« L’IA générative est à l’agenda des dirigeants »
Dans un contexte IT en mutation, Cathy Mauzaize, dirigeante EMEA de ServiceNow, dessine les contours d’une transformation digitale où l’intelligence artificielle et la consolidation des systèmes autour d’un nombre restreint de plateformes deviennent les principaux leviers de performance des entreprises.
À la tête de ServiceNow pour la zone EMEA, Cathy Mauzaize échange en permanence avec les dirigeants des grandes entreprises aux quatre coins du Vieux Continent. Une position qui lui permet d’observer les besoins IT, les tendances émergentes en matière de transformation digitale et d’intelligence artificielle. Dans cet entretien, elle partage sa vision panoramique des enjeux numériques actuels en Europe.
Une année 2024 très positive dans « un monde façonné par l’IA »
Quel bilan tirer de l’année 2024 pour ServiceNow en Europe ?
Cathy Mauzaize : Le bilan d’une année très positive.
Globalement, les chiffres parlent d’eux-mêmes : nous avons enregistré une très forte croissance de 23 % au troisième trimestre 2024 en glissement annuel. Nous constatons également que de plus en plus de clients signent des contrats importants. La mesure clé que nous suivons est le nombre de clients dont les contrats dépassent 1 million de dollars. Cette année, 2 000 clients dans le monde sont entrés dans cette catégorie. Cela montre clairement que nous devenons de plus en plus stratégiques pour les entreprises. Il y a un véritable « effet ServiceNow ».
Nous avons également continué à accroître nos effectifs, tant au niveau mondial qu’européen. Et nous disposons d’une culture d’entreprise très forte et de plus en plus reconnue. Nous avons été classés 18e dans la liste Fortune Top 500 Workplaces in Europe, et nous avons obtenu la certification « Great Place to Work » dans huit nouveaux pays, dont la France.
Cathy MauzaizePrésidente de la région EMEA, ServiceNow
Notre trajectoire à travers la région EMEA a donc été positive, à tous les points de vue, cette année. Pour vous donner une idée de la tendance, nous dépassons notre taux de croissance global. Il en va de même pour le recrutement : la croissance de nos effectifs s’aligne sur celle de notre chiffre d’affaires.
Notre stratégie reste avant tout d’accélérer à l’international, car nous estimons qu’il existe encore beaucoup de potentiel en Europe, en Asie-Pacifique, et au Japon.
Quels profils embauchez-vous en Europe ? Uniquement commercial ou aussi d’autres fonctions ?
Cathy Mauzaize : Non, nous avons tous les profils. En Europe, nous avons à la fois des équipes « go-to-market », mais aussi des équipes développement produit au support client, ainsi que des équipes marketing, RH, numérique, juridique, financière, etc.
Nous investissons également massivement dans les équipes « Customer Success ». Au fur et à mesure que nous grandissons avec nos clients, il est essentiel de les aider à réaliser la valeur de notre plateforme. Cela signifie qu’il faut s’assurer qu’ils disposent des outils et du soutien nécessaires pour adopter efficacement nos solutions. Et c’est encore plus important dans un monde façonné par l’IA et la GenAI. C’est également essentiel afin de nous aider à être un partenaire encore plus stratégique pour nos clients.
Des consolidations autour de 4 ou 5 plateformes
Vous êtes donc en plein « land & expand » ?
Cathy Mauzaize : « Land, expand… and realize value ». Ce n’est pas forcément une nouveauté chez ServiceNow, mais nous sommes véritablement rentrés dans une phase de maturité. Nous devenons un allié stratégique pour les entreprises. D’ailleurs, un signal faible très intéressant : j’ai de plus en plus de discussions directes avec des CEO – notamment en Allemagne et au UK.
Et en France ?
Cathy Mauzaize : Nous en avons quelques-unes. Cela dit, nous travaillons d’ores et déjà avec 95 % des entreprises du CAC 40. Et nous commençons à avoir des discussions de transformation stratégique avec Amadeus, Danone, ou encore Orange.
STMicroelectronics, par exemple, nous a choisis comme backbone de tous leurs systèmes. Ce sont des sujets que nous n’adressions pas encore il y a deux ans.
Pourtant ServiceNow a depuis longtemps ce discours d’être une plateforme transverse, « la glue entre tous les systèmes IT ». Si je comprends bien, le changement de perception côté clients a réellement commencé cette année ? Et est-il plus ou moins marqué en Europe qu’ailleurs dans l’esprit des clients que vous rencontrez ?
Cathy Mauzaize : Nous sommes une entreprise américaine donc la marque ServiceNow est logiquement bien plus forte aux États-Unis – ce qui permet de mieux comprendre l’étendue de notre offre. Mais c’est en train de changer très vite en Europe, et plus particulièrement en France.
Cathy MauzaizePrésidente EMEA, ServiceNow
Encore un signal faible, parmi d’autres, qui montre que la perception de notre marque a basculé : je suis très souvent sollicitée pour venir travailler chez nous et ce n’était pas le cas il y a encore 4 ans.
Plus globalement, ce que je constate lors de mes échanges avec nos clients, c’est qu’ils sont en train de sélectionner 4 ou 5 plateformes sur lesquelles ils vont s’appuyer, et notamment leur plateforme d’intelligence artificielle générative (GenAI). Nous faisons systématiquement (ou presque) partie de cette « short list ». Aujourd’hui, en Europe, nous sommes clairement perçus comme une plateforme d’agrégation, d’optimisation, d’automatisation. Et une plateforme « end-to-end ». Et ça, c’est une véritable évolution.
Mais vous avez raison : l’an dernier, nos clients et nos prospects nous percevaient encore dans l’IT ou comme une extension des RH, ou de l’expérience client (CX). Cette année, les réflexions des clients européens tendent vers le « end-to-end » – le bout en bout. Et à très grande échelle. Nous entrons dans cette logique de transformation, pour intégrer leurs applications.
J’ai en tête un exemple transverse dans l’expérience employés (EX) – qui reste un sujet critique, notamment pour les jeunes générations qui sont habituées à travailler avec les outils digitaux. Un de nos clients me confiait que ses collaborateurs devaient se connecter à travers un panel de systèmes pour effectuer leur travail. Cela n’est plus possible : une expérience employés dégradée ne doit plus exister aujourd’hui.
Autre exemple parlant : en France, la transformation d’Orange Business. Ils consolident actuellement tous leurs environnements à nos côtés, avec, à la clé, d’énormes optimisations.
Si je devais faire une analogie, je dirais que c’est un peu comme le smartphone, avec toutes vos applications sur votre écran principal. Si on transpose dans le monde de l’entreprise, c’est un peu à l’image de ServiceNow : la porte d’entrée pour toutes les applications, toutes les données, tous les repositories. Et il s’agit du seul moyen d’avoir de la GenAI à l’échelle.
L’IA générative « de bout en bout » trouve son public
Sur ce sujet de l’IA générative, on discute beaucoup du ROI réel et de cas d’usage pas toujours pertinents. Comment voyez-vous le marché ? Vos clients achètent-ils Now Assist, ou sont-ils encore dans un mode exploratoire et de réflexion ?
Cathy Mauzaize : Ils l’achètent ! Parce que ce n’est pas simplement la GenAI sur notre plateforme. C’est de la GenAI de bout en bout. Il s’agit d’une tendance de fond en EMEA, avec la croissance des projets à grande échelle mentionnée plus haut.
Nous constatons d’ailleurs deux types de clients.
Les précurseurs : ceux qui optent pour une partie de licence et qui commencent à petite échelle avec une licence partielle. Ils développent un environnement de test, démontrent de l’intérêt pour la GenAI, puis passent rapidement à l’échelle. C’est le cas de certains de nos clients comme BT et Siemens, qui avancent relativement vite.
Cathy MauzaizePrésidente EMEA, ServiceNow
Il y a également ceux qui sont en mode « exploratoire » et réalisent des POC (Proof of Concept) et des POV (Proof of Value) afin d’évaluer comment intégrer notre solution GenAI avec d’autres solutions GenAI.
Dans les deux cas, les clients sont pleinement conscients de la monétisation de notre solution. Il n’y a aucun débat à ce sujet : ils reconnaissent les économies significatives que nous permettons, y compris à grande échelle. Et elles sont assez phénoménales.
Prenez BT. Avec la GenAI, ils sont passés d’une résolution de « case » pour leur Service Client de 4,7 heures à une minute. C’est énorme. Donc, le surcoût à payer pour la solution devient très faible au regard de la valeur ou de l’économie générée.
Pour tout vous dire, les CEO nous questionnent. La GenAI représente un sujet de préoccupation pour eux. Ils souhaitent comprendre. L’IA générative est clairement à l’agenda des dirigeants.
L’idée avec votre IA – qui chapeaute des systèmes – est de faire de l’IA agentique. Vous étiez un peu les seuls dans cette position de « glue ». Mais de plus en plus de monde affiche la même ambition. Comment voyez-vous cette concurrence ?
Cathy MauzaizePrésidente EMEA, ServiceNow
Cathy Mauzaize : Nous restons uniques sur le marché. Nous avons une seule plateforme et une seule architecture. Ce n’est pas le cas de tout le monde. Demain, nous imaginons un futur dans lequel les agents AI interagiront et travailleront entre eux. C’est par exemple ce que nous préparons via nos discussions stratégiques avec Microsoft autour de Copilot et NowAssist.
Notre philosophie reste ouverte. Notre plateforme travaillera avec d’autres agents. Mais nous restons les seuls à faire du vrai end-to-end.
Une préoccupation variable pour l’empreinte énergétique de l’IA
Et qu’en est-il des discussions sur la consommation énergétique de l’IA générative ?
Cathy Mauzaize : Cela dépend des entreprises. Certaines y sont très sensibles et demandent à avoir une traçabilité – que nous aidons à optimiser – et à en comprendre les workloads. C’est particulièrement le cas dans l’industrie des biens de consommation (Consumer Goods), par exemple, ou de l’automobile.
Cathy MauzaizePrésidente EMEA, ServiceNow
D’autres industries ne sont pas encore à ce niveau de maturité. Elles souhaitent dans un premier temps avoir des résultats à court terme. Il s’agit donc d’une situation très différente selon l’entreprise et l’industrie dans lequel elle évolue.
Néanmoins, toutes les entreprises qui sont en direct avec le consommateur final souhaitent être irréprochables sur ces questions.
C’est moins le cas dans le B2B ?
Cathy Mauzaize : Disons qu’ils sont actuellement moins pressurisés. Mais cela va s’intensifier au vu des prochaines échéances réglementaires. C’est aussi à l’agenda de tous les CEO. Néanmoins, dans l’industrie des biens de consommation, la question nous est presque toujours posée.
Développer l’écosystème de partenaires
Quels sont vos objectifs pour l’année prochaine ? Est-ce d’aller chercher de nouveaux logos ou est-ce d’étendre votre empreinte chez vos clients actuels ?
Cathy Mauzaize : Nous travaillons avec l’ensemble des grandes entreprises en Europe. Pour continuer d’accélérer, nous devrons augmenter notre empreinte chez nos clients en positionnant ServiceNow comme une plateforme IA « end-to-end ». En résumé, pour les grands clients, c’est « expand » et GenAI. Et des discussions plus stratégiques sur le data to workflow, sur la co-innovation, pour rentrer dans la supply chain, dans l’OT to IT, et dans la sécurité.
Sur le midmarket, il existe un fort potentiel pour attirer de nouveaux clients. C’est pourquoi nous allons davantage nous y atteler.
Enfin, troisième axe : nous sommes aussi en train d’investir très significativement dans notre écosystème de partenaires.
Nous développons avec eux trois types de business. Le Service Provider à valeur ajoutée, qui propose des implémentations personnalisées. Les Embedded Solutions : ce sont des partenaires qui utilisent la Now Platform pour développer des solutions, notamment industrielles, aux clients finaux. Par exemple, Accenture, Deloitte et EY ont développé un outil d’emménagement d’ateliers EY.
Enfin, les revendeurs, un domaine sur lequel nous redoublons d’efforts. Cette approche est essentielle pour nous étendre dans des régions où nous ne pouvons pas toujours déployer directement des ressources, comme l’Afrique (où nous sommes actuellement uniquement en Afrique du Sud), l’Amérique latine et l’Europe centrale.