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Numérique responsable : pourquoi la KPI carbone doit guider vos prises de décisions IT ?

Le numérique devient un enjeu environnemental majeur. Alors que ses émissions carbone pourraient tripler d’ici 2050, les directions IT sont sommées de concilier performance technologique et responsabilité écologique. Comment transformer cette injonction paradoxale en opportunité stratégique ? L’ancien chercheur à l’INRIA et fondateur d’OxygenIT livre ses pistes pour répondre à cette question.

Selon certaines estimations, le secteur numérique pourrait atteindre 8 % des émissions globales d’ici 2030, soit autant que l’industrie automobile. La dernière étude de l’ADEME pointe également le fait que l’empreinte carbone du numérique pourrait tripler d’ici à 2050, notamment en raison de l’utilisation croissante de l’intelligence artificielle (IA).

Face à ces projections alarmantes, les directions informatiques, à qui l’on demande toujours plus d’innovation et de projets autour de l’intelligence artificielle, se trouvent confrontées à un défi. Pour éviter qu’elles se voient imputer à elles seules de futurs mauvais bilans carbone, il est essentiel qu’elles intègrent dès aujourd’hui la KPI carbone dans leurs arbitrages avec les équipes métier et ESG.

Mais concrètement, comment peuvent-elles se prémunir et réduire au maximum leur impact ?

Mieux mesurer l’impact carbone IT

Si la mesure du bilan carbone de l’IT commence déjà à être bien pratiquée dans certains domaines comme le workspace, les équipements hardware dans les datacenters, les équipements réseau, ou l’écoconception, il reste des zones d’ombre. Notamment concernant la mesure de l’utilisation des services IT dans les infrastructures on-premise et dans le cloud, un domaine qui a pourtant vu son utilisation exploser depuis 20 ans tout en affichant des émissions carbone particulièrement sous-estimées.

Ce sont précisément ces domaines qui vont voir leurs émissions croître fortement avec l’augmentation des services digitaux, du volume de données et des traitements IA demandés par les métiers sur la base de business cases tout à fait valables par ailleurs.

Les CIOs se retrouvent alors au milieu d’injonctions contradictoires et difficilement capables de fournir des éléments factuels sur l’impact carbone prévisionnel, puis réel, des nouveaux projets. Pourquoi ? Parce qu’ils n’ont pas d’outils fiables à leur disposition, avec pour conséquence de se voir comptabiliser à eux seuls des émissions carbones élevées qui devraient être normalement assumées par l’ensemble de la chaîne.

Les limites des solutions existantes

Les fournisseurs de cloud ne donnent que des données fragmentaires.

La contrainte des outils actuels est qu’ils ne fournissent ni mesure précise ni scope suffisamment large pour être utilisés de façon opérationnelle ou pour prévoir les futurs impacts. Ils ne permettent pas non plus une analyse par application, domaine, équipe ou environnement.

Les fournisseurs de cloud ne donnent que des données fragmentaires et compensées, rendant la recherche d’optimisation des émissions extrêmement compliquée.

Même si les projets open source comme Boavizta et Cloud Carbon Footprint (CCF), qui sont utilisés par la plupart des solutions commerciales, apportent une première réponse, ils ne couvrent pas l’ensemble des services IT, n’intègrent pas la topologie réelle des services cloud et reçoivent peu de contributions de mises à jour.

La nécessité d’une nouvelle méthodologie

Pour surmonter ces défis et obtenir des données fiables et exploitables, une approche « bottom-up » (de bas en haut) est nécessaire. C’est-à-dire revenir à la nature même des services IT et de la consommation électrique des composants matériels qui les porte, pour fournir des données granulaires fiables et reconstituer une vision métier des émissions de carbone de l’IT.

Pour surmonter ces défis et obtenir des données fiables et exploitables, une approche bottom-up est nécessaire.

C’est une méthodologie qui va à l’inverse de l’approche actuelle « top down » (de haut en bas) des équipes ESG, dont le but est d’offrir une vue globale de l’impact environnemental d’une entreprise ou d’une activité avec une précision relative. Ici, on s’attache à une niche particulière avec l’ambition de couvrir le plus grand nombre de services IT avec une grande précision. Le but est de contenir et même réduire l’impact de l’utilisation du cloud et des datacenters. 

Plus techniquement, la méthodologie doit être adaptée au cloud natif et permettre de mesurer l’utilisation des composants dans un contexte de ressources partagées, incluant chaque container, fonction serverless ou service PaaS, ainsi que l’utilisation des hyperviseurs qui les gèrent (Kubernetes pour les containers, Lambda, etc.). Cette granularité et cette connaissance des topologies de services cloud sont essentielles pour réellement mesurer l’impact carbone des applications IT et des nouveaux usages numériques qui sont majoritairement bâtis sur des architectures cloud natives.

Intégrer la KPI carbone dans les prises de décisions IT

En rupture avec les solutions existantes, cette nouvelle approche « Green Native » permet aux entreprises d’introduire avec confiance la KPI carbone dans leur processus de décision IT.

Au-delà du fait de mesurer les émissions de CO2, elles permettent de dégager des actions d’amélioration concrètes pour réduire réellement leur empreinte carbone. Mais surtout pour fournir aux équipes métiers des données factuelles sur l’impact carbone de leurs demandes afin d’arbitrer les décisions en toute transparence.

Pour avoir le plus d’impact, il est important d’impliquer toutes les équipes, jusqu’aux développeurs.

De nombreuses applications pratiques sont ainsi possibles pour leur permettre de comparer les performances énergétiques de leurs différentes infrastructures et de recevoir des recommandations personnalisées, chiffrées et « trackables ». 

Concrètement, elles peuvent définir des objectifs de réduction atteignables avec les équipes ESG sur la base de mesures justifiables. 

Elles peuvent également mettre en place des plans de réduction précis et quantifiés par équipe projet, métier ou infrastructure. En effet, pour avoir le plus d’impact, il est important d’impliquer toutes les équipes, jusqu’aux développeurs.

Enfin, grâce au tracking des évolutions des émissions, il est possible de prévoir l’impact de ses actions. Par exemple, on peut connaître l’incidence d’un effort d’écoconception sur une application ou un morceau de code tournant sur un container. Les entreprises peuvent alors optimiser leurs actions et mettre en lumière leurs efforts d’écoconception.

Conclusion

Si la transition vers des pratiques plus durables est devenue un impératif pour les entreprises, les services IT représentent une part de plus en plus visible de leur empreinte carbone.

Pour un numérique plus responsable, il est devenu essentiel d’adopter de nouveaux outils de mesure des émissions carbone, basés sur une approche bottom-up. Seule celle-ci permet de mesurer précisément, de planifier, d’éclairer sur les actions à mettre en place et de prendre des décisions informées pour réduire au maximum sa consommation d’énergie et son empreinte carbone en accord avec les différentes équipes.

Ancien chercheur à l’INRIA, expert de la mesure de consommation énergétique des infrastructures IT et CPU, Gilbert Cabillic a lancé en 2024, OxygenIT, une solution pour mesurer et réduire les émissions de carbone des infrastructures IT.

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