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Quantique : pourquoi tout le monde y va alors que rien n’est prêt
Fournisseurs et pouvoirs publics se sont réunis chez Sopra Steria pour dire à quel point il était urgent de s’approprier les technologies quantiques avant qu’il ne soit trop tard. D’autant que des cas d’usage existent dans l’industrie, le spatial et la défense.
Bien que les ordinateurs quantiques ne soient pas encore totalement opérationnels, les premières applications voient le jour dans des simulateurs et des ordinateurs dits bruités. En fait, tout le monde se lance prématurément pour ne pas rater le train. Telle est la conclusion d’une rencontre récente sur Paris consacrée à l’informatique quantique et organisée par Sopra Steria.
Mohammed Sijelmassi, le directeur technique de Sopra Steria, résume ainsi l’engagement de toute la filière dans ce domaine : « dans la deeptech, il vaut mieux plonger dans l’inconnu aujourd’hui, plutôt qu’être spectateur demain ».
Amandine ReixSous-directrice spatial, électronique et logiciel, Direction Générale des Entreprises
« Quel que soit l’état d’avancement, il faut se lancer maintenant, car c’est un tel changement de modèle que cela va tout bouleverser. Même si les véritables ordinateurs quantiques n’arriveront pas avant 3 à 5 ans, il faut commencer dès maintenant, car trop de personnes sous-estiment d’adoption des équipes internes », abonde Chloé Poisbeau COO chez Alice & Bob.
« Au-delà de l’ordinateur lui-même, l’objectif est de révolutionner les usages et c’est aussi pour cette raison qu’il est nécessaire que les entreprises se les approprient afin d’obtenir une avance concurrentielle. Pour ce faire, plusieurs pistes sont possibles : partenariats de recherche, achat de temps de calcul », illustre Amandine Reix, sous-directrice spatial, électronique et logiciel, Direction Générale des Entreprises.
Une révolution à ne pas rater
« Il s’agit pratiquement d’un devoir économique, citoyen. On se plaint souvent que la France soit passée à côté de pas mal de révolutions technologiques. Dans le cas du quantique, nous sommes en capacité de construire une industrie européenne avec des acteurs forts, du même niveau que les acteurs américains. Pour le moment », lance Valerian Guesz cofondateur & COO de Quandela, qui place le sujet à un niveau géopolitique.
« Les industriels américains soutiennent les entreprises du quantique et il faut que les Européens fassent la même chose. Nous avons l’opportunité d’avoir le Airbus du quantique », ajoute-t-il.
Pour y parvenir, il faut selon lui associer le monde de la Recherche et les entreprises, afin d’aller le plus rapidement possible dans les usages.
Valerian GueszCofondateur & COO de Quandela
Thierry Bonhomme de l’académie des technologies renchérit : « il y a une ardente obligation à ce que l’ensemble des industriels s’emparent de ce domaine, afin d’envisager une nouvelle manière de procéder dans la résolution des problèmes. Et, ce, quel que soit leur secteur d’activité ». Il ajoute que les métiers de la finance seront fortement impactés, de même que la cryptographie, laquelle est un sujet d’État.
Premières livraisons de machines en 2024
Quandela a livré cette année une première machine quantique à un client, OVHCloud. On note aussi des collaborations entre le Crédit Agricole et Pasqal. Quandela affirme également travailler avec le constructeur automobile BMW sur un modèle hybride quantique/supercalculateur autour de la voiture autonome.
« Il y a un vrai enjeu à court terme de coupler des supercalculateurs avec des ordinateurs quantiques pour prendre le meilleur des mondes et développer de nouvelles applications », précise Valerian Giesz. « Dans le domaine du Machine learning, et plus généralement de l’IA, l’ordinateur quantique va apporter une sorte de révolution en couplant GPU et QPU », ajoute-t-il. Parmi les autres clients avec lesquels travaille Quandela figurent TotalEnergies ou encore la SNCF, via Sopra Steria.
Michel Kurek, PDG de Multiverse Computing, illustre un cas d’usage : « nos technologies sont utilisées pour compresser des LLMs. Par exemple, nous avons réussi à diminuer Llama dans un facteur de 93 %. Nous perdons environ 2 % en termes de précision et gagnons de 25 % à 50 % dans le temps d’exécution, donc autant d’énergie économisée ».
Charles PraudDirecteur du développement des programmes quantiques, Sopra Steria
Parmi ses clients, le Crédit Agricole a réussi à diviser par trois la taille de son modèle de Machine Learning et à accélérer d’autant sa vitesse d’apprentissage.
Six déploiements sont en cours parmi les clients de Sopra Steria, notamment chez Telefonica, en Allemagne, pour optimiser le trafic Internet dans un réseau mobile.
« Nous nous sommes emparés de ce sujet voici deux ans en investissant dans le fonds Quantonation et en devenant de fait l’un des actionnaires des nombreuses start-ups du quantique. Nous avons construit une offre, un écosystème pour adresser 3 grandes familles d’usage que sont l’optimisation, la simulation et le chiffrement post-quantique », indique Charles Praud, directeur du développement des programmes quantiques au sein de Sopra Steria.
La nécessité de rattraper SpaceX
Toutefois, c’est dans le domaine du spatial et de la défense que les avancées sont aujourd’hui les plus significatives.
Stéphane Oriol, chef de projet Recherche & Technologie au CNES (Centre National d’Études Spatiales), travaille sur le transport spatial intelligent, une discipline qui intègre du hardware avionique, du logiciel de contrôle des vols et des données. Les priorités du CNES sont l’accès à l’espace, et ce, de manière indépendante.
« La question essentielle est pourquoi le CNES investit dans le quantique, alors que la technologie n’est pas encore concurrentielle par rapport à du HPC », lance Stéphane Oriol. « Le coût du kilogramme en orbite a été divisé par deux en soixante ans de conquête spatiale. SpaceX l’a divisé par cinq en dix ans. Nous sommes donc en train de vivre une véritable rupture. Et si nous ne nous préparons pas à réagir à cette rupture, nous serons largués ! »
Selon lui, il faut prendre de l’avance sur ce qui fonctionnera demain. Et le quantique en fait partie. Il évoque les dix ans de développement d’un lanceur comme Ariane 6 pour une durée similaire d’exploitation : « en conséquence, il convient de prendre immédiatement le virage quantique sous peine de souffrir de vingt ans de retard d’un coup », poursuit Stéphane Oriol. « Il y a un travail d’appropriation de la technologie. Il convient de le faire nous-mêmes en premier lieu pour former ensuite les partenaires et les embarquer avec nous ».
Dans le spatial, le calcul quantique doit notamment permettre d’optimiser la trajectoire idéale d’un lanceur pour réduire les consommations de carburant. L’algorithme utilisé actuellement sur un supercalculateur est très gourmand en ressources. Le CNES s’est appuyé sur un émulateur quantique pour faire des tests, puis sur une véritable machine quantique IBM nommée Kyiv.
« Il s’agit d’une machine à 127 qubits. Les résultats sont bruités, donc il faut s’y reprendre à plusieurs fois, mais cela fonctionne », témoigne Stéphane Oriol.
D’autres cas d’usage concernent la segmentation d’images satellitaires sans passer par un entraînement de modèle dédié en amont, l’étude du dioxyde de sulfure, ou encore le sondage de l’atmosphère.
La Défense en pointe
Simon Marsol, directeur technique pour les domaines Défense & Sécurité Europe, chez Sopra Steria, intervient auprès des acteurs de l’industrie de défense, du ministère des Armées, du ministère de l’Intérieur, ainsi que des ministères de la Justice au niveau européen. Il explique que cela représente 25 % de l’activité du groupe.
Simon MarsolDirecteur technique pour les domaines Défense & Sécurité Europe, Sopra Steria
« Nous travaillons sur des sujets cyber, du renseignement, de la biométrie, des enquêtes, sur la gestion des passages aux frontières. Le tout sur des géographies importantes en Europe. Dans ces domaines, nous ne présentons pas l’entreprise comme une ESN, mais comme un industriel capable d’apporter des solutions accélératrices. Et ces solutions s’appuient sur le quantique », dit-il.
Une vingtaine de produits ont été développés et les différents exercices organisés par les différentes armées cadencent l’innovation.
« Le quantique est surtout utilisé pour l’optimisation de la logistique dans un environnement interallié. Ou encore pour la recherche opérationnelle. De même, la cybersécurité périmétrique traditionnelle n’est plus suffisante. Là encore, il convient de penser dès le départ en mode post-quantique pour ne pas se faire distancer », martèle Simon Marsol.
En termes d’ingénierie, il assure que des collaborations sont en cours avec des entreprises comme Airbus, Safran, Renault ou encore des partenariats académiques..