L’enquête de l’USF, un « cadeau » épineux pour SAP
L’enquête de satisfaction 2024 dévoilée par l’USF, lors de sa convention à Lille, indique que les clients français de SAP se sont fait une raison concernant le passage à S/4HANA. En revanche, les adhérents semblent peu nombreux à avoir contractualisé RISE with SAP. Malgré une communication efficace, l’offre de l’éditeur allemand manque encore de clarté.
Depuis dix ans, le club des utilisateurs francophones de SAP, l’USF, mène son enquête de satisfaction tous les deux ans auprès de ses 3 800 membres sur les solutions et services de l’éditeur allemand.
La sixième édition de cette étude menée par IPSOS entre mai et juin 2024 rassemble moins de répondants qu’à l’accoutumée. Le cabinet a sélectionné un échantillon de 185 personnes issues de 134 entreprises et organismes, censés représenter l’écosystème SAP francophone, principalement en France et en Suisse romande. La précédente édition, réalisée en 2022, synthétisait les réponses de 243 sondés, quand la mouture de 2020 réunissait les avis de 256 personnes.
Cela dit, l’exercice demeure « la seule enquête indépendante de l’écosystème SAP », selon l’USF. Surtout pour cette édition, le club a formulé de nouvelles questions concernant la stratégie « cloud first » et, surtout, l’adoption de RISE with SAP », l’option contractuelle poussée par l’éditeur depuis trois ans.
Des utilisateurs francophones satisfaits des performances des solutions SAP
Le document démarre sur une note positive pour SAP. Concernant la performance globale des produits et services, 87 % sont satisfaits, comme en 2022. « À mon avis, ce taux pourrait faire pâlir d’autres éditeurs », commente Bernard Cottinaud, chargé de mission stratégie et président de la commission organisation et gouvernance au sein de l’USF.
Dans le détail, il y a une petite hausse du mécontentement (3 %), mais la part des appréciations « bonnes », « très bonnes » et « excellentes » demeure similaire.
Autre point encourageant pour SAP, 68 % des membres de l’USF interrogés pensent « très certainement » continuer à utiliser SAP à l’avenir et 19 % répondent « certainement ». En 2022, seuls 38 % des sondés étaient « très certains » que leur entreprise continuerait à utiliser les logiciels SAP et 32 % certains. Cette hausse, l’USF et Ipsos la corrèle – en principe – à « l’adoption de S/4 par les entreprises ».
Environ 13 % des répondants n’auraient pas entamé la démarche de migration d’ECC6 vers S/4HANA, contre 42 % en 2022. En 2024, environ 14 % des sondés informent que leur entreprise a terminé le déploiement de S/4, 10 % d’entre eux évoquent le fait que la solution est live sur une partie du périmètre cible et 21 % parlent d’un projet en cours d’implémentation.
La « fusée S/4HANA a décollé » (mais les déploiements complets sont limités)
En clair, 45 % des entreprises ont migré ou migrent vers S/4HANA. Au total, ce sont 87 % des sondés qui sont dans le train S/4… avec un petit nombre de déploiements très avancés. Seuls 8 % des répondants évoquent le fait que ce projet « n’est pas à l’ordre du jour », contre 14 % en 2022.
« On peut le dire clairement, le passage à S/4HANA, c’est parti, la fusée a décollé », estime Bernard Cottinaud. « C’est loin d’être terminé, mais S/4HANA s’enracine dans les entreprises ».
Les adhérents de l’USF privilégient le brownfield et le bluefield
Sans surprise, le scénario de migration le plus populaire est le brownfield (récupération et conversion de l’existant) pour 34 % des personnes interrogées. L’USF observe la montée en puissance d’une « transition sélective » – plus communément appelée bluefield – (19 %). Sur le terrain, l’appréciation de cette méthode hybride varie : certains évoquent un « brownfield déguisé », quand d’autres parlent de « semi-greenfield ». Justement le greenfield – un déploiement qui fait table rase du passé ou presque – n’est choisi que par 18 % des entreprises. L’USF considère que cette approche est plus difficile à maîtriser, tandis que le discours de SAP varie suivant les cas : tantôt c’est la méthode la plus simple, tantôt elle réclame une forme d’ascétisme (parfois peu appréciée par les métiers) pour mieux moderniser les processus de l’entreprise. « La refonte des processus est un projet d’une plus grande ampleur » qu’une migration plus technique, selon Bernard Cottinaud.
Toutefois, si SAP dit vert et que la plupart des clients choisissent le marron ou le bleu, 29 % des répondants ne savent pas encore quelle couleur choisir.
Les migrations sont majoritairement effectuées sur site ou en cloud privé. Seuls 9 % des personnes interrogées déclarent que leur entreprise déploie S/4HANA Cloud en mode SaaS (Public cloud). En revanche, elles sont 52 % à préciser que leur entreprise exploite la BTP (Business Technology Platform), une proportion stable depuis 2020.
« Suivre l’évolution de l’éditeur »
Les raisons de cet accroissement des projets de migration ne sont pas étonnantes.
« La première motivation qui ressort, et qui est en forte croissance [73 % en 2024, contre 63 % en 2022, N.D.L.R.], c’est suivre la stratégie de l’éditeur », déclare Bernard Cottinaud. « Cela peut paraître surprenant, mais en même temps, si l’on a choisi un éditeur, ce n’est pas pour s’opposer à sa stratégie. Autrement, il fallait en prendre un autre ».
Bernard CottinaudChargé de mission Stratégie et président de la commission organisation et gouvernance, USF.
« Nous nous sommes posé cette question », relate Olivier Dupleix, DSI du groupe Salins (propriétaire de la marque La Baleine) lors d’un retour d’expérience mené durant la convention de l’USF, avant d’expliquer que l’entreprise a préféré suivre l’éditeur.
Dans l’étude, « suivre [l’] évolution [de] SAP » est indiqué en parenthèse. La réponse principale est « par obligation ».
Dans un même temps, 72 % des sondés pensent que leur entreprise aurait la capacité de remplacer les logiciels SAP s’ils devenaient trop chers, un sentiment en net recul depuis 2020 (89 %).
L’obsolescence demeure la deuxième raison la plus évoquée pour motiver l’adoption de S/4HANA (41 %), tandis que l’accès aux nouvelles technologies, dont le machine learning, arrive en troisième position (35 % en 2024, contre 18 % en 2022).
De fait, 67 % des répondants déclarent que leur entreprise utilise encore ECC6.
La fin de vie d’ECC passe encore mal
Or, les migrations sont fonction du calendrier de SAP : sa fin de vie est prévue en 2027, et en 2030 pour ceux qui paieront l’option Extended Support (2 % du contrat). Pour la majorité des sondés, l’arrêt des évolutions d’ECC, le fait de payer pour bénéficier du support étendu, l’incitation au passage au cloud sont des mesures impopulaires. Pas moins de 48 % des sondés considèrent que le support jusqu’en 2030 ne sera pas suffisant, contre 30 % en 2022.
Rise With SAP gagne en popularité… en cloud privé
L’étude ne semblait pas proposer le programme RISE with SAP comme raison de la migration vers S/4HANA. Toutefois, 68 % des sondés disent connaître l’offre, contre 36 % en 2022. Environ 57 % d’entre eux ont reçu une proposition de la part de leur commercial SAP et 40 % l’ont évalué (contre 8 % en 2022).
« Il y a deux ans, peu d’entreprises connaissaient ou avaient évalué l’offre RISE de SAP, car elle venait d’être lancée. Aujourd’hui, grâce aux efforts de marketing et des commerciaux de SAP, cette offre est bien plus connue et de nombreuses entreprises l’ont étudiée », note Bernard Cottinaud.
« Cependant, une majorité d’entreprises sont encore en phase de recherche d’informations ou en attente », ajoute-t-il.
L’USF a monté une commission RISE with SAP et a encouragé ses adhérents à partager leur retour d’expérience. Lors de la convention de l’USF, une dizaine d’ateliers sur les 73 ayant eu lieu concernait directement le programme.
Selon Olivier Nollent, directeur général de SAP France, sur les 7 700 accords scellés par l’éditeur, 135 clients français ont fait le choix de RISE with SAP S/4HANA Cloud Private edition, et 61 ont sélectionné GROW-S/4HANA Cloud, Public edition ».
Dans son enquête, l’USF note que 13 % de ses adhérents interrogés ont signé un contrat RISE. La majorité a choisi un déploiement en cloud privé sur les instances d’un hyperscaler ou dans les data centers de SAP. Un petit pourcentage a préféré « Tailored Option for Customer Data Center ». Oui, un contrat RISE peut également concerner un périmètre sur site.
« Toutes les entreprises ayant étudié l’offre ne l’ont pas nécessairement adoptée », poursuit Bernard Cottinaud. « Certaines n’étaient peut-être pas prêtes à ce moment-là, mais elles pourraient envisager de l’adopter à l’avenir ».
RISE with SAP : pas plus cher, mais pas plus clair
« Si vous n’avez pas fait de choix concernant RISE, je n’aimerais pas être à votre place. Ce n’est pas forcément simple », rapporte pour sa part Olivier Dupleix.
Olivier DupleixDSI, groupe Salins
Par exemple, la gestion des SKU et du nombre de sièges « Full User Equivalents » (FUE) exige une évaluation approfondie, parfois contre-intuitive. Sans oublier un travail de négociation à effectuer auprès de l’éditeur.
C’est justement en menant cet effort que le DSI peut affirmer qu’« à périmètre équivalent, nous n’avons pas de surcoût causé par RISE ».
Jean Leroux, DSI du Petit Forestier et ancien président de l’USF, souligne les points d’attention au moment de signer le contrat avec SAP et les intégrateurs. La taille des contrats exigerait une méthodologie solide et un accompagnement d’un cabinet d’avocats pour anticiper les risques juridiques, techniques et financiers. Les retours sur place étaient bien plus détaillés que cela. C’est ce niveau d’information qui est recherché par une grande partie des adhérents de l’USF et des 1 830 visiteurs uniques de la Convention.
« Dans l’étude, nous avons cherché à savoir si vous étiez convaincus par la clarté de l’offre, la facilité de mise en œuvre, le bénéfice financier, et la simplification des licences incluses dans RISE », liste Bernard Cottinaud.
RISE promet également une gestion cloud sous forme de souscription, avec un transfert de la gestion à SAP et des services associés.
« Cependant, les réponses montrent que rien n’atteint 50 % de satisfaction, ce qui révèle qu’il reste un important travail de compréhension et d’appropriation à réaliser ».
D’autant que la relation commerciale avec SAP ne semble pas au niveau de ce que les adhérents attendent d’un éditeur de systèmes critiques. « SAP est un fournisseur stratégique. Ce qui est attendu, c’est une relation de proximité, de partenariat. Le niveau d’appréciation est encore assez bas, mais ça progresse », estime le président de la commission organisation et gouvernance au sein de l’USF.
Des progrès et des travaux que l’USF espère effectuer en « co-construction » avec SAP, un terme répété maintes fois lors de la convention.
Bernard Cottinaud comme Gianmaria Perancin, président de l’USF et du SUGEN ont présenté l’étude comme un « cadeau » effectué à SAP.
SaaS, contractualisation : SAP France reconnaît qu’elle doit s’améliorer
« J’aime bien votre terme de cadeau », répond Olivier Nollent sur scène, avec une petite grimace. « Je tiens à souligner que ces observations sont pour nous essentielles. Elles nous aident vraiment à guider nos actions. Nous menons d’autres enquêtes, mais celle-ci apporte un regard complémentaire intéressant ».
Lors d’un point presse, le directeur général semblait plus assuré et a salué la précision des éléments de l’enquête.
Olivier Nollent reconnaît le travail nécessaire de clarification et réaffirme l’intention de SAP France de mettre à disposition ses « experts » lors d’ateliers menés par l’USF.
Olivier NollentDirecteur général, SAP France
« Bien que l’adoption des solutions SaaS soit effectivement en nette progression, nous comprenons dans l’enquête que certains d’entre vous restent préoccupés par les aspects financiers et de sécurité, ce qui freine globalement l’adoption encore plus importante du cloud », ajoute-t-il. « Sur ces deux points, nous reconnaissons qu’il est essentiel de continuer à vous rassurer ».
Il s’agit pour SAP France de mieux expliquer les « bénéfices concrets » des solutions SaaS en les adaptant aux contextes spécifiques des entreprises, de « démontrer, chiffres à l’appui, les économies et gains d’efficacité à long terme, pour aider à convaincre les directions générales » et d’offrir « plus de prédictibilité financière ». L’étude de l’USF de 2026 devrait donner des indicateurs sur les efforts menés par l’éditeur.