OVHcloud : « Nous voulons être le fournisseur de l’informatique quantique »
L’hyperscaler français se mobilise pour donner accès aux différentes technologies quantiques. Même si celles-ci sont encore à l’état de prototype, il est persuadé qu’il se positionne ainsi sur un segment critique. En France, l’État veut en tout cas le croire.
OVHcloud se veut le pionnier mondial d’une activité qui n’existe pas encore vraiment : distributeur de services de calcul quantique. Et c’est sur cette activité-là que la nouvelle ministre du numérique, Clara Chappaz, a insisté dans son discours de soutien à l’hyperscaler français, lors de l’événement annuel que celui-ci a organisé la semaine dernière à Paris.
« Il faut saluer le travail d’OVHcloud auprès des startups du quantique. OVHcloud a franchi l’étape de l’achat privé de capacités de calcul quantique. En mars dernier, une startup française du quantique, Quandela, a fourni le tout premier ordinateur quantique à un Français, OVHcloud, figure de proue du cloud européen. Il est mérité de mettre cela en lumière, c’est le symbole de l’arrivée de l’informatique en dehors des laboratoires de recherche. »
Clara ChappazMinistre du Numérique
« L’informatique quantique est une technologie qui rebattra un certain nombre de cartes, elle représente le futur du calcul, ces calculs qui sont le socle de nos sociétés technologiques. Il faut mesurer à quel point les capacités du quantique sont cruciales dans la simulation des systèmes chimiques, pharmaceutiques, financiers, climatiques. Les défis sont immenses. »
« Pour accompagner ce mouvement, la mobilisation de l’état est là. Elle s’est traduite par de nombreux programmes qui consistent à consolider les acteurs du quantique forts en France et en Europe. En particulier avec le plan France 2030. Mais s’il est très bien d’avoir un certain nombre de technologies, il est encore mieux qu’elles puissent être utilisées par les entreprises, par tout l’écosystème. Je fais donc le vœu que cette vision que porte OVHcloud, acheter des ressources quantiques pour le mettre à la disposition des entreprises, perdure. »
« Je suis certaine qu’avec la mobilisation d’acteurs comme OVH nous allons transformer notre écosystème du quantique, que nous allons faire émerger de très grandes sociétés. Je veux donc vous assurer que la France continuera à soutenir OVHcloud, nous avons besoin d’OVHcloud », a déclaré Clara Chappaz.
Pas encore capable de calculer aussi bien que les ordinateurs classiques, l’informatique quantique promet qu’elle parviendra un jour à résoudre en un clin d’œil des problématiques qui prennent des semaines, des mois, des années à être traitées par les infrastructures actuelles. Elle se base sur les propriétés quantiques des particules élémentaires. Les photons, les atomes, les électrons sont autant de qubits qui peuvent stocker plusieurs états superposés (respectivement une amplitude de polarisations, de niveaux d’énergie et de spins) alors que les bits en informatique classique valent soit 0, soit 1.
De fait, il ne faut en théorie que 10 qubits pour stocker 128 octets, contre 1 024 bits d’ordinaire. Outre l’économie de mémoire, cette superposition d’états permet surtout de trouver en une instruction la réponse qui se combine le mieux à un problème, alors qu’un ordinateur classique doit évaluer une à une toutes les possibilités.
Problème, les prototypes actuellement en développement peinent non seulement à assembler autant de qubits qu’il y a de bits dans les RAM ordinaires, mais aussi à maintenir ces qubits opérationnels jusqu’à la fin d’un traitement. Le passage d’un photon, ou même la proximité d’un autre qubit suffisent à les geler prématurément dans un état aussi aléatoire qu’inutilisable.
En amont de l’utilisation d’ordinateurs quantiques enfin opérationnels, il y a surtout l’enjeu d’apprendre à les programmer. C’est le service que rend OVHcloud en proposant pas moins de six simulateurs pour tester des algorithmes sur autant de technologies quantiques différentes. Via cette porte d’entrée, l’hyperscaler français compte s’imposer demain comme le fédérateur principal des services quantiques.
Pour mieux comprendre cette stratégie, LeMagIT est parti à la rencontre de Fanny Bouton, responsable des programmes quantiques et startups chez OVHcloud (en photo en haut de cet article). Interview.
Comment faut-il qualifier les services quantiques proposés aujourd’hui par OVHcloud ? S’agit-il d’une véritable activité commerciale ou juste d’une vitrine technologique ?
Fanny Bouton : Il s’agit d’une véritable activité, qui fonctionne. Nous avons lancé six émulateurs quantiques ces trois dernières années pour poser le cadre. Ils permettent d’apprendre à développer des algorithmes capables de traiter jusqu’à 20 qubits. Ils donnent l’opportunité aux clients qui veulent se lancer dans le quantique, qui veulent créer des équipes sur ce sujet, de mettre le pied à l’étrier.
Ces services coûtent moins de 2 euros de l’heure. Ils sont très accessibles. Plus de 2 000 notebooks ont été créés. Les utilisateurs comprennent beaucoup d’étudiants, de chercheurs, mais aussi de grands groupes, des entreprises du CAC 40 qui commencent à se positionner sur ce type de développement.
20 qubits, ce sont des cas d’usage très limités, non ?
Fanny bouton : Aujourd’hui, nous annonçons la connexion à un premier vrai ordinateur quantique de 100 qubits dès 2025. Alors, certes, ce ne sont pas encore de gros ordinateurs quantiques. Il faudra dix à quinze ans avant d’arriver à la suprématie quantique. C’est-à-dire le stade où l’ordinateur quantique pourra surpasser les supercalculateurs.
Fanny BoutonResponsable des programmes quantiques et startups, OVHcloud
Notre proposition est véritablement de proposer des qubits en émulation, de laisser l’utilisateur voir si son algorithme fonctionne en émulation et, désormais, de lui permettre de vérifier que cet algorithme fonctionnera avec de vrais qubits. Passer par le cloud a un vrai intérêt dans le sens où nous permettons aux utilisateurs – des chercheurs, des écoles, des industriels, des entreprises – de se connecter à des machines qui n’existent qu’en R&D, et qui sont extrêmement coûteuses.
Après, il est d’ores et déjà possible d’atteindre ce que l’on appelle l’avantage quantique. C’est-à-dire utiliser un véritable ordinateur quantique pour n’exécuter qu’un bout d’algorithme et le faire plus rapidement que ne le ferait un supercalculateur.
Attendez. Vous voulez dire qu’il existe déjà des ordinateurs quantiques qui sont réellement plus performants que des ordinateurs classiques ?
Fanny Bouton : On parle beaucoup du chiffrement, parce que c’est le cas d’usage le mieux compris du public. Mais il est déjà possible en effet de calculer plus rapidement sur un ordinateur quantique existant des simulations de molécules, des optimisations de trajectoire. Certes, il s’agit pour l’heure de tous petits avantages. Mais l’avancée est certaine. Dans deux ou trois ans, nous atteindrons 500 qubits. L’informatique quantique suit la loi de Moore. Tous les ans, le nombre de qubits double sur tous les prototypes.
Fanny BoutonResponsable des programmes quantiques et startups, OVHcloud
Et il est important de noter que cela concerne aussi les prototypes français. En France, nous sommes particulièrement bien positionnés dans la course à l’informatique quantique.
À ce stade, les prototypes d’ordinateurs quantiques suivent tous des directions technologiques très différentes. N’est-ce pas un problème ?
Fanny Bouton : En tout cas, nos clients ont le choix de pouvoir exécuter leurs algorithmes sur tous les types de plateformes. Alors, bien évidemment, à un moment, le marché arrivera à maturité et il ne restera plus qu’une ou deux machines quantiques. Mais grâce à OVHcloud, vous serez alors prêt pour la bonne machine.
Plus important, OVHcloud permet de favoriser l’écosystème européen. Car, clairement, même si nous ne savons pas quelle machine restera à la fin, nos concurrents américains, nous le savons très bien, vont chercher à favoriser leur marché. Il fallait qu’il y ait un acteur qui donne accès aux machines quantiques françaises et européennes, qui aide ces startups à être visibles sur la scène mondiale.
Fanny BoutonResponsable des programmes quantiques et startups, OVHcloud
Clairement, nous ne sommes pas encore dans une phase de business. Nous sommes dans une phase d’exploration. Nous sommes là pour inventer le futur, pour inventer le cloud de demain, pour pousser la réussite de technologies en montrant aux utilisateurs qu’il existe certaines machines qui exécuteront mieux certains algorithmes.
Lorsque des ordinateurs quantiques seront opérationnels, pourquoi les entreprises passeraient-elles par vous pour y accéder ? N’auront-elles pas plus intérêt à se connecter directement à ces ordinateurs ?
Fanny Bouton : les concepteurs d’ordinateurs quantiques ne savent pas faire de cloud. Ils ne savent faire que des ordinateurs quantiques. Pour connecter leurs clients à leurs machines, Pasqal, Quandela ou Alice & Bob passent déjà par OVHcloud. Parce que c’est le seul endroit où ils trouvent la bonne machine virtuelle pour dialoguer avec la machine quantique. Les entreprises ont besoin d’avoir un portail chez un fournisseur de cloud.
Et puis, lorsque les machines quantiques seront opérationnelles, des problèmes de sécurité vont se poser. Actuellement, ces machines sont hébergées dans les locaux de leurs startups. Demain, elles devront fonctionner depuis de vrais datacenters. À ce moment-là, OVHcloud aura sûrement intérêt à les acheter pour les héberger, car c’est son métier de sécuriser les machines, de les opérer, de les connecter à un stockage, de les proposer avec un label SecNumCloud. Ce n’est pas celui des startups du quantique.