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Affaire VMware : AT&T intente à son tour un procès à Broadcom

Comme Thalès, AT&T affirme que le contrat qu'il avait négocié avec VMware avant son rachat par Broadcom n'est pas respecté. Son action en justice reçoit le soutien moral des autres clients pareillement lésés, mais elle n’est pas gagnée d’avance.

Après Thalès en France, c’est au tour de l’opérateur de téléphonie américain AT&T de traîner en justice Broadcom pour non-respect du contrat de maintenance signé avec VMware avant qu’il soit racheté. À l’heure où nous écrivons ces lignes, un accord temporaire a été trouvé qui oblige Broadcom à honorer ce contrat pour encore trois semaines.

Jusqu’en octobre 2023, les entreprises achetaient une sélection de logiciels à VMware – parmi un catalogue de 3000 références – et doublaient cet achat d’un contrat de maintenance pluriannuel. Depuis qu’il a racheté VMware, fin novembre, Broadcom a changé les règles du jeu : désormais, les entreprises n’ont plus accès qu’à un abonnement mensuel qui comprend l’ensemble du catalogue et la maintenance.

Problème, Broadcom a purement et simplement annulé les contrats de maintenance qui courraient toujours. Les anciens clients qui comptaient bénéficier encore d’une assistance - parmi lesquels Thalès et AT&T - se sont entendu dire qu’ils avaient l’obligation de souscrire le nouvel abonnement pour avoir le droit d’appeler à l’aide. Et, ce, même si ces clients n’ont que faire de l’ensemble du catalogue et qu’ils comptaient bien rentabiliser sur plusieurs années les logiciels déjà achetés.

De fait, les relations entre VMware et ses clients se seraient considérablement détériorées depuis le début de l’année, note l’analyste Marc Staimer, du cabinet de conseil Dragon Slayer Consulting. Il ajoute : « Le fait est que l’augmentation de l’insatisfaction des clients n'est pas une chose inhabituelle en ce qui concerne les acquisitions de Broadcom. Les précédents rachats de Veracode, de CA Technologies et de Symantec avaient tout autant conduit à une élévation sévère des conditions tarifaires et à un exode de la clientèle. »

Première concrétisation d’une colère qui gronde aux USA

Pour autant, AT&T est la première entreprise aux USA qui pousse le mécontentement jusqu’à traîner Broadcom en justice. « Et pour cause. Broadcom savait très bien qu’en opérant de tels changements dans la politique commerciale de VMware, il lui ferait perdre des clients. Mais la vérité est que Broadcom n’a que faire de fournir de l’assistance à des milliers de petits clients », dit Marc Staimer, en suggérant que Broadcom ne cédera jamais rien aux PME et que celles-ci perdraient de l’argent en vain en frais de justice si elles tentaient de le faire plier.

« En revanche, Broadcom entend bien courtiser les clients les plus importants de VMware, ceux qui dépensent le plus dans ses logiciels. De fait, AT&T sait qu’il a quelque chose à gagner en faisant peser la menace d’une condamnation par la justice », ajoute-t-il.

« À ce stade préliminaire, il s’agit encore d’un bras de fer entre les cabinets d’avocats respectifs pour voir qui acceptera le premier un accord à l’amiable qui arrange l’autre. Je pronostique que Broadcom cédera le premier, car un procès pourrait inciter d’autres entreprises à rejoindre l’action d’AT&T. »

Et il est fort probable qu’elles soient nombreuses à être suffisamment motivées pour le faire, estime Steve McDowell, analyste pour le cabinet d’études NAND Research : « Même s’il est très rare que des clients intentent un procès à leurs fournisseurs. Je pense que Broadcom a largement sous-estimé la motivation des clients de VMware. Il s'agit d'un public particulièrement captif, qui utilise ses logiciels depuis de nombreuses années par choix ou par nécessité. »

« Les logiciels de virtualisation, comparés à d'autres produits acquis par Broadcom, sont souvent profondément liés à l'infrastructure d'une organisation, ce qui fait de la migration ou du remplacement un processus long et difficile », témoigne Brian Kirsch, responsable réseau de l’établissement scolaire américain Milwaukee Area Technical College. Il fait partie de ceux qui ne décolèrent pas que Broadcom ait supprimé les licences à prix réduit que VMware réservait au secteur de l’éducation.

Brian Kirsch élabore à présent un nouveau programme d'études qui repose sur la plate-forme de virtualisation Open source Proxmox, avec l’aide des fournisseurs de logiciels scolaires et des enseignants. Mais il ne cache pas l’embarras dans lequel l’a plongé la décision de Broadcom. « VMware est devenu la norme de virtualisation de facto et les plates-formes alternatives n'offrent pas la même richesse fonctionnelle », regrette-t-il.

Démarrage du procès à bâtons rompus

AT&T a déposé sa plainte contre Broadcom devant la Cour suprême de l'État de New York le 29 août. Dans celle-ci, il affirme que VMware s’est engagé, en 2022, à assurer la maintenance des logiciels achetés à ce moment-là par AT&T. Et, ce, au moins jusqu’au 8 septembre 2024. Voire jusqu’au 8 septembre 2026, si AT&T acceptait entretemps d’allonger de deux ans la durée du contrat de maintenance.

Mais Broadcom aurait signifié dès novembre 2023 à AT&T qu’il continuerait de lui fournir l’assistance de VMware uniquement si AT&T basculait sur la formule de l’abonnement à l’intégralité du catalogue.

Dans les faits, depuis son rachat par Broadcom, VMware commercialise l’intégralité de ses logiciels de virtualisation sous deux offres : l’abonnement VMware Cloud Foundation (VCF), quand le client est un hébergeur de cloud privé qui revend l’utilisation des logiciels sous forme de services, et l’abonnement VMware vSphere Foundation (VVF), quand le client est une entreprise qui compte exploiter les logiciels pour son propre usage.

« Broadcom a tout à fait le droit de modifier le modèle commercial de VMware. Ce qu'il ne peut pas faire, en revanche, c'est modifier rétroactivement les contrats VMware existants pour les adapter à sa nouvelle stratégie commerciale », écrivent les avocats d'AT&T dans leur plainte. Ils ajoutent que l’abonnement comprend de nombreux logiciels « dont AT&T n’a pas besoin et qu’il ne veut pas utiliser. »

AT&T ne demande pas de dommages-intérêts immédiats, mais une injonction permanente de la justice pour que Broadcom honore le contrat initial d'extension des services d'assistance. Les deux entreprises sont parvenues à un accord temporaire permettant à Broadcom de prolonger les services d'assistance jusqu'au 8 octobre. Les deux parties reviendront devant le tribunal le 15 octobre pour la première audience du procès.

Dans un commentaire par e-mail envoyé à nos collègues de TechTarget USA, Broadcom déclare qu'il entend respecter les exigences contractuelles du... nouveau modèle d'abonnement :

« Broadcom n'est pas du tout d'accord avec ces allégations et nous sommes persuadés que la procédure judiciaire aboutira en notre faveur. VMware s'est orienté vers un modèle d'abonnement, la norme pour le secteur du logiciel, depuis plusieurs années ; avant même l'acquisition par Broadcom. Nous continuerons à offrir à nos clients choix et flexibilité tout en les aidant à relever leurs défis technologiques les plus complexes », dit l’e-mail.

À la décharge de Broadcom, il est vrai que l’offre d’abonnement global comprenant logiciels et assistance existait au catalogue de VMware avant qu’il le rachète. Pour autant, ce n’est pas celle qu’AT&T semble avoir choisie.

Selon Hock Tan, le PDG de Broadcom, l'offre d'abonnement aux logiciels VMware serait pourtant un succès. Lors de la conférence téléphonique sur les résultats du troisième trimestre de l'exercice 2024 de Broadcom, le 5 septembre, il indiquait que le chiffre d'affaires des logiciels d'infrastructure de Broadcom avait augmenté de 200 % par rapport au troisième trimestre 2023, pour atteindre environ 5,8 milliards de dollars, dont 3,8 milliards de dollars attribués à VMware. Il déclarait aussi que VMware avait réduit ses dépenses, de 1,6 milliard de dollars au trimestre précédent, à 1,3 milliard de dollars à présent.

« La transformation du modèle commercial de VMware continue de progresser très bien », a-t-il insisté, comme pour dire à quel point cette stratégie ferait consensus.

L’affaire n’est pas gagnée d’avance pour AT&T

AT&T n'a pas répondu à une demande de commentaire à l'heure où nous écrivons ces lignes, mais l’opérateur n'a pas mâché ses mots dans le texte de son action en justice.

Dans celui-ci, il affirme que près de 75 000 de ses machines virtuelles sont motorisées par les logiciels de VMware, dont 22 000 sont liées d'une manière ou d'une autre à des administrations américaines, tant au niveau fédéral qu'au niveau local. Le fonctionnement de ses propres call-centers, qui répondent à près d'un million d’appels clients par jour, reposerait également sur des logiciels de VMware.

« Sans les services d'assistance de VMware, les systèmes d'exploitation d'innombrables clients d'AT&T - y compris du gouvernement et des agences de renseignement - sont à deux doigts de tomber en panne », dit la plainte déposée au tribunal.

Neel Chatterjee, un expert en litige du cabinet d’avocats Goodwin Procter, estime que cette plainte est à double tranchant : « devant l’ampleur d’un tel risque, le tribunal ne manquera pas de demander à AT&T ce qu’il avait prévu pour éviter qu’une telle situation se produise. » Or, AT&T pourrait être tenu responsable de s’être laissé embarquer – et d’avoir embarqué ses propres clients – vers des perspectives aussi périlleuses. « Une entreprise comme AT&T est toujours censée pouvoir basculer sur une solution alternative », ajoute-t-il.

« Pour faire valoir son point de vue, AT&T devra peut-être démontrer qu’il ne peut pas remplacer VMware par un autre logiciel de virtualisation en temps voulu et que la suppression de l'assistance entraînerait immédiatement des défaillances de service », analyse Neel Chatterjee.

Il cite le litige opposant la compagnie aérienne Delta Air Lines à l'éditeur de logiciels de sécurité CrowdStrike, lequel commence à donner lieu à une situation juridique similaire.

En juillet, CrowdStrike a publié une mise à jour automatique qui a fait planter des millions de machines Windows, provoquant des pannes massives de nombreux services en ligne. Parmi eux, les systèmes de Delta sont restés hors service plus longtemps que ceux des autres compagnies aériennes, ce qui a entraîné plus d'une semaine d'interruption de ses vols. Delta affirme aujourd'hui que la panne lui a coûté 500 millions de dollars.

« Delta pourrait faire valoir qu’ils n'avaient pas d'autres solutions en raison de l'omniprésence de Windows sur le marché. AT&T pourrait employer une tactique similaire avec Broadcom », dit Neel Chatterjee. « L'efficacité d'un tel argument devant les tribunaux dépendra du contrat conclu entre AT&T et VMware, qui n'est pas actuellement consultable. »

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