« L’IA reste une très, très grande priorité pour nous » (Clara Chappaz, secrétaire d’État à l’IA)

Lors d’une intervention au cours de la conférence dotAI le vendredi 18 octobre, la secrétaire d’État chargée de l’IA et du Numérique a tenté de rassurer l’écosystème concernant le soutien financier, technique et administratif aux startups françaises et étrangères. L’État a néanmoins des moyens de plus en plus limités.

« Vous vous demandez peut-être ce qu’une secrétaire d’État peut dire à une assemblée aussi technique », lance Clara Chappaz, secrétaire d’État chargée de l’intelligence artificielle et du numérique (en anglais, langue officielle des conférences « dot »), aux représentants des startups présents dans la salle des Folies Bergères. « Je ne vais pas vous apprendre grand-chose sur les aspects techniques, mais je vais peut-être vous rappeler ce pour quoi nous avons milité et essayer de vous rassurer en vous disant que l’IA reste une très, très grande priorité pour nous [le gouvernement et le président de la République] ».

Et à la secrétaire d’État de rappeler que l’État investit « près de » 2,5 milliards d’euros dans le domaine de l’IA depuis 2018, après la mise en place de sa stratégie nationale. Une stratégie qui aurait, selon ses dires, participé à la popularité de l’écosystème parisien. « Il n’était probablement pas aussi clair il y a 10 ou 15 ans que Paris émergerait comme un grand centre technologique pour l’IA », déclare-t-elle.

« Il n’était probablement pas aussi clair il y a 10 ou 15 ans que Paris émergerait comme un grand centre technologique pour l’IA. »
Clara ChappazSecrétaire d'Etat chargée de l'IA et du Numérique, ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche

Clara Chappaz a évoqué la présence de « plus de 1 000 startups » travaillant dans le domaine de l’IA dans la capitale. La secrétaire d’État n’a pas précisé sa source d’information, mais en 2023, le ministère de l’Économie et des Finances listait 600 startups d’IA dans toute la France, dont 76 en IA générative. « [Ces sociétés] attirent des talents du monde entier », dit-elle en faisant référence à Mistral AI, Huggingface et Photoroom tout en oubliant Dataiku.

Or Mistral AI, Huggingface, Photoroom et Dataiku se sont réellement développés à l’aide de fonds américains. Ce ne serait pas incompatible avec la stratégie nationale.

« Nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour vous aider à réussir, pour vous aider à implanter vos entreprises en France si ce n’est pas déjà fait, et pour aider les entreprises françaises à se développer à l’international », ajoute-t-elle.

L’autre partie de la stratégie était d’attirer les entreprises étrangères en France. « Des entreprises comme Google et Meta ont installé des laboratoires de recherche à Paris », note-t-elle.

Le projet de loi de finances pour 2025 rebat les cartes

Le budget de la stratégie nationale pour l’IA a été rattaché au plan France 2030 (54 milliards d’euros sur cinq ans pour des projets de R&D). Entre 2018 et 2022, l’État y a consacré 1,5 milliard d’euros. « Certains des dirigeants que j’ai croisés [à dotAI] m’ont dit avoir profité du plan France 2030 », assure la secrétaire d’État. 

Près de 784 millions d’euros du milliard supplémentaire sont consacrés aux universités afin de former les futurs ingénieurs et chercheurs qui rejoindront les rangs de ces sociétés installées en France. Le reste est dédié à financer des projets dans différents domaines.

« Si nous n’avons pas de bons ingénieurs, de bons scientifiques qui peuvent réaliser ce qu’ils veulent réaliser, il n’y a pas d’entreprises d’IA, il n’y a pas d’adoption de l’IA, il n’y a pas de gain de productivité ou de moyen plus rapide de répondre aux grands enjeux […] de la société », affirme Clara Chappaz « Nous voulons vraiment nous assurer que nous maintenons ce lien fort entre la science, l’ingénierie et les affaires. Et c’est pourquoi mon ministère a été attaché à la recherche et aux études supérieures ». Pour rappel, ce rôle était auparavant rattaché au bureau du Premier ministre.

La plupart des startups/scale-ups (dont celle développant des systèmes d’IA) bénéficiaient plutôt de crédits d’impôt recherche (CIR, une niche fiscale évaluée à 7,7 milliards d’euros), et surtout du crédit d’impôt innovation (CII) ainsi que du statut de Jeune Entreprise Innovante (JEI). Des aides que le gouvernement Barnier a remises sur la table des négociations au vu de la dette de l’État (3 228,4 milliards d’euros au 27 septembre 2024).

Dans la première mouture du projet de loi finance 2025, le CIR est maintenu. Il profite majoritairement aux grands groupes. Le CII et le JEI devraient disparaître en 2025, mais – au vu de leur importance – la décision sera prise au Parlement le 19 novembre 2024. « L’enveloppe de 54 milliards d’euros du plan France 2030 est sanctuarisée. 50 % [de ces financements] sont à destination des startups », déclarait Clara Chappaz auprès de BFM TV, le 11 octobre dernier. Toutes ces jeunes sociétés ne font pas d’IA.

En outre, l’État risque de ne pas pouvoir financer davantage les projets des startups en IA. En outre, l’accès déjà limité au supercalculateur Jean Zay, géré par le GENCI, devrait l’être davantage. En effet, les startups et les laboratoires de recherche européens pourront également demander d’accéder au HPC gratuitement, à condition qu’ils entraînent des modèles ouverts. Si Jean Zay est en cours de modernisation, le GENCI ne pousse pas les murs : il dispose d’un peu moins de 3 000 GPU. Quels leviers reste-t-il à l’État ? La diplomatie. Et le « soft power ».

Un sommet pour maintenir « l’équilibre entre réglementation et innovation »

La France organisera, le 10 et 11 février 2025, un sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle. Il devra réunir des chefs d’État et de gouvernement, dirigeants d’organisations et d’entreprises en provenance du monde entier. « La France y défendra cette position que le président a poussée sur la recherche du bon équilibre entre réglementation et innovation », annonce Clara Chappaz. « Il faut s’assurer de ne pas entraver l’innovation dans ce domaine ».

« La France y défendra cette position que le président a poussée sur la recherche du bon équilibre entre réglementation et innovation. »
Clara ChappazSecrétaire d'Etat chargée de l'IA et du Numérique, ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche

Ici, la secrétaire d’État mentionne sans le nommer l’AI Act. Le président Emmanuel Macron ne semble pas avoir renoncé à l’idée d’influencer l’implémentation de la réglementation européenne.

À noter que, selon le calendrier de la Commission, l’interdiction de certains systèmes d’IA dont les usages sont jugés inacceptables aura lieu huit jours plus tôt, le 2 février 2025.

L’autre enjeu pour l’État est d’encourager l’adoption de l’IA, notamment dans les entreprises.

« Mario Draghi a rédigé un rapport sur l’Europe et sa compétitivité. [Selon ce rapport] les technologies sont désormais conçues ici [dans l’UE], mais, d’une manière ou d’une autre, nous sommes à la traîne par rapport au reste du monde lorsqu’il s’agit de les adopter », résume Clara Chappaz.

« Il n’y a pas de solution miracle. Pour exploiter pleinement les avantages des technologies, elles doivent être adoptées. Cela implique de transformer les méthodes de travail », poursuit-elle, en évoquant leur adoption possible (voire nécessaire) dans les secteurs de la médecine et de l’éducation.

« Pour réussir, nous avons besoin des meilleurs talents, mais aussi d’entreprises dans lesquelles les autorités locales et la société peuvent avoir confiance ».

En amont du sommet pour l’action sur l’IA, l’Élysée entend organiser des journées scientifiques et d’autres rencontres consacrées aux entreprises.

« L’IA est en cours d’adoption dans les grandes entreprises, ce qui est une excellente chose, mais ce n’est pas le cas dans la majorité des entreprises. Il est donc essentiel que nous continuions à encourager et à renforcer cette adoption », avance Clara Chappaz.

« Il reste encore beaucoup à faire », reconnaît la secrétaire d’État qui espère maintenir un « dialogue constant » avec les acteurs de l’écosystème IA basé en France.

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