IA, RSE, talents : les grands défis des sociétés de conseil en France

Dans un contexte politique et économique complexe, ESN & ICT sont confrontées à un ralentissement de la croissance. Mais pour Numeum et KPMG, les entreprises doivent néanmoins déployer des stratégies offensives où l’IA, l’ESG et la gestion des RH occupent une place importante.

Le patronat des entreprises de conseil et d’ingénierie se réunissait le 8 octobre à la Comédie des Champs Élysées. Plusieurs thématiques figuraient à l’agenda de cette soirée. C’est Véronique Torner, la présidente de Numeum (en photo ci-dessus), qui a ouvert la séance au travers d’un bilan de sa première année de mandat et de l’annonce des grandes ambitions de l’organisation patronale du numérique.

Le grand projet engagé depuis un an par Numeum vise à « rayonner et fédérer » afin de peser en France sur trois « grandes priorités » : les régions, les compétences et le numérique responsable. « Impact et influence », c’est ce que souhaite imprimer l’organisation, comme le résume la présidente du syndicat.

Fédération d’une équipe de France du numérique

Numeum a-t-il concrétisé son ambition ? « En France et en Europe, nous avons été impactants », revendique Véronique Torner. « Nous avons encore énormément de chemin à faire », ajoute-t-elle. Pour progresser, le syndicat entend notamment être entendu des dirigeants politiques.

Une rencontre a ainsi été organisée avec la nouvelle secrétaire d’État chargée de l’IA et du numérique, Clara Chappaz. Et un rendez-vous est prévu avec d’autres membres du gouvernement. Une de ces rencontres à venir est qualifiée de « particulièrement importante » : celle avec le ministère de l’Économie. « Le numérique est stratégique pour l’économie du pays », justifie la présidente.

Pour continuer à déployer sa stratégie d’influence, Numeum compte aussi sur l’arrivée de nouveaux dirigeants, comme la déléguée générale Valérie Dagand (passée notamment par le ministère de la Défense) et Isabelle Zablit, la DGA chargée du pôle influence du syndicat.

La stratégie d’impact passera aussi par un « Tour de France de l’IA », co-organisé avec le Medef et sous le patronage de l’Élysée.

Afin de peser davantage « à long terme », Véronique Torner estime enfin indispensable de fédérer plus largement, soit au-delà des seuls membres de Numeum, pour constituer une équipe de France du numérique.

« On a du mal à faire entendre la voix du numérique de manière puissante » du fait de la fragmentation de l’écosystème numérique français, considère la présidente de l’organisation patronale. Mieux positionner le numérique dans l’agenda des politiques passerait dès lors par une plus grande fédération de cet écosystème.

Le Cigref désireux de collaborer sur la dépendance technologique

Fédérer signifie-t-il absorber ? Comme avec Tech In France (ex-Afdel) en 2021 ? Pas nécessairement. Il s’agirait avant tout pour Numeum de « travailler avec tout l’écosystème », auquel appartient par exemple le Cigref, représenté lors de l’événement par son président, Jean-Claude Laroche.

Le patron des DSI des grandes entreprises françaises a partagé trois thèmes clés pour une collaboration fructueuse : la dépendance technologique (la politique tarifaire de VMware ne passe toujours pas), les critères ESG, et les compétences.

Au niveau national et des territoires, Véronique Torner a réitéré son appel à se fédérer « pour porter tous ensemble une voix forte et puissante sur le numérique. » Le poids de l’écosystème dans l’économie française constitue sans doute un levier majeur afin de se faire entendre des décideurs politiques.

Quid justement de ce poids et de la santé du secteur ? Une étude réalisée par KPMG pour Numeum fournit des éléments de réponse. Ainsi, nombre d’entreprises du marché traversent aujourd’hui « une période économique plus complexe » que lors de l’après-Covid, témoigne Charles Mauclair, DG de SII France et administrateur du syndicat.

« Depuis 2023, la conjoncture est plus fluctuante avec un ralentissement de la croissance économique », analyse-t-il. C’est donc dans ce contexte que Numeum encourage ses membres à entreprendre des actions offensives et pas uniquement défensives (gel des embauches, plan d’économie, etc.).

L’IA et son intégration dans les offres, priorité du moment

Lesquelles ? L’inspiration serait à trouver – d’après l’étude KPMG – dans des stratégies de croissance, avec la gestion des talents, les initiatives RSE (encore) et l’innovation.

En matière de croissance d’abord, deux axes sont perçus comme des « impératifs pour demain » : la capacité à construire et adapter rapidement des offres innovantes et l’intégration de l’IA dans ces offres et dans le « delivery model ».

« L’IA est le pilier majeur de la croissance de demain », renchérit Annelie Vidal, associée évaluation et modélisation financière pour KPMG. 73 % des ESN & ICT qui ont répondu à l’étude annoncent déjà utiliser l’IA – principalement pour les tâches administratives et le code. 62 % y auraient recours pour les assister dans leurs efforts de R&D.

L’IA constitue le domaine d’investissement et méthodologique prioritaire de 28 % des ESN & ICT.
Étude KPMG

L’IA constitue le domaine d’investissement et méthodologique prioritaire de 28 % des répondants (devant la cybersécurité et le cloud). Grandes entreprises et ETI prévoient, à trois ans, un investissement évalué à 1,2 % de leur chiffre d’affaires. Cette part atteint 5 % parmi les PME-TPE, d’après KPMG.

Mais ESN et ICT ont aussi d’autres sujets sur le feu, dont celui des recrutements. Dans ce secteur, les employeurs mettent l’accent, pour 77 % d’entre eux, sur les profils avec plus de trois ans d’expérience. Les compétences en cybersécurité (un thème que l’IA n’a pas éclipsé chez les ESN) sont quant à elles les plus recherchées.

« Le secteur numérique reste en tension », observe Maxime Charrier, senior manager pour le secteur des technologies au sein de KPMG. Le cabinet entrevoit cependant un « effet de l’IA sur les plans de recrutement ». Pour 67 % des répondants, l’IA générative aurait déjà un impact significatif avec un recul de 5 % des objectifs de recrutement des grandes entreprises et jusqu’à 19 % pour les PME-TPE.

Déjà un effet Gen AI sur les plans de recrutement ?

« Des chiffres impressionnants », réagit Maxime Charrier. Mais des chiffres qui demandent toutefois à être suivis dans la durée. D’autant que deux ans après les débuts de ChatGPT et de la vague d’IA générative, les entreprises se cherchent encore sur l’industrialisation et la valeur générée par ces technologies.

Ce n’est sans doute pas demain que les ESN résoudront les tensions à l’embauche grâce à l’IA. D’ici là, la fidélisation et l’attractivité demeureront des préoccupations fortes. Un changement est d’ailleurs à noter sur les leviers de la fidélisation des collaborateurs.

Au cours des deux précédentes éditions de l’étude, la rémunération était le critère de référence. En 2024, il cède sa place à la flexibilité du travail, en particulier le télétravail. La majorité des entreprises accordent 2 à 3 jours de télétravail à leurs salariés.

Si elles espèrent accroître le présentiel et revenir en partie sur cet usage, les entreprises risquent bien de se heurter à des obstacles. Et pas sûr que la place croissante accordée à la RSE suffise à convaincre les collaborateurs de renoncer à cet acquis.

ESG : une tour de Babel de critères

Les critères ESG n’en sont pas moins un must have des feuilles de route stratégiques des acteurs du marché. « Projet fédérateur », la RSE constitue en outre un « moyen d’optimiser les performances, d’attirer et fidéliser les talents, mais aussi de renforcer la confiance et la satisfaction des clients. »

« Nous avons tous intérêt à nous mettre autour d’une table et à réfléchir à la manière dont la filière peut rendre compte de son empreinte carbone. »
Jean-Claude LarochePrésident du Cigref

En clair, l’ESG ne présenterait que des avantages. C’est probablement, et avant tout, un impératif économique (en plus d’être réglementaire). « Dans leur grille de notation des appels d’offres, sept donneurs d’ordre sur dix accordent un degré d’importance de plus de 10 % aux critères ESG », explique Maxime Charrier.

Pour ne pas se fermer les portes du marché, les ESN n’ont d’autre choix que de s’aligner. Un gros travail d’harmonisation s’impose toutefois, a rappelé le président du Cigref. « Un client a face à lui 50 fournisseurs avec 50 approches différentes » sur les critères ESN, regrette-t-il.

« Cela pose un problème de consolidation ». Et Jean-Claude Laroche de reconnaître que les clients développent eux-mêmes leurs propres critères, compliquant en retour la tâche des prestataires. « Nous avons tous intérêt à nous mettre autour d’une table et à réfléchir à la manière dont la filière peut rendre compte de son empreinte carbone […] Plus nous serons convergents sur le sujet et plus la compliance sera efficace », milite-t-il.

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