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Réseau : vers du 800 Gbit/s longue distance moins cher

Le consortium OIF encourage les opérateurs et les datacenters à passer aux équipements réseau équipés de connecteurs optiques capables de moduler leur longueur d’onde selon les paquets IP.

Les fiches optiques cohérentes sont le nouveau couteau suisse des réseaux longue distance. C’est en tout cas ainsi qu’en a parlé Dave Brown, directeur de la communication du consortium OIF (Optical Inter-networking Forum), lors de sa présentation des normes de connecteurs en 400 et 800 Gbit/s, à l’occasion du salon Network X qui s’est tenu à Paris du 8 au 10 octobre.

Baptisés OIF 400ZR et 800ZR/LR, ils embarquent suffisamment d’électronique pour permettre la transmission de signaux sur une distance de 120 km. Il s’agit de connecteurs optiques SFP classiques, mais allongés d’un module embarquant un DSP pour transmettre des données selon certaines longueurs d’onde.

Depuis la fin des années 90, les connecteurs optiques SFP (Small Form Factor Pluggables) fournissent des services de liaison entre les réseaux de communication de données et de télécommunications à courte portée. Ce n’est que très récemment qu’ils ont pu être couplés avec des transpondeurs optiques externes, dits DWDM (Dense Wavelength Division Multiplexing), qui offrent une plus longue portée tout en véhiculant au moins 100 Gbit/s de données.

La nouveauté est que le module DWDM est désormais embarqué dans le connecteur, c’est-à-dire à l’endroit où les signaux optiques sont transformés en signaux numériques et vice-versa. On parle plus exactement d’IP over DWDM (IPoDWDM), car le module fait une corrélation entre les paquets IP à transmettre et la longueur d’onde à utiliser pour les transmettre. On parle de modules optiques cohérents.

Des connecteurs cohérents pour des économies substantielles

Nous devons le développement de ces modules à OIF, une organisation qui regroupe plus de 150 membres, dont les grands acteurs du cloud et de la 5G. Depuis 25 ans, elle travaille à identifier les besoins de l’industrie en s’efforçant de développer des normes multifournisseurs, pour créer des écosystèmes favorisant l’adoption par le marché.

Concernant les modules IPoDWDM, ce sont des acteurs comme Google, Amazon ou Microsoft qui ont exprimé leurs besoins et poussé les membres à travailler ensemble sur une norme interopérable. Le principe est d’intégrer un composant DSP (spécialisé dans le traitement des signaux) derrière un connecteur optique QSFP-DD (Quad SFP – Double Density).

Comme le souligne Dave Brown, « ces modules optiques cohérents permettent d’acheminer le signal du service de données du client d’un routeur à un autre, avec une certaine longueur d’onde qui lui permet de parcourir 120 km. L’intérêt de ces modules est d’éliminer des transpondeurs tout au long du trajet. »

Selon lui, les économies sont substantielles ; pour les opérateurs télécoms – susceptibles de relier le site d’une entreprise à un datacenter de proximité – et pour les grands datacenters – qui ont vocation à faire serpenter le plus de débit possible sur leurs sites de colocation gigantesques.

Un marché de plusieurs milliards pour des paquets de chewing-gum

Ces petits appareils, qui ont aujourd’hui la taille d’un paquet de chewing-gum, sont l’une des tendances des infrastructures réseau de nouvelle génération. Le marché mondial est déjà estimé à plusieurs milliards de dollars et la croissance annuelle est estimée à 10-12 % par an jusqu’en 2028, tirée par le développement de la 5G, de la vidéo, de l’intelligence artificielle, des centres de données associés et, bien sûr, du cloud.

Pour comprendre en détail comment fonctionnent ces modules optiques intelligents par rapport aux infrastructures traditionnelles, l’OIF recommande de lire le livre blanc qu’elle a publié sur le sujet.  

Il existe différents types de modules émetteurs-récepteurs optiques en fonction de la vitesse de transmission des données qu’ils peuvent atteindre, des normes de communication associées et de leur facteur de forme.

Ajoutons qu’ils sont enfichables, c’est-à-dire qu’ils peuvent être branchés à chaud sur l’infrastructure réseau sans l’éteindre, comme une clé USB. Et, enfin, qu’ils peuvent être multipliés à la sortie et à l’entrée du routeur afin de décupler les capacités.

Après un démarrage quelque peu chaotique, en raison de la faible vitesse de transmission, ces modules offrent désormais des performances de 400 et 800 Gbit/s. Le débit de 1,6 Tbit/s serait déjà à l’horizon.

Le choix d’une structure monomode ou multimode dépend du type d’infrastructure. Par exemple, un centre de données choisira le multimode pour relier entre elles plusieurs de ses salles sur un même site, tandis que les environnements qui connectent des sites éloignés de plusieurs dizaines de kilomètres s’appuieront sur le monomode.

Beaucoup de fournisseurs, mais une adoption lente

« Il y a une foule d’acteurs qui viennent de l’industrie des semi-conducteurs ou des systèmes de réseaux. Cela signifie que le marché est très fragmenté. »
Dave BrownDirecteur communication du consortium OIF

Karl Gass, vice-président de l’OIF, note que les opérateurs traditionnels ont eu du mal à s’emparer de cette technologie, probablement par conservatisme, contrairement aux opérateurs plus petits ou aux hyperscalers qui ont perçu l’intérêt plus rapidement. Lorsqu’on lui demande si la courbe d’apprentissage est difficile ou non, il répond : « ce n’est pas que c’est techniquement plus difficile, mais c’est un nouveau modèle. »

Bien entendu, un marché de cette taille suscite de nombreux appétits et il n’est pas étonnant que l’on retrouve parmi les fabricants de ces modules les grands fournisseurs d’équipements réseau : Cisco, Juniper, Arista, Nokia. Et aussi Broadcom ou Mellanox (désormais filiale de Nvidia) concernant les cartes contrôleurs. Et encore : Coherent Semiconductor, Lumentum, Huawei, Infinera, Sumitomo Electric, Fujitsu, Ciena, Neo Photonics et autres InnoLight sont eux aussi des fournisseurs.

« Il y a une foule d’acteurs qui viennent de l’industrie des semi-conducteurs ou des systèmes de réseaux. Cela signifie que le marché est très fragmenté », dit Dave Brown, qui laisse entendre qu’il ne serait pas surpris de voir des fusions s’opérer dans un avenir proche.

L’objectif est désormais de créer une interface de gestion standard couvrant le plus grand nombre possible de ces modules afin de garantir une meilleure interopérabilité entre les différents fournisseurs et les différentes plateformes hôtes. Cela passe par l’élaboration d’une spécification CMIS (Common Management Interface Specification) qui doit prendre en compte l’inventaire des données, la configuration des modules et la surveillance (alarmes, performances).

Stéphane Larcher est journaliste spécialisé dans les technologies de l’information depuis 35 ans. Après différentes collaborations pour plusieurs groupes de presse, il a fondé le magazine l’Informaticien en 2002, magazine qu’il a cédé en 2021. Stéphane collabore avec LeMagIT depuis septembre 2024, il est un journaliste indépendant spécialisé dans les technologies. 

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