VMware : « une centaine d’offres cloud tournent sur VCF en France »
Dans cette interview, VMware France, alias Broadcom Software France, persiste et signe : il se vend sur le territoire plus de licences qu’auparavant et 80 % des clients préfèrent souscrire à l’offre la plus chère qui autorise la portabilité vers des hébergeurs.
C’est compliqué. D’un côté, Broadcom a déclenché l’ire des clients de VMware lorsque, après avoir racheté le no 1 des éditeurs des solutions de virtualisation fin 2023, il les a obligés à s’abonner à l’ensemble du catalogue de produits. Alors qu’ils pouvaient auparavant n’acheter que les logiciels dont ils avaient l’usage, sans engagement. De l’autre, le même fournisseur explique, de nouveau lors du récent salon VMware Explore 2024, que sa nouvelle offre commerciale correspondrait bien mieux aux besoins actuels des entreprises.
Dans le camp des insurgés, il y a cette idée que les produits de VMware, qui servent à répartir les applications dans les data centers depuis plus de quinze ans, seraient arrivés en fin de carrière. Parce que les entreprises voudraient se débarrasser de leurs datacenters au profit du cloud. Et parce que les applications modernes ne se virtualiseraient plus, mais se containeriseraient. Comprendre que Kubernetes aurait ringardisé VMware.
Et ce serait pour tout cela que Dell se serait séparé de sa filiale VMware en 2021. Et que Broadcom aurait racheté deux ans plus tard ce qu’il en restait, avec l’intention présumée de dépouiller les clients encore fidèles avant qu’il ne soit trop tard.
Cette théorie catastrophique, que les concurrents de VMware ne rechignent pas à perpétrer, se fonde sur le destin désastreux des précédentes acquisitions de Broadcom. Symantec (l’ex-fameux antivirus Norton) et Computer Associates (5e éditeur mondial de logiciels en 2006) ont, depuis, disparu des radars.
Les analystes se souviennent que Broadcom avait augmenté de manière substantielle le prix de leurs produits après les avoir rachetés ; selon les observateurs, pour profiter d’une clientèle de grands comptes capables de signer de gros chèques et chasser dans la foulée les clients les moins rentables.
Broadcom dément. Il mettrait au contraire toute son énergie à faire basculer VMware dans l’ère du cloud privé. Parce que le marché se serait fourvoyé en estimant, en pleine période de crise pandémique, que le cloud public pourrait remplacer les datacenters. Parce que personne n’a finalement le courage de convertir des machines virtuelles, qui fonctionnent, en containers, qui n’ont rien à voir.
Et parce que le cloud privé, c’est-à-dire un data center bardé de services applicatifs, qu’il soit dans les murs de l’entreprise ou en infogérance chez un hébergeur, serait bien plus efficace pour garantir aux entreprises la maîtrise de leurs coûts informatiques, de leurs secrets et de leur souveraineté. Tout autant de paramètres exacerbés par l’actuelle ambition générale de passer à l’ère de l’IA.
En échange d’une augmentation de ses tarifs, Broadcom promet à ses clients d’investir pour parer VMware de tous les artifices qui rendaient attrayant le cloud public : des services applicatifs à n’en plus finir, de la continuité d’activité en sautant d’un datacenter à l’autre en cas de problème. Il y a l’ambition de faire de VMware un socle technique commun pour tous les clouds privés alternatifs aux hyperscalers. Tout en étant capable d’aller éventuellement piocher dans ces clouds publics là les services qui ne sont pas encore développés pour le datacenter.
Deux plateformes remplacent l’ancien catalogue vSphere. VMware Cloud Foundation, alias VCF, possède tous les outils. VMware vSphere Foundation, alias VVF, moins cher, est amputé de la couche réseau NSX, ce qui l’empêche de faire basculer ses applications ailleurs.
Dans une nouvelle version 9 à paraître en début d’année prochaine, tous deux bénéficieront déjà d’une console d’administration plus cohérente. Plus dans l’esprit des portails cloud, où tous les paramétrages, tous les relevés et tous les services applicatifs seront centralisés dans une même fenêtre.
Les entreprises qui se sont déplacées à l’événement VMware Explore 2024, qui se tenait la semaine dernière à Barcelone, paraissent résignées. Elles confirment que le cloud public ne leur convient finalement pas tant que cela et expliquent n’avoir pas trouvé de quoi pleinement remplacer VMware parmi ses concurrents – Nutanix, Red Hat OpenShift, Canonical MicroCloud ou encore Proxmox.
Les autres ont encore des questions. LeMagIT est allé les poser aux représentants de VMware France (a priori rebaptisé Broadcom Software France) : Marc Dollois, le PDG de la filiale (à gauche sur la photo en haut de cet article), et Nicolas Oueriemi, son directeur technique (à droite sur la même photo). Interview.
Vous dites que 83 % des DSI envisagent de rapatrier leurs environnements du cloud public vers des installations sur site. Pourquoi selon vous ?
Marc DolloisPDG filiale Broadcom Software France
Marc Dollois : Parce que les économies promises par le cloud public n’ont pas été réalisées et, ce, pour plusieurs raisons. Migrer un traitement en cloud ne signifie pas qu’une entreprise ferme son datacenter, coupe son réseau ou se sépare de son personnel IT. Par ailleurs, la souveraineté des données, ne serait-ce qu’en ce qui concerne l’IA, pousse de plus en plus d’entreprises à rapatrier leurs données sur site, car rien n’est plus souverain que son propre data center.
Il faut comprendre que ces projets de migrer les datacenters vers le cloud public avaient en fin de compte été décidés au début des années 2020, lors d’une période que je qualifierais d’instable du fait de la pandémie de Covid.
Mais aujourd’hui, nous voyons plutôt une croissance des environnements de cloud privé. À notre niveau, cela se traduit par une augmentation du nombre de contrats. Qui plus est pour des quantités de cœurs de processeurs plus importantes qu’il y a quatre ans [le coût de l’abonnement aux produits de VMware se calcule selon le nombre de cœurs qui servent à exécuter ces produits, N.D.R.].
Et je précise que cette situation est la même en France que partout ailleurs dans le monde.
Vous encouragez les prestataires locaux à devenir des hébergeurs de cloud souverains en bâtissant des offres à partir de VCF. Pourquoi n’utiliseraient-ils pas plutôt des solutions Open source ?
Marc Dollois : Parce que ce sont des prestataires qui doivent s’engager auprès de leurs clients à fournir une plateforme stable, qui fera tourner en permanence leurs applications. Or, selon tous les tests comparatifs que ces hébergeurs ont menés, seul VCF répond à toutes leurs exigences de stabilité. Et ce d’autant plus, en intégrant dans les comparatifs que VCF permet nativement de répliquer les traitements vers un site de secours, comme nous l’avons dit précédemment.
Marc DolloisPDG filiale Broadcom Software France
Un autre point est qu’il est vrai que VCF coûte plus cher qu’une solution Open source. Cependant, l’intégration et la maintenance de VCF sont beaucoup plus simples que celles d’une solution Open source, ce qui signifie que, sur la durée, VCF leur revient moins cher.
Combien y a-t-il de prestataires de cloud « souverains » qui proposent aux entreprises françaises d’héberger leurs traitements sur une infrastructure VCF ?
Marc Dollois : Nous avons aujourd’hui une centaine de partenaires en France qui déploient VCF pour soit proposer des services d’IaaS privés, soit exécuter des applications SaaS sur le territoire. Si l’on parle d’acteurs ayant été homologués « souverains », nous en dénombrons une trentaine dans l’Union européenne.
Peut-on résumer votre offre en disant que VCF est une solution pour les hébergeurs qui veulent bâtir une offre locale de cloud, qu’ils revendent pour un usage « privé » ou « souverain », alors que VVF est une solution pour les entreprises qui veulent virtualiser leurs serveurs dans leurs propres datacenters ?
Marc Dollois : Pas exactement. En pratique, nous constatons que nos clients entreprise adoptent de plus en plus VMware Cloud Foundation (VCF). 80 % d’entre eux le font. Ils le préfèrent à VMware vSphere Foundation (VVF), parce qu’ils souhaitent fournir véritablement un service cloud à leurs utilisateurs, au-delà d’une simple virtualisation de serveurs.
Nicolas Oueriemi : VCF est une plateforme de cloud, qui devient d’autant plus comparable aux offres des hyperscalers qu’il propose dans la version 9 des fonctionnalités de haut niveau similaires. Citons juste Live Recovery, qui permet la continuité d’activité en cas d’incident sur un site grâce à une bascule automatique des traitements vers un autre site.
Mais VMware Cloud Foundation est avant tout un « cloud » parce qu’il permet la mobilité des traitements. Que les données soient traitées sur site, transitent temporairement vers un hyperscaler, ou ne bougent pas des serveurs d’un hébergeur souverain, cette solution simplifie la gestion des données en proposant partout la même plateforme technique, entièrement contrôlable par le client.
Marc Dollois : Je précise que VCF implique une portabilité des souscriptions. Auparavant, nos clients achetaient une licence sur site. Et, lorsqu’ils souhaitaient migrer leurs machines virtuelles vers une infrastructure VMware proposée par un cloud, ils devaient racheter des licences pour les exécuter sur cette infrastructure cloud. Depuis un an, la souscription VCF permet de ne pas avoir à racheter de licences quand on déplace les traitements, par exemple depuis une infrastructure hyperconvergée VxRail de Dell sur site, vers des serveurs hébergés par OVHcloud.
Comprenons-nous bien : si vous utilisez en même temps 30 cœurs de processeurs sur site et 20 cœurs en cloud, votre souscription à VCF sera facturée pour cinquante cœurs. Mais si vous déplacez vers le cloud les traitements qui consommaient 20 cœurs sur site, alors vous payez toujours le même prix que celui contractualisé pour votre site, soit pour 30 cœurs.
En fait, nous constatons que VVF va plutôt être utilisé dans les petites entreprises, ou sur les sites satellites de grandes entreprises pour répondre à un besoin d’appoint, qui ne nécessite pas de gestion centralisée. Cela dit, nous proposons également VCF Edge, c’est-à-dire une version de VCF qui, comme VVF, peut se contenter de fonctionner sur un seul serveur, tout en étant pilotée par le siège, et qui pourra ensuite être migrée ailleurs sans augmentation de prix.
Le marché interprète votre augmentation de tarifs comme une volonté de ne plus vous intéresser qu’aux très grandes entreprises. Que répondez-vous ?
Marc DolloisPDG filiale Broadcom Software France
Marc Dollois : C’est faux. Notre stratégie est d’avoir une relation directe avec les grands comptes – que nous appelons les « corporate » – et de pouvoir investir 1 milliard de dollars dans, notamment, la formation de partenaires pour qu’ils puisent offrir des prestations de proximité aux autres entreprises – que nous appelons les « commercials ». Le fait est que, en France par exemple, les équipes de Broadcom ne sont pas assez nombreuses pour offrir ces prestations de proximité à des entreprises qui veulent de la simplicité et qui n’ont pas assez de ressources en interne pour intégrer nos solutions.
Nicolas Oueriemi : Notre objectif reste de pouvoir investir dans la plateforme et dans nos partenaires pour aider nos clients à aller au-delà de ce qu’ils ont aujourd’hui, pour aider nos clients à offrir en interne une expérience aussi riche et aussi simple que celle des clouds publics. Par exemple pour leur livrer clés en main des solutions comme Private AI, qui vont leur permettre de déployer simplement des machines virtuelles qui font du RAG, en allant prendre toutes seules du temps GPU au bon endroit, ou encore qui se connectent directement aux services d’Azure pour analyser les flux vidéo de caméras.
Tous ces développements de solutions clés en main dans lesquels nous investissons sont autant de services que les entreprises de toutes tailles n’auront plus à intégrer. Créer un catalogue de services représente souvent en entreprise des projets qui s’étalent sur plusieurs années. Aujourd’hui, nous proposons des répartiteurs de charge, des systèmes qui peuplent automatiquement des bases MySQL ou Postgres, des dispositifs automatiques de file d’attente dans les traitements, de mise en cache et d’autres encore qui vous permettent de vous intéresser directement à la couche applicative.
Marc Dollois : Et je précise que les clients qui paient aujourd’hui plus cher que ce qu’ils payaient auparavant sont ceux qui, auparavant, ne virtualisaient que leurs serveurs, mais qui peuvent, aujourd’hui, virtualiser leur stockage, leur réseau, leur sécurité. En plus de bénéficier des services de type cloud. En plus de pouvoir exécuter des containers à côté de leurs machines virtuelles.
Or, je peux vous assurer que si vous comparez tout ce que vous obtenez aujourd’hui avec VCF avec tout ce que vous auriez dû acheter à l’extérieur pour couvrir autant de besoins, il s’agit le plus souvent de réaliser une économie grâce à VCF. Une économie bien plus importante que l’augmentation que vous observez.
En 2025, pourquoi VCF 9 aura-t-il une interface dans laquelle on pilote aussi bien des fonctions serveur, que de stockage, de réseau, et de cybersécurité ? Les grandes entreprises ne préfèrent-elles pas avoir une interface dédiée à chaque équipe ?
Nicolas Oueriemi : Les entreprises veulent que leurs équipes communiquent mieux en cas de problème. L’interface commune de VCF 9 a le mérite d’aligner les discours sur la visibilité de bout en bout des connexions entre les différents éléments de l’IT. Il faut comprendre que l’on nous demandait déjà il y a 6 ou 7 ans de créer des consoles de supervision communes pour que les équipes stockage et les équipes serveur, par exemple, parlent la même langue.
Après, c’est une console avec des onglets, les différentes équipes ont des droits d’accès spécifiques pour modifier les paramètres selon les onglets. Mais toute l’information est réunie au même endroit.