Réseau : NTT revendique le record mondial de transmission par fibre optique
L’opérateur japonais a réussi à transmettre des données à la vitesse de 389 Tbit/s sur 1 000 kilomètres, avec des fibres qui véhiculent 31 fois plus d’impulsions sur 12 flux similaires. Et, ce, grâce à une technologie utilisée en Wifi et 5G : le MIMO.
Dans ce qu’il affirme être une première mondiale, et dans la continuité des avancées en matière de technologie optique qu’il a réalisées tout au long de l’année 2024, l’opérateur télécom japonais NTT annonce avoir établi une communication par fibre avec un débit de 455 Tbit/s maintenu sur 53,5 km.
NTT indique que ce débit serait 50 fois meilleur que celui auquel on aurait dû s’attendre sur une fibre avec des émetteurs et des récepteurs traditionnels de chaque côté. NTT est par ailleurs parvenu à maintenir un débit de 389 Tbit/s avec la même technologie, mais cette fois sur une distance de 1 000 km.
Pour parvenir à un tel débit, NTT a utilisé une technique que l’on employait jusqu’ici seulement sur les antennes de communication radio 5G et Wifi : le MIMO.
Le MIMO pour augmenter le débit en corrigeant le décalage entre les ondes
En Wifi et en 5G, le MIMO a deux fonctions. Il se sert des différentes antennes d’un émetteur et d’un récepteur, soit pour envoyer des flux différents en parallèle (cela augmente le débit), soit pour envoyer plusieurs flux similaires afin qu’ils se corrigent l’un l’autre à l’arrivée, malgré les obstacles que chacun peut rencontrer. Cette deuxième approche vise à augmenter la fiabilité. Elle l’augmente d’ailleurs tellement qu’il devient possible d’émettre des bits de données beaucoup plus rapidement ; le débit de données est d’ailleurs plus important avec cette approche qu’avec l’envoi en parallèle de flux différents.
Précisons. Lorsqu’une borne Wifi communique, par exemple, à 5 GHz, ces 5 GHz correspondent à la finesse du signal, soit des ondes successives séparées de 6 centimètres. Pour autant, il n’est pas possible de communiquer à la vitesse de 5 Gbit/s, en utilisant chaque onde pour porter un bit. Déjà, parce que l’encodage fait la différence entre des 0 et des 1 en fonction de la distance qui sépare deux impulsions successives. Et, surtout, parce que les perturbations de l’environnement vont décaler les ondes (rebonds, ralentissements en traversant la matière, interférences, etc.), si bien que des 0 pourraient in fine passer pour des 1, ce qui corromprait la communication.
Pour parer ce problème, il faut laisser passer de nombreuses ondes entre deux bits, ce qui réduit drastiquement le débit. Le MIMO, qui va corréler les ondes transmises par plusieurs antennes, permet ici de corriger les décalages, si bien qu’il devient possible de réduire la quantité d’ondes qu’on laisse passer entre deux bits d’informations.
Appliquer le MIMO à des fibres multinoyaux
Sur une fibre optique, le problème est le même, mais à une autre échelle. La fréquence utilisée est 192 THz, soit des ondes successives espacées de 0,00153 millimètre (1 530 nanomètres). À cette taille, les ondes peuvent être décalées dans la fibre même lorsqu’elle est enterrée, à cause des vibrations de la pluie, du vent ou de travaux alentour.
Et c’est plus particulièrement le cas aux endroits où deux segments de fibres sont joints, par soudure, par des connecteurs, ou par un amplificateur de signal. Car, non, on ne sait pas encore fabriquer une fibre de 1 000 km de long. De la même manière, on laisse donc passer de nombreuses ondes entre chaque bit pour éviter toute équivoque quant à leur signification.
Les opérateurs télécoms font déjà passer plusieurs fibres dans leurs câbles – jusqu’à 200 – afin de véhiculer des flux parallèles. Pour autant, il n’est pas possible d’utiliser le MIMO pour corréler ces flux entre eux, car les fibres sont trop espacées les unes des autres sur de trop longues distances.
Cependant, il a été récemment mis au point des fibres multinoyaux capables de véhiculer elles-mêmes plusieurs flux. Le problème de ces fibres est que, pour être standard, elles doivent avoir un diamètre de 0,125 millimètre. Or, il est très compliqué de maintenir plus de dix flux différents à cette échelle au niveau des jointures. En revanche, si ces noyaux véhiculent les mêmes flux, il devient alors possible d’utiliser le MIMO pour corréler les ondes à l’arrivée et corriger les décalages. Il devient même possible d’augmenter le nombre de noyaux pour augmenter la précision du MIMO.
C’est l’idée de NTT. Le MIMO lui permet de réduire le nombre d’ondes vides entre deux bits et, donc, d’envoyer plus de bits. Plus exactement, NTT envoie 31 fois plus de bits sur des fibres possédant 12 noyaux. En l’occurrence, NTT n’a pas d’émetteurs capables d’envoyer 31 fois plus de bits, mais il a cumulé les signaux de 31 émetteurs sur le même signal transmis en 12 exemplaires parallèles. Et, tout de même, NTT a utilisé des émetteurs capables d’émettre des signaux en 15 Tbit/s, alors que les équipements traditionnels communiquent plutôt en 10 Tbit/s.
C’est donc en combinant ce débit plus important par émetteur, l’assemblage des bits de 31 émetteurs sur un seul signal optique et les ralentissements dus aux jointures entre les segments de fibres, que NTT est finalement parvenu à véhiculer 50 fois plus de données que ses concurrents.
IOWN, le projet d’une infrastructure Internet photonique
En plus de constituer un progrès essentiel, ces nouvelles fibres sont un élément clé de l’initiative Innovative Optical and Wireless Network (IOWN) de NNT, dont la mission principale est de « transformer la science-fiction en science factuelle », argumente l’opérateur sur son site dédié. Il s’agit ni plus ni moins que de proposer une infrastructure Internet où « les technologies de la vitesse de la lumière amélioreront la vie quotidienne, le travail et la société dans son ensemble ». L’objectif principal est de s’adresser à un monde qui évolue rapidement vers l’optique, un monde qui remplace « les électrons par des protons », dit encore l’opérateur.
Chez NTT, l’IOWN couvre trois domaines de recherche : les réseaux entièrement photoniques, les jumeaux numériques et une « fondation cognitive ». Cette dernière consiste tout simplement à entraîner ou faire fonctionner des IA en faisant travailler des GPU sur des données distantes. Le travail à distance, comme si les communications avaient lieu sur un réseau local, est aussi à la base des jumeaux numériques, où un industriel pourrait piloter en temps réel une usine en Asie à partir d’une maquette affichée en 3D en Europe.
Selon NTT, ses fibres optiques à très haute vitesse ont pour objectif de réduire par 100 la consommation d’énergie des réseaux, de multiplier par 125 leurs vitesses de transmissions et de diviser par 200 les délais entre l’émission d’une information et sa réception.