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Un an après son retrait de la bourse, SUSE dit avoir retrouvé la forme

SUSE retrouverait les voies de la croissance selon ses porte-parole. Outre une réorganisation de l’entreprise, certains enjeux, dont la fin de vie de CentOS, l’évolution tarifaire de VMware sous l’ère Broadcom, le passage à Kubernetes, et plus globalement la migration vers le (multi) cloud, portent l’activité de l’entreprise.

En novembre 2023, SUSE sortait de sa cotation en bourse, sous l’impulsion de son actionnaire majoritaire EQT Partner. L’objectif ? Officiellement, se concentrer sur « l’opérationnel et développer une stratégie à long terme ». Plus ou moins officieusement, il s’agit de mieux faire face à Red Hat, le grand champion d’IBM.

SUSE mise sur le cloud native, Linux, l’Edge… et l’IA

Presque un an plus tard, cette décision semble avoir porté ses fruits.

« Nous avons retrouvé un niveau de croissance à deux chiffres », se réjouit Thomas Di Giacomo, directeur de la technologie et des produits (CTPO) chez SUSE. « Notre nombre d’employés, de clients, mais aussi notre portfolio croît ». En juillet, l’entreprise a annoncé l’acquisition de StackState, une solution d’observabilité cloud native.

L’éditeur allemand spécialiste de Linux et de Kubernetes se concentre sur trois grandes activités : le cloud native, les systèmes d’exploitation et l’Edge. « Nous avons également annoncé une ligne de produits consacrés à l’IA », signale Thomas Di Giacomo. SUSE AI devrait proposer un moyen de gérer localement des applications d’IA générative et des systèmes RAG.

« Nous ne voulons pas devenir un acteur important du LLM, mais proposer la plateforme qui permet aux entreprises de gérer leurs applications GenAI de manière sécurisée et confidentielle. Nous avons un programme de bêta privé avec une centaine de clients », assure-t-il.

Cette plateforme s’appuie sur SUSE Linux Micro, la distribution Kubernetes « légère » RKE2, un opérateur de GPU Nvidia, NeuVector pour la gestion de la sécurité et de la conformité, Ollama pour appeler ou télécharger de grands modèles de langage, OpenWebUI pour l’UI, Langchain, et la base de données vectorielle open source Milvus.

Reste à voir si cette solution prendra de l’ampleur. En attendant, SUSE « observe la croissance de ses trois grandes activités. Notre croissance sur Linux est plus importante que celle du marché », ajoute Thomas Di Giacomo.

SUSE France, un « bon élève »

En outre, la France serait « l’un des bons élèves ».

« Cette année, nous avons dépassé nos objectifs ambitieux malgré un marché IT qui n’est pas au top de sa forme », réagit Olivier Raffy, directeur France chez SUSE.

« En France, l’adoption de Rancher est environ deux fois plus élevée que dans les autres pays couverts par SUSE, avec une forte dynamique et une croissance accélérée du cloud », poursuit-il.

« En France, l’adoption de Rancher est environ deux fois plus élevée que dans les autres pays couverts par SUSE, avec une forte dynamique et une croissance accélérée du cloud ».
Olivier RaffyDirecteur France, SUSE

Le dirigeant français observe que cette croissance est due à une adoption tardive du cloud par rapport aux pays nordiques. Toutefois, un utilisateur de Rancher n’est pas forcément un client de SUSE. « Rancher connaît une large adoption en France, mais il s’agit principalement d’utilisateurs et non de clients », précise le directeur des opérations en France. « Notre mission est d’apporter de la valeur en identifiant les workloads critiques et en offrant un service supérieur à celui des supports tiers ».

De manière générale, Thomas Di Giacomo note que cette croissance n’est pas seulement due à l’adoption des services des trois géants du cloud. « Nous avons des centaines de partenariats avec des fournisseurs de services managés ».

Par exemple, pour les plus petits clients, SUSE a lancé avec OVHcloud une offre nommée Managed Rancher Service au début du mois de septembre. « Nous voulons démocratiser l’utilisation de Kubernetes pour des petites et moyennes entreprises. Je pense qu’OVH est le bon partenaire pour faire cela », commente le CTPO.

Ce partenariat illustre par ailleurs la stratégie de SUSE.

« En France, nous passons d’une approche directe à une stratégie axée sur les partenaires, ce qui permet d’appréhender le marché de manière plus efficace », déclare Olivier Raffy. « La couverture se fait sur deux axes : les grands comptes, avec une approche ciblée et le reste du marché via une approche “territoire”, soutenue par le réseau de partenaires et le customer success ».

« L’équipe customer success en France a d’ailleurs doublé de taille », ajoute-t-il. « Bien que nous soyons un leader open source, la vente de services d’expertise, complémentaire à celle de nos partenaires, est en pleine expansion pour soutenir l’adoption des solutions ».

Il faut dire que la nomination de Dirk-Peter van Leeuven au poste de CEO en mai 2023 a provoqué un changement d’organisation en interne. L’homme aux 18 ans de carrière chez Red Hat a recruté des transfuges de l’adversaire préféré de SUSE. « Ils connaissent très bien ce marché. La greffe a bien pris », estime Thomas Di Giacomo.

Mais la croissance s’explique aussi par des « facteurs externes ».

Maintenir CentOS 7 en vie

Il y a d’abord la fin de vie de CentOS 7, acté le 30 juin dernier. Red Hat et IBM ont changé le cycle de développement de RHEL, faisant de CentOS Stream, successeur de CentOS, une version intermédiaire entre Fedora et RHEL. En outre, ils ont restreint l’accès au code source de RHEL, rendant plus difficile la création de forks. Face à cette décision, la communauté open source a cherché des alternatives. Parmi elles, Debian et Alpine restent populaires, tandis que des clones de CentOS, comme Rocky Linux et Alma Linux, ont émergé.

Or, « une migration d’OS même vers un clone n’est pas neutre », déclare Thomas Di Giacomo. « Nous avons beaucoup de clients qui exploitent SLES, mais nous supportons d’autres distributions. Notre offre Liberty Linux prend en charge RHEL et CentOS, y compris en fin de vie », indique-t-il. Cette offre inclut le support 24x7 et la sécurité pour CentOS 7, 8, 9, ainsi que pour RHEL 5, 6, 7, 8, 9.

Le coût serait inférieur à la souscription à SLES ou RHEL. « Nous demandons une contribution financière moindre, voire minime pour soutenir le travail de backport afin de nourrir le répertoire CentOS », ajoute le CTPO. CentOS 7 est pris en charge jusqu’en 2028.

« Il s’agit de donner une bouffée d’air, de ne pas mettre le couteau sous la gorge des clients ».
Thomas Di GiacomoCTPO, SUSE

« Il s’agit de donner une bouffée d’air, de ne pas mettre le couteau sous la gorge des clients », affirme Thomas Di Giacomo. « Nous sommes habitués à faire du support à long terme ».

Pour certains de ses propres produits, SUSE offre jusqu’à 13 ans de support (cinq ans pour Rancher). Dans le cas de CentOS 7, il est limité à trois ans.

« Nous verrons s’il faut le prolonger. Certains clients cherchent à migrer. Nous accompagnerons les migrations, peu importe la distribution cible », affirme le CTPO.

Évidemment, il s’agit d’orienter les clients vers SLES. « Certains hésitent avec Amazon Linux. Rocky et Alma sont moins présents, car ils ont des charges de travail critiques », note-t-il.

Miser sur la gestion multi-Linux

De plus en plus de clients chercheraient à sourcer plusieurs distributions de Linux, tout en maintenant un meilleur équilibre économique.

« Je viens des télécoms. Dans les télécoms, il y a une règle de base, c’est le dual sourcing. Il est impossible de dépendre d’un seul acteur pour un élément clé de l’activité », note-t-il.

Pour cela, le fournisseur propose SUSE Manager, une solution de gestion des mises à jour compatible avec différentes distributions Linux, dont SLES, openSUSE, RHEL, CentOS, Oracle Linux, Debian, Ubuntu, Amazon Linux ou encore Alma Linux. Celle-ci fonctionne pour gérer des OS sur site ou dans le cloud, qu’ils soient installés dans des environnements conteneurisés, bare-metal ou virtualisés.

« La pratique du dual sourcing se diffuse de plus en plus dans les DSI. L’open source est censé offrir cela, mais l’on se rend compte que toutes les solutions ne sont pas égales devant l’enfermement propriétaire ».
Thomas Di GiacomoCTPO, SUSE

« La pratique du dual sourcing se diffuse de plus en plus dans les DSI. L’open source est censé offrir cela, mais l’on se rend compte que toutes les solutions ne sont pas égales devant l’enfermement propriétaire », lance Thomas Di Giacomo.

Le rachat de VMware par Broadcom, potentiel accélérateur de la conteneurisation

Cet enjeu de l’enfermement propriétaire a provoqué une forme de « gueule de bois » chez les DSI face au cas Broadcom-VMware.

« Nous travaillons beaucoup avec nos clients pour réduire leur dépendance à VMware », assure le CTPO. « Il n’est pas forcément possible de remplacer la virtualisation, notamment pour certaines charges de travail Legacy, mais pour les nouvelles, il semble plus judicieux de se tourner vers KVM, les conteneurs et Kubernetes ».

Pour cela, SUSE mise essentiellement sur Harverster, une solution hyperconvergée basée sur KubeVirt capable de gérer des KVM et des conteneurs. « Certaines entreprises accélèrent leur migration vers le cloud public là où ils n’ont pas besoin de VMware. C’est un encore un peu tôt pour définir une tendance : il y a des renouvellements de contrats en cours. Ces discussions prendront environ trois ans », juge Thomas Di Giacomo. « Toutefois, je pense que cela peut accélérer la conteneurisation de certaines charges de travail ».

« Nous sommes très sollicités par nos clients après la décision de Broadcom d’augmenter les tarifs de VMware. Ils nous évoquent des prix multipliés par trois, par quatre, par douze ! » s’exclame Olivier Raffy. « Certaines DSI se disent contraintes et ont consommé tout leur budget pour l’année, voire au-delà ».

Le bras de fer avec Red Hat voué à s’intensifier

Pour la suite néanmoins, Red Hat, avec OpenShift et OpenShift Virtualization, est un concurrent de taille. En réponse, le CTPO de SUSE vante les capacités de Rancher à pouvoir gérer d’autres distributions de Kubernetes, dont AKS, EKS et GKS, celles d’Azure, AWS et GCP. « Techniquement, il serait possible de gérer OpenShift, mais il est peu probable que Red Hat nous autorise à le faire », déclare-t-il, un brin provocateur.

« Je pars du principe que l’exécution des Kubernetes doit passer par les distributions natives que sont EKS, AKS ou GKE. Y ajouter une distribution OpenShift en prétendant que c’est du cloud juste parce que cela se trouve dans les mêmes environnements, n’a pas vraiment de sens, y compris pour les clients », ajoute-t-il. « Lorsqu’il y a à la fois de l’on-prem et du cloud, il est souvent plus pertinent d’avoir un outil de gestion agnostique ».

« Lorsqu’il y a à la fois de l’on-prem et du cloud, il est souvent plus pertinent d’avoir un outil de gestion agnostique ».
Thomas Di GiacomoCTPO, SUSE

Selon le Magic Quadrant de Gartner de septembre 2024 consacré à la gestion de conteneurs, SUSE est un des leaders avec Alibaba Cloud devant VMware, mais derrière un quatuor de tête composé de Microsoft, Google, AWS, et Red Hat.

Les analystes signalent que l’éditeur allemand se distingue par sa capacité à gérer plusieurs distributions d’orchestrateur de conteneurs, sa stratégie Edge et sa tarification compétitive qui attirerait de nombreux clients.

Cependant, SUSE « a souvent du mal à se démarquer des nombreux autres fournisseurs qui sont entrés sur le marché de la gestion des conteneurs », signale Gartner. Il n’offrirait pas suffisamment de fonctionnalités pour les développeurs (malgré un catalogue applicatif intégrant une quarantaine de composants populaires) et ses relations avec les fournisseurs de cloud seraient « naissantes ».

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