’exploiter », conclut le directeur général de GEOCONCEPT.
Et aussi
A ces scénarios, Arnaud Contival, PDG de la société de conseil A.I.D. est venu décrire sur scène des dispositifs plus sophistiqués qu’il a été amené à déployer chez ses clients, notamment pour Renault.
« Il est facile de géolocaliser une adresse IP et, en fonction de cette information, on peut afficher une bannière venez dans votre concession préférée. Il y a aussi la possibilité d’activer ce que l’on appelle le « geofencing », c'est-à-dire détecter que le visiteur entre dans une zone proche de la concession. Si celui-ci est passé sur le site Renault et a réalisé la configuration d’une Clio, alors l’application va proposer au prospect de faire un détour et d’aller dans la concession à proximité pour essayer le modèle en question. Technologiquement, il y a plusieurs moyens de récupérer cette information. On peut s’appuyer sur les données de fréquentation Web, on peut enrichir cette information avec la géolocalisation dont les fichiers sont disponibles en Open Data. Tout cela vient enrichir le référentiel par itérations. On récupère l’information GPS depuis l’application mobile et on enrichit le référentiel en temps réel. »
Autre exemple donné par Arnaud Contival, celui de Norauto.
Le spécialiste du pneu a mis en place un processus couplé à l’abandon de panier. Si l’internaute choisit ses pneus en ligne ou sur l’application de l’enseigne mais ne conclut pas la transaction, un dispositif de « geofencing » est activé. S’il passe à proximité d’un centre Norauto et si la référence de pneus qu’il a choisie est en stock dans ce centre, un SMS lui est envoyé pour l’inviter à s’arrêter afin de changer ses pneus.
« C’est actuellement le genre de dispositifs que nous déployons chez nos clients. La promesse est de réconcilier le physique et le numérique afin de permettre aux enseignes de la distribution d’être plus performantes que les pure-players du E-Commerce. »
Le tracking des mobiles révolutionne les études marketing
Si le mobile révolutionne le marketing opérationnel et le commerce, il remet aussi en cause la façon dont les études marketing sont réalisées.
Parmi les solutions présentée lors de ces Assises et actuellement utilisées en France, on trouvait Flux Vision, l’offre de géolocalisation des mobiles commercialisée par Orange Applications for Business (OAB).
Celle solution de géomarketing permet d’évaluer précisément les flux de personnes sur des zones géographiques bien précises. « L’idée est d’utiliser les données techniques de notre réseau afin de livrer des indicateurs de flux de mobilité des personnes et des véhicules à nos clients », explique Jean-Luc Chazarain, Directeur des offres Big Data et Flux Vision chez OAB. « Notre réseau génère en permanence des millions de données techniques puisque les mobiles sont géolocalisés par rapport à la carte SIM avec une précision de 100 m autour de l’antenne. Nos algorithmes de géolocalisation permettent de suivre les personnes et les véhicules et d’évaluer la fréquentation de sites. »
Toute les données amassées par Orange pour ce service sont anonymisées. Il n’est donc pas possible de tracer un individu afin de lui faire une proposition commerciale. Par contre, ce type d’information de fréquentation est plus fiable que ce qu’il est possible d’obtenir par enquêtes sur le terrain.
Il intéresse de nombreuses entreprises, depuis les parcs de loisir, les stations de ski - comme c’est le cas de la Compagnie du Mont Blanc qui utilise l’outil pour évaluer les flux de visiteurs de la vallée du Mont Blanc en provenance d’Italie, de Suisse ou encore de l’aéroport de Genève, d’où provient une bonne part des touristes anglais qui fréquentent la région en hiver.
Les réseaux bancaires sont aussi friands de cette donnée géospatiale.
Jean-Luc Chazarain évoque le cas de BNP Paribas pour qui Orange analyse la fréquentation des agences. « Nous observons en permanence, toutes les demies heures et 24h sur 24, la fréquentation autour de l’agence sur un rayon de 100 à 150 m aux alentours. Nous avons placé une petite antenne relai dans certaines d’entre elles pour savoir ce qui se passe dans l’agence ainsi que sur le trottoir. Nous analysons ainsi les flux de personnes sur des parcours pouvant aller jusqu’à 30 km, puis nous introduisons des données socio-démographiques comme les catégories d’âge et les catégories socioprofessionnelles. L’outil mis à la disposition de nos clients leur permet d’afficher ces données à tout moment pour toutes leurs agences. Les menus déroulants permettent de sélectionner la période de leur choix. En fonction de ces informations, ils peuvent ainsi optimiser les horaires d’ouverture des agences en observant la fréquentation, mais aussi adapter le profil des conseillers. Si le mercredi, la clientèle est plutôt « junior », ils vont plutôt positionner des conseillers en ouverture de compte. Si le samedi après-midi, ce sont des séniors, ils placeront un conseiller en patrimoine. En outre, lorsque l’antenne est toute proche, ils peuvent même modifier l’affichage en vitrine pour adapter la communication au public qui fréquente la zone autour de l’agence. »
Anonymisation ou accord préalable : à chacun de choisir selon ses contraintes
Le marketing dispose maintenant des moyens techniques pour mettre en place des dispositifs extrêmement ambitieux pour pousser un internaute à acheter. La protection de la vie privée des individus dans ces projets qui mêlent allègrement géolocalisation et Big Data pose un vrai problème en France. Car si les géants américains du Web ne se soucient guère de cette problématique, les entreprises françaises doivent se plier à la législation.
L’anonymisation peut apparaître comme une bonne solution pour ne pas tomber sous le coup de la loi informatique et liberté. Le retargeting sur Internet a démontré que l’on pouvait parfaitement suivre à la trace un internaute et lui pousser des bandeaux personnalisés sans même avoir à connaître son identité.
Néanmoins, anonymiser des données géospatiales est plus complexe qu’il n’y parait. Il ne suffit pas de remplacer le nom d’une personne par un identifiant anonyme. Il faut que l’identification d’une personne par son comportement soit rendu impossible.
Pour pouvoir lancer ce service, Orange a travaillé pendant plus d’un an avec la CNIL sur le volet anonymisation des données. Cela a eu des conséquences sur l’architecture même du système puisque l'anonymisation est réalisée dans le réseau, au plus près des antennes.
Stéphane Petitcolas, Ingénieur expert de la CNIL souligne que « selon votre projet, si vous souhaitez cibler l’ensemble de vos utilisateurs, obtenir leur consentement peut s’avérer extrêmement compliqué. Cela peut valoir la peine de se lancer dans un projet d’anonymisation. Mais si vous focalisez sur un nombre de personnes relativement réduit, des personnes que vous pouvez contacter facilement, vous avez beaucoup plus de chance de vous casser les dents sur le processus d’anonymisation que de respecter les obligations légales, c'est-à-dire obtenir un consentement averti. C’est quelque chose d’essentiel aujourd’hui car beaucoup d’entreprises se lancent dans l’anonymisation mais ce n’est pas la panacée universelle. »