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Fibre optique : le FTTH Council constate des déploiements très disparates

L’Europe est loin d’avoir atteint les taux d’adoption espérés par les pouvoirs publics. Dans cet entretien, l’organisme explique les raisons du problème et donne les pistes pour le résoudre.

Si l’on prend la situation depuis la France, il est impossible de se faire une idée précise du travail qui reste à accomplir pour passer les Européens à l’ère de la fibre. En effet, une fois n’est pas coutume, l’hexagone est l’un des pays les plus en avance dans ce domaine, qu’on le compare à l’UE (plus Royaume-Uni), comme aux 39 pays étudiés par le FTTH Council. Pour le reste, l’organisme se désole de constater que de trop nombreux foyers de l’UE ne souscrivent pas à des connexions haut débit qui, pourtant, leur sont directement accessibles.

Le FTTH Council a principalement étudié trois critères de déploiement dans son étude. Ce sont le taux de couverture (le nombre de maisons ou immeubles couverts par rapport au nombre total), le taux d’adoption (le nombre d’abonnés par rapport au nombre de bâtiments connectés) et enfin le taux de pénétration (le nombre d’abonnés par rapport au nombre total d’habitations). Ces trois indicateurs révèlent de très fortes disparités.

Comme on peut le constater sur l’illustration ci-dessous, si 349 millions de bâtiments peuvent être « techniquement » connectés, ils ne sont que 244 millions effectivement reliés et seule la moitié d’entre eux compte des abonnés à une connexion fibre.

Derrière ces chiffres, les taux de couverture varient considérablement d’un pays à l’autre. Ils atteignent près de 100% pour la Roumanie, 90% pour l’Espagne, mais seulement 30% pour la Belgique et 40% pour l’Allemagne. La France figure dans le peloton leader avec un taux de 84%.

Mais c’est dans le nombre d’abonnés que notre pays fait la course en tête, avec plus de 20 millions de souscriptions à la fibre observées en septembre 2023 et un chiffre qui devrait dépasser les 25 millions d’ici à la fin de cette année. À titre de comparaison, l’Italie ou l’Allemagne enregistrent 4 millions d’abonnés.

Précisons pour les amateurs de chiffres que toutes ces données sont accessibles en source ouverte (il suffit d’indiquer un email) sur le site du FTTH Council. Cela permet de constater que l’Asie est très en avance sur l’Europe, elle-même en avance sur les États-Unis.

Pour mieux comprendre la situation, LeMagIT est parti à la rencontre de Vincent Garnier, directeur du FTTH Council, à l’occasion du salon NetWorkX qui s’est tenu début octobre à Paris. Interview.

Comment expliquer les fortes disparités d’abonnements à la fibre que vous observez à l’échelle de l’Europe ?

Vincent Garnier, Directeur du FTTH Council.
Vincent Garnier, Directeur du FTTH Council.

Vincent Garnier : En France, il y a eu une vraie décision gouvernementale, appuyée par la filière avec l’ensemble des acteurs concernés. A contrario, d’autres pays ne sont pas clairs sur leurs stratégies et, par exemple, continuent à vouloir promouvoir le cuivre. De même certains pays ont adopté une stratégie de modernisation qui consiste à faire louer à leurs opérateurs publics des équipements d’infrastructures qui appartiennent à des fournisseurs privés. Cependant, c’est parfois assez dysfonctionnel et les opérateurs préfèrent souvent conserver leurs clients avec des équipements moins performants, mais sur lesquels ils gardent au moins le contrôle.

En résumé, il faut une véritable volonté politique générale et une large implication des opérateurs historiques pour réussir un déploiement.

Y a-t-il aussi une problématique tarifaire ?

Vincent Garnier : Absolument. En France les prix sont identiques qu’il s’agisse ou pas de fibre. Ce n’est pas le cas partout et, lorsque le passage à la fibre est plus cher, vous freinez naturellement le taux et la rapidité d’adoption. Par ailleurs il existe également des pays où les équipements sont présentés comme de la fibre, alors qu’il s’agit juste de connexions coaxiales. Ça ne facilite pas la confiance. Au niveau des prix, la fibre est par exemple beaucoup plus chère en Belgique que partout ailleurs, ce qui est d’ailleurs aussi le cas des États-Unis si on élargit le spectre à l’échelle mondiale.

Quels sont les pays où il y a le plus de grain à moudre ?

Vincent Garnier : Parmi les grands pays, citons le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Italie. Dans ces pays, il y a une vraie différence de couverture entre les zones rurales et les zones urbaines. Par exemple, au Royaume-Uni, ce sont les opérateurs alternatifs qui ont développé la fibre dans les zones rurales. Le marché s’y prêtait à cause d’une médiocre qualité des couvertures cuivre et, aussi, parce que les zones urbaines étaient préemptées par les opérateurs plus importants. Le paradoxe est qu’il y a au Royaume-Uni une couverture plus importante que dans un pays comme la France, mais l’adoption y est beaucoup plus faible.

En termes de coûts, cela représente des investissements de 75 milliards d’euros en septembre 2023, avec une part publique très faible. Mais pour passer de 70 à 90%, il faut réinvestir et, cela, certainement avec de l’argent public. Puis de nouveau investir pour arriver à 99% de couverture. Dans les contextes budgétaires actuels, c’est difficile, même s’il y a encore de l’argent. Par exemple, 25 milliards sont prêts à être investis en Allemagne. Le problème n’y est plus nécessairement financier, mais fonctionnel. Il faut parvenir à engager les travaux publics, avoir le bon timing et trouver les bonnes personnes pour procéder aux installations.

Notons d’ailleurs que la fibre a eu comme effet global un équilibre des forces entre les différents opérateurs historiques et les opérateurs alternatifs.

Que pensez-vous des actes de sabotage, tels que ceux que nous avons connus en France ?

Vincent Garnier : Nous n’avons vu de tels faits qu’en France, jusqu’à présent. Nous avons été assez peu sensibilisés sur le sujet, mais cela ne veut surtout pas dire qu’il est sans importance.

Nous pensons en effet qu’avec la multiplication des réseaux essentiels qui s’appuient sur une infrastructure fibre, il est évident que tout acte de malveillance, de sabotage, de terrorisme aurait des conséquences très importantes. C’est pour cela que nous prenons très au sérieux la sécurisation de ces infrastructures, en particulier pour les entreprises ou les data centers.

 C’est un sujet qui va être regardé de plus en plus sérieusement. Après la phase de déploiement sur laquelle nous sommes encore, la sécurisation et la résilience des réseaux vont être des sujets majeurs.

L’IA a-t-elle un rôle à jouer dans l’adoption de la fibre ?

Vincent Garnier : L’IA joue un rôle à deux niveaux. Le premier est que la puissance de calcul nécessaire pour l’IA et la quantité de données à échanger alimente le besoin en fibre.

Ensuite, on voit de plus en plus de solutions qui utilisent l’IA pour la productivité, notamment pour la gestion des armoires de brassage, pour distinguer les fibres et les abonnés. Le principe est que l’abonné n’ait pas quatre fibres qui arrivent chez lui, mais que la concurrence soit respectée au niveau de l’armoire de brassage avec les quatre opérateurs qui puissent chacun se connecter à la fibre qui arrive chez l’abonné. Cette armoire de brassage est un peu une jungle. Il y a d’innombrables sous-traitants qui interviennent dessus et il arrive que cela devienne un bazar sans nom, avec des déconnexions sauvages.

Pour résoudre cette problématique, il existe à présent des solutions de monitoring et de reconnaissance visuelle intégrant de l’IA afin d’améliorer la qualité. C’est également le cas pour la planification, le design, la maintenance, la qualité de service. L’IA adresse désormais diverses strates des infrastructures télécoms, comme elle le fait dans d’autres industries.

Qu’est-ce que le « copper switch off » ?

Vincent Garnier : C’est tout simplement la volonté commune d’arrêter les lignes de cuivre afin que les courbes d’adoption de la fibre rejoignent les courbes d’installation. C’est ce qui commence à se passer en Espagne et aussi en France.

Il s’agit aussi d’arrêter de dépenser inutilement dans la maintenance d’un réseau cuivre sous-utilisé.

Une autre raison de retirer les lignes de cuivre est que la fibre est beaucoup moins consommatrice d’énergie que le cuivre ; nous parlons d’économiser 70% de l’électricité. Cela présente donc un véritable intérêt dans le cadre de la transition écologique. D’autant que le cuivre peut être récupéré pour d’autres usages.

Le copper switch-off est la seule politique publique qui garantisse l’adoption de la fibre. L’UE se fixe d’y parvenir d’ici à 2030, même si je pense que c’est un peu optimiste. Il est important d’organiser et de planifier.

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