Intel : le PDG Pat Gelsinger s’en va

Le patron d’Intel, revenu il y a trois ans pour sauver l’entreprise après dix années d’erreurs stratégiques, n’aura pas eu le temps d’aller au bout de son projet. Le conseil d’administration vient de lui signifier qu’il partait à la retraite.

L’effet Steve Jobs n’aura finalement pas eu lieu. Pat Gelsinger quitte le poste de PDG d’Intel, après avoir essayé en vain de relancer son activité économique pendant trois ans. La nouvelle a pris de cours le marché en début de semaine. Officiellement, il s’agit d’un départ soudain à la retraite, une formulation polie tricotée par le conseil d’administration d’Intel, qui a plus exactement décidé de le mettre à la porte le plus vite possible.

On lui reproche des résultats calamiteux. Sa restructuration d’Intel en entités dédiées, là, au design des processeurs et, là, à leur fabrication, n’a pas servi à freiner le succès de ses concurrents. Nvidia est devenu le plus gros vendeur de puces. AMD lui prend de plus en plus de parts de marché dans les datacenters. TSMC reste de loin le fabricant préféré de semiconducteurs.

Punition ultime : les 8,5 milliards de dollars d’aide que Washington avait décidé d’offrir à Intel, dans le cadre du CHIPS Act, pour relancer son activité sur le sol américain, ont finalement été réduits à 7,86 milliards de dollars le 26 novembre dernier. Le gouvernement des USA a en effet jugé que l’entreprise encore dirigée par Pat Gelsinger n’aurait probablement pas la capacité d’atteindre tous ses objectifs.

Intel n’a pas ressuscité comme Apple l’avait fait

Contraint d’éponger une chute de 61 % du cours en bourse depuis son arrivée et un déficit qui atteint 1,6 milliard de dollars, Pat Gelsinger avait en effet pris la décision douloureuse cet été de se séparer de 15 % de sa masse salariale (15 000 emplois) et de réduire ses dépenses de 10 milliards de dollars. Dans la foulée, ses projets de construction d’usines en Europe étaient gelés.

D’abord gourou technico-technologique d’Intel pendant 30 ans, Pat Gelsinger en avait été chassé une première fois en 2009, quand les actionnaires avaient jugé préférable de recentrer leur image sur les usages. Alors que Pat Gelsinger rebondissait chez EMC en prenant la tête de VMware, le leader mondial des semiconducteurs Intel chutait de son trône en passant à côté des puces pour téléphonie mobile. Au bord de la faillite, le fondeur avait rappelé à sa tête Pat Gelsinger en 2021, dans l’espoir que cela se passe comme avec Apple, lequel a ressuscité en réembauchant son fondateur Steve Jobs.

Las, malgré trois ans d’efforts, Pat Gelsinger ne sera jamais parvenu à rattraper le retard technologique qu’Intel a cumulé pendant son absence.

Dix ans d’erreurs stratégiques à rattraper

Les raisons de la situation d’Intel remontent à l’aube des années 2010, lorsque le fondeur refuse d’investir dans des processeurs très basse consommation pour les appareils mobiles. Ce faisant, il laisse le Taiwanais TSMC s’enrichir en mettant ses usines de semiconducteurs à la disposition de quiconque se lance dans de tels designs. Intel ne s’y attendait pas, le succès de la téléphonie mobile est immense et TSMC gagne tellement d’argent qu’il peut investir de plus en plus rapidement dans la modernisation de ses usines.

À la fin de la décennie, TSMC a désormais des usines plus performantes que celles d’Intel : capables de graver les semiconducteurs avec une meilleure finesse, elles peuvent produire des puces qui ont plus de cœurs, plus de cache et qui, à consommation égale, calculent plus vite.

C’est à ce moment qu’AMD, le vieux concurrent moribond d’Intel, revient au-devant de la scène avec des processeurs Epyc pour serveurs deux fois moins chers et plus puissants que les Xeon d’Intel. C’est à ce moment aussi qu’Apple rompt son juteux contrat avec Intel pour développer lui-même les processeurs de ses Mac. Et c’est à ce moment enfin où Nvidia, jusque-là fabricant de cartes graphiques pour le jeu vidéo, décline ses produits en cartes accélératrices pour le supercalcul. Tous font fabriquer leurs puces chez TSMC.

Des actionnaires pressés d’en finir

Quand Pat Gelsinger arrive chez Intel en 2021, les usines du fondeur ont déjà deux générations de retard. Le nouveau patron a beau s’efforcer de séparer les comptabilités, de trouver des designs qui compensent la différence de finesse de gravure, d’ouvrir ses usines aux clients extérieurs, de revendre les unités les moins rentables, de mouiller la chemise pour arracher des investissements publics aux USA et en Europe, rien n’y fait.

Et pour cause, c’est toute une décennie d’erreurs stratégiques qu’il doit rattraper. Sa stratégie va nécessairement nécessiter plusieurs années pour se concrétiser. Un temps long que les actionnaires d’Intel, vissés sur le cours en bourse de l’entreprise, n’avaient manifestement pas.

À la fin de l’été, Qualcomm, qui vend des puces ARM pour appareils mobiles et personnels, annonçait son intention de racheter Intel. La semaine dernière, il se ravisait : finalement, il pourrait attendre qu’Intel soit démantelé pour n’en racheter que les morceaux vraiment intéressants..

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