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ERP et durabilité : les outils de reporting du carbone se multiplient
Pour répondre aux besoins de reportings extra-financiers, dont font partie les indicateurs environnementaux, les éditeurs de progiciels de gestion ajoutent de nouvelles offres à leurs gammes. Mais ils ne sont pas les seuls sur ce marché naissant de la mesure et de la gestion des données « vertes ».
Les principaux fournisseurs de progiciels de gestion intégrés (ERP) ont doté leurs suites logicielles de fonctionnalités qui permettent à leurs clients de surveiller et de gérer l’impact environnemental de leurs opérations.
Cette stratégie est motivée par les nouvelles réglementations sur le climat (ESG), mais aussi par le fait que les entreprises trouvent de plus en plus que la réduction de leur empreinte carbone présente des avantages métiers, voire commerciaux.
Lors de la première conférence européenne organisée par Epicor à Prague en juin, Steve Hare, analyste chez le fabricant britannique de murs en verre pour les open spaces, Optima (client de l’éditeur), a expliqué que le développement durable était un facteur de différenciation pour l’industriel.
Pour rappel, Epicor est un éditeur ERP spécialisé dans le secteur manufacturier. Il a profité de son événement pour annoncer un partenariat avec la société de données sur le développement durable Climatiq. Le moteur de calcul de l’empreinte écologique et carbone de Climatiq sera ainsi intégré à la gamme d’Epicor.
Pour des clients comme Optima, une telle fonctionnalité va dans le sens de l’Histoire. Steve Hare explique que le fabriquant est « sur la voie de la neutralité carbone pour 2030 », avec beaucoup de travail effectué dans ses usines, avec des panneaux solaires, de l’eau recyclée, des camionnettes de livraison électriques, etc.
Plus largement, la demande d’outils pour recueillir des données sur la durabilité est en hausse. Ce nouveau marché n’a pas échappé à l’attention des acteurs de l’ERP.
SAP, Oracle, Microsoft (Dynamics 365), Infor, IFS, Workday ou encore Netsuite proposent tous à leurs clients des outils, sous une forme ou sous une autre, pour calculer leurs empreintes carbone et suivre en temps réel leurs émissions.
Ce mouvement souligne l’importance croissante de la collecte de ces données. Et ce, pas seulement pour des raisons de gouvernance (légale) et de réputation. Comme le rappelait Steve Hare, la connaissance de ces données a une portée plus large, notamment en termes de stratégies opérationnelles à long terme, pour par exemple optimiser les processus de la chaîne d’approvisionnement.
Mesurer et gérer les données de durabilité
Pour Liz Herbert, VP et analyste principale chez Forrester Research, l’ERP est un bon outil pour mesurer ces données. Mais pas toujours. Selon elle, pour gérer la durabilité, il faut d’un côté « mesurer et prendre des décisions dans des domaines que l’ERP gère [comme] les fournisseurs et l’approvisionnement, la logistique, la fabrication ou les voyages des employés ».
Mais d’un autre côté, l’ERP n’est pas toujours un système de reporting de données externes. Ce qui signifie qu’il peut ne pas être adapté pour des mesures, de plus en plus importantes, comme les émissions de la supply chain ou des bâtiments et des infrastructures.
Les entreprises doivent donc se poser un certain nombre de questions pour déterminer si un ERP est le choix le plus judicieux en matière de gouvernance de la durabilité.
« Quelle est l’étendue du champ d’application de leur ERP par rapport à l’ensemble des éléments qu’ils doivent mesurer et prendre en compte pour la durabilité ? La solution ERP couvre-t-elle une partie ou la majeure partie de ces éléments ? », invite-t-elle à se demander. « L’ERP est-il leur outil de reporting ? Si ce n’est pas le cas, les principaux outils de reporting qu’ils utilisent offrent-ils une solution de durabilité ? Nous voyons également des solutions de durabilité dans les outils de planification et d’analyse financières et de gestion des performances de l’entreprise, qui peuvent ou non être les mêmes que le système ERP. »
Dans le même ordre d’idées, Liz Herbert demande s’il est judicieux d’envisager des outils dédiés à la gouvernance, aux risques et à la conformité (GRC). Pour elle, ces outils GRC « doublonnent dans une certaine mesure avec les ERP ». Mais ils s’adressent souvent à d’autres directions et sont fournis par d’autres types d’éditeurs.
Tout dépend donc, en réalité, de la manière plus ou moins large dont une entreprise s’appuie sur son ERP. « Plus elle utilise une suite ERP, plus la solution de développement durable proposée par son fournisseur lui semblera judicieuse », conclut Liz Herbert. « Bien entendu, les clients doivent également tenir compte de l’offre et des prix spécifiques, qui varient considérablement d’un éditeur à l’autre. »
Les éditeurs d’ERP attirés par la durabilité
La réglementation pousse aussi fortement vers ce nouvel outillage. Pour Gurpreet Kaur, directrice de PwC UK, « nous avons atteint un point de basculement en matière de reporting, où les entreprises doivent passer de l’évaluation à l’action ».
Gerry Finnon, responsable des ERP chez Audiotonix, confirme. Audiotonix est un autre client d’Epicor. L’entreprise fabrique et fournit des équipements audio, comme des tables de mixage pour les salles de concert (elle a récemment fourni celles de la tournée de Taylor Swift).
L’entreprise a beaucoup de fournisseurs différents. Et elle souhaite aujourd’hui avoir une vision plus claire et plus large de son empreinte. « Nous devrons déclarer le carbone sur tous nos produits, et sur tous les matériaux [que nous utilisons] », explique Gerry Finnon. « Si vous demandez à votre fournisseur : “Pouvez-vous me dire combien il y a de carbone dans votre produit ?”, certains le sauront, mais d’autres non. C’est un gros défi pour nous ».
Pour résoudre ce problème, l’accord conclu entre Epicor et Climatiq pourrait être un début de solution.
Chez un autre éditeur, SAP, la stratégie globale est la même. Un groupe comme BT (client de SAP depuis 2019) s’est récemment félicité d’avoir adopté, fin 2023, la solution Sustainability Data Exchange (SDX).
SDX a permis au géant des télécommunications de collecter, tracer et partager les données carbone de sa propre base de fournisseurs.
Pour Sarwar Khan, un des responsables mondiaux de la durabilité chez BT, SDX a ouvert la voie à « une compréhension précise et complète des émissions du Scope 3 » ce qui permet de « relier les données carbone des fournisseurs aux produits et services que nos clients achètent, afin qu’ils puissent prendre leurs propres décisions en matière de durabilité en s’appuyant sur des données précises », avec plus de transparence.
« Le chemin vers le net zéro passe par la collaboration. C’est quelque chose que nous voulions intégrer intimement dans nos processus de reporting sur la durabilité », explique Sarwar Khan.
Les émissions des fournisseurs, regroupées dans la catégorie « Scope 3 » (catégorie qui ne se limite pas à ces émissions), sont les plus difficiles à suivre, car les données sont souvent limitées ou silotées.
Beaucoup d’entreprises doivent donc s’appuyer sur des estimations ou des hypothèses pour mesurer leurs progrès, ce qui manque de précision pour prendre des mesures réelles qui auront un impact positif sur l’environnement.
« C’est un défi auquel nos clients sont aussi confrontés », constate Sarwar Khan. « Il faut donc leur fournir une visibilité la plus précise possible sur l’empreinte carbone de nos produits et de nos services ».
Dans ce cadre, SAP SDX serait « une solution parfaitement adaptée » qui symbolise bien la manière dont les d’ERP peuvent apporter une valeur ajoutée.
Tous les éditeurs d’ERP en sont en tout cas convaincus, si l’on en croit le nombre d’accords passés et de nouveaux modules qui apparaissant régulièrement.
Deux exemples parmi d’autres. En mai, IFS a annoncé une collaboration avec PwC pour développer un module de gestion de la durabilité dans IFS Cloud (il devrait être disponible à la fin du mois de novembre). Et en mars, Oracle a annoncé Oracle Cloud EPM for Sustainability (cf. encadré pour plus d’exemples).
Plus de données pour une durabilité plus profitable
Reste que l’intérêt des reportings extrafinanciers n’est pas uniformément reconnu dans les entreprises.
À plusieurs reprises, des rapports des cinq grands cabinets de conseil ont souligné la valeur financière et stratégique qu’il y avait à mesurer, analyser et gérer la durabilité – en particulier dans les opérations et la supply chain. Être durable, c’est aussi être plus résilient face à l’inflation ou à la volatilité des prix de l’énergie.
Mais une étude de EY a aussi récemment montré que les investisseurs et les entreprises ne sont pas toujours d’accord sur la stratégie à adopter pour créer une valeur durable à long terme ni sur la question de savoir si les rapports actuels offrent suffisamment d’informations sur cette stratégie.
L’étude indique en effet que « 78 % des investisseurs pensent que les entreprises devraient faire des investissements pour résoudre les problèmes de durabilité liés à leur activité, même si cela réduit les bénéfices à court terme, mais seulement 55 % des responsables financiers sont prêts à adopter cette position ».
EY ajoute que « 80 % des investisseurs déclarent que trop d’entreprises ne parviennent pas à expliquer correctement la raison d’être des investissements à long terme dans le domaine du développement durable, ce qui peut rendre difficile l’évaluation de l’investissement ».
Durabilité dans l’ERP ou pas dans l’ERP
Des rapports plus clairs et une analyse contextuelle seraient donc nécessaires. Pour les éditeurs d’ERP, l’opportunité s’annonce prometteuse. À condition que les clients ne soient pas trop effrayés par la complexité des offres, ou qu’ils ne décident pas de se tourner vers des solutions indépendantes, et spécialisées, pour ne pas dépendre d’un seul et même éditeur.
Une chose est sûre en revanche. Avec la pression croissante de la législation, des clients (et même des employés), ces « clients » devront rapidement choisir entre durabilité dans l’ERP ou durabilité en dehors de l’ERP.
Les outils de reporting « vert » de quelques éditeurs d’ERP
- SAP : SAP Environment, Health, and Safety Management, SAP Product Footprint Management, SAP Sustainability Control Tower, SAP Cloud for Sustainable Enterprises, Sustainability Data Exchange.
- Oracle : Oracle Environmental Accounting and Reporting, Oracle Cloud Infrastructure Sustainability.
- Microsoft : Microsoft Cloud for Sustainability, Microsoft Sustainability Calculator.
- Infor: Infor EAM (Enterprise Asset Management), Infor Nexus.
- IFS : IFS Cloud – Sustainability Management, module développé avec PwC.
- Workday : Workday Sustainability.
- Epicor : Epicor ERP avec l’intégration des outils de Climatiq.
- Netsuite : Netsuite ERP.