La stratégie « cloud-first » d’Atlassian devient « enterprise-first »

Le discours d’Atlassian a changé au cours des derniers mois, l’entreprise construisant des passerelles vers les produits Data Center et travaillant sur la conformité de ses services cloud avec les régulations américaines les plus strictes.

Atlassian n’a jamais caché qu’il espérait, à long terme, que tous ses clients finiraient par passer aux versions cloud de ses produits. Lors de sa conférence américaine en mai, il a vanté les conversions cloud de ses clients. Il a de nouveau envoyé un message fort selon lequel les clients qui n’étaient pas encore passés au cloud Atlassian devaient commencer à planifier cette transition. Mais dans une lettre aux actionnaires et lors d’une présentation des résultats en août, l’entreprise a révélé un changement d’état d’esprit.

« Un grand nombre de ces entreprises clientes passeront au cloud sur une période de plusieurs années, et un nombre croissant d’entre elles adopteront une approche hybride à mesure qu’elles modifieront leurs équipes et leurs utilisateurs au fil du temps », peut-on lire dans la lettre aux actionnaires. « En conséquence, vous nous entendrez parler davantage d’une initiative de croissance stratégique de premier plan dans les années à venir, englobant le voyage du Data Center au Cloud. »

Cette semaine, lors de sa conférence Team « 24 Europe », Atlassian a dévoilé des intégrations entre des produits basés sur le cloud et les versions Data Center de ses outils, qui ont été rares ces dernières années. Les mises à jour de produits de cette semaine incluent un connecteur Data Center pour le produit Rovo AI d’Atlassian nouvellement disponible et la préversion d’une fonctionnalité à venir appelée portfolio insights.

Prévu pour une disponibilité en 2025, portfolio insights fournira une vue centralisée de tous les produits Atlassian gérés par les clients, y compris les versions Data Center et Cloud.

« Portfolio insights est un outil qui fournit une vue à 360 degrés de la pile d’outils de l’organisation, en faisant apparaître tous les outils Atlassian Cloud, Data Center et tiers dans un tableau de bord unique », selon un porte-parole d’Atlassian cette semaine. « Il offre également des recommandations personnalisées pour conduire un écosystème d’outils plus efficace et optimisé afin que les entreprises puissent maintenir la santé de leurs données au fur et à mesure qu’elles évoluent. »

Les réfractaires persistent, mais pour combien de temps ?

Un utilisateur de l’édition Data Center d’Atlassian considère que le connecteur Rovo AI n’est pas susceptible d’intéresser les dirigeants préoccupés par la sécurité. Le problème ? Les services d’IA de l’éditeur envoient parfois des données à des tiers tels qu’OpenAI, selon une FAQ de l’entreprise.

« Après la keynote du fondateur de la Team “24 Europe, je veux vraiment être sur le cloud. Ils construisent [un] grand écosystème d’outils connectés », déclare Marcin Lis, un ingénieur senior spécialiste d’Atlassian dans une entreprise de divertissement de l’UE, lors d’une interview en ligne cette semaine. « Mais si nous optons pour [un LLM], nous en entraînerons un en interne ».

Marcin Lis considère que son entreprise est pour l’instant dans l’incertitude, observant le développement des outils Data Center et Cloud. Atlassian n’a pas abandonné l’idée que la plupart des clients de son offre Data Center finiront par déménager, mais doit leur laisser plus de temps, estime-t-il.

« Les clients qui utilisent encore les [versions] Data Center ont de grandes ou très grandes instances, ce qui représente trop d’argent pour les abandonner ou les effrayer, car ils pourraient alors choisir la concurrence au lieu du cloud [d’Atlassian] », observe-t-il. « Nous investissons trop de temps dans nos solutions pour les abandonner et repartir de zéro. [Mais] même le cloud avec des personnalisations comme ScriptRunner n’est pas pour nous en ce moment ».

Selon Charles Betz, analyste chez Forrester Research, il y aura toujours des réfractaires chez les utilisateurs des versions Data Center. La question sera de savoir combien ils sont et la part de leur investissement dans le chiffre d’affaires d’Atlassian.

« Cela suffira-t-il à Atlassian pour maintenir ces produits ? » s’interroge Charles Betz.

Pour un autre utilisateur d’Atlassian, la réponse semble déjà être oui.

« Il semble qu’ils soient suffisamment nombreux pour justifier un investissement continu dans les éditions Data Center », affirme Andy Rosequist, vice-président de l’ingénierie chez Sector Alarm Group, basé à Oslo, en Norvège. « Je pense que pour ces gros clients, le passage au cloud d’Atlassian est tout aussi complexe que le passage à une plateforme concurrente. Il ne faut donc pas les faire fuir ».

Selon Charles Betz, il est toutefois trop tôt pour se prononcer. La réponse dépendra en fin de compte de facteurs macroéconomiques actuellement en mouvement, qu’il s’agisse de l’incertitude liée aux guerres en cours et au changement climatique ou de la question de savoir si l’IA générative (GenAI) tient ses promesses.

« Si, en fin de compte, l’IA générative se montre indispensable, ce sera un facteur qui obligera les gens à abandonner les [outils] sur site », a-t-il déclaré. « Mais la GenAI n’en est pas encore là. Ce n’est tout simplement pas le cas ».

Pour l’instant, à l’instar de Marcin Lis, Andy Rosequist se demande si une connexion au service Rovo AI basé sur le cloud ferait une différence significative pour les adeptes des centres de données.

« Je suis un peu surpris qu’un client qui n’est pas déjà dans le cloud soit intéressé par l’envoi de ses données à la plateforme d’IA dans le cloud sans migrer le reste des données, mais je suppose qu’il s’agit d’un choix pragmatique », note-t-il.

La vague d’engouement pour l’IA pourrait également avoir eu un effet paralysant sur les clients d’Atlassian jusqu’à présent, d’après Andy Thurai, analyste chez Constellation Research.

« Alors que certains fournisseurs d’IA et hyperscalers sont en avance sur les autres, les utilisateurs sont déchirés entre le maintien de la poussée des données et de l’IA dans leur cloud principal ou des variations localisées et multicloud », déclare-t-il. « Compte tenu de cette nouvelle dimension de la stratégie IT des entreprises, beaucoup d’entre elles choisissent d’attendre un peu plus longtemps plutôt que de se lancer à fond dans la version cloud d’Atlassian. »

Atlassian s’attaque aux lacunes en matière de conformité et d’évolutivité du cloud

Atlassian rencontre des difficultés à convaincre ses clients les plus importants et sensibles à la sécurité de migrer vers ses services cloud en raison de l’absence de certification FedRAMP Modéré.

En juillet, Atlassian a atteint le statut « en cours » pour son nouveau Atlassian Government Cloud, une étape avant l’autorisation complète sous FedRAMP Moderate. L’entreprise vise aussi les certifications FedRAMP High et IL5 du département de la défense américain. De plus, elle développe des solutions comme le chiffrement « bring-your-own-key » et la gestion de 150 000 utilisateurs sur Confluence Cloud pour répondre aux besoins de ses clients les plus régulés.

Entre-temps, Atlassian a commencé à proposer à certains clients de grande envergure et très sensibles des accords de licence d’entreprise hybrides, selon Mike Cannon-Brookes, cofondateur, PDG et directeur, dans les commentaires qu’il a formulés lors de la présentation des résultats de l’entreprise au mois d’août.

Les responsables d’Atlassian n’ont pas précisé cette semaine si la mise en conformité avec le FedRAMP Moderate avait pris plus de temps que prévu. L’entreprise vantait les mérites de services cloud sécurisés pour le gouvernement dès 2020. Son passage à une entreprise axée sur le cloud est en cours depuis 2019 et comprend l’annonce de la fin de vie des éditions Server sur site de ses produits, ainsi que des hausses de prix pour les éditions Data Center en octobre 2020.

« Les prix agressifs, les remises et l’activation, combinés à moins de fonctionnalités dans les versions sur site, ont incité de nombreux clients à examiner sérieusement le Cloud [Atlassian] », considère Andy Thurai. « Cependant, le retard de la certification FedRAMP… certains de leurs clients envisageant le rapatriement du cloud [et] les investissements existants dans les centres de données… qui sont entièrement sous leur contrôle, les ont également fait hésiter. »

Atlassian n’est pas le seul éditeur à rencontrer des difficultés à remplacer les outils sur site par des services en clou plus récents. Microsoft, SAP et Oracle doivent guider leurs clients à travers d’épineuses migrations vers le cloud depuis l’année dernière, avec plus ou moins de succès. Sous la houlette de Broadcom, VMware a officiellement réorienté sa stratégie cloud pour se tourner vers le cloud privé d’entreprise, alors que les rapports sur le rapatriement du cloud d’entreprise parmi, au moins, une minorité vocale d’utilisateurs persistent.

« Toutes les charges de travail faciles à migrer ont été transférées dans le cloud [en même temps que] les charges de travail qui avaient vraiment besoin d’une capacité dynamique à la demande », observe Charles Betz. « Il s’agit d’un ensemble complexe de facteurs économiques qui convergent ici. Cela va inciter les gens à ne pas vouloir faire de grands changements ».

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