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Scission de Western Digital : « pas de panique », disent les analystes

Le fabricant de disques et de SSD devrait se séparer en deux entités d’ici à la fin de l’année, chacune dédiée à une gamme de produits. Alors que les clients s’en inquiètent, les analystes n’y voient que du positif.

En octobre de l’année dernière, le fabricant d’équipements de stockage Western Digital a annoncé son intention de se scinder en deux entités distinctes. L’une pour les disques durs et les dispositifs magnétiques associés (la fabrication des têtes de lecture que l’on retrouve dans les lecteurs de bandes, notamment) et l’autre pour tout ce qui a trait aux mémoires Flash, principalement la fabrication de SSD. Tandis que la scission devient imminente et qu’elle nourrit des inquiétudes chez les clients, les analystes jugent qu’elle ne devrait finalement pas avoir d’impact négatif sur le marché.

C’est sous la pression des investisseurs que le fournisseur se divisera. La marque responsable des disques durs conservera le nom de Western Digital. On ne connaît pas encore celui de la société qui reprendra l’activité Flash. Une autre inconnue est le calendrier exact. Western Digital a fait savoir que la scission devrait avoir lieu avant la fin de l’année.

Bien qu’il s’agisse d’un bouleversement important chez l’un des trois principaux fabricants de disques durs, les analystes ne s’attendent pas à ce que le marché des disques durs subisse des changements considérables.

Fondé en 1970, Western Digital a commencé par fabriquer des puces pour calculatrices avant de se lancer dans le secteur du stockage dix ans plus tard, en se concentrant principalement sur les contrôleurs. Il faudra attendre les années 1990 pour voir arriver des disques durs sous sa marque. Ses premiers SSD sont commercialisés en 2009. Mais il faudra attendre 2016, et le rachat de SanDisk, un géant des produits basés sur les mémoires NAND, pour que cette activité décolle réellement. Aujourd’hui, la scission revient essentiellement à annuler cette acquisition.

Le casse-tête de maintenir deux activités financièrement incompatibles

« Aucun fabricant n’a jamais réussi à combiner la mémoire flash et les disques durs. Bien qu’il semble y avoir des similitudes entre les deux types d’activités – la confection et la vente d’unités de stockage –, elles sont fondamentalement différentes. La fabrication de produits de stockage Flash, principalement les SSD, nécessite des investissements industriels lourds et récurrents, alors qu’on utilise toujours plus ou moins le même équipement pour fabriquer des disques durs plus denses », observe John Chen, analyste pour le cabinet Trendfocus.

« Vous n’avez plus à vampiriser les revenus des disques durs pour financer le développement des SSD. Chaque activité se développe à l’échelle des revenus qu’elle génère. »
Ed BurnsAnalyste, IDC

D’un point de vue comptable, séparer les deux activités équivaut donc à rationaliser les investissements, estime Ed Burns, analyste chez IDC : « en clair, vous n’avez plus à vampiriser les revenus des disques durs pour financer le développement des SSD. Chaque activité se développe à l’échelle des revenus qu’elle génère », résume-t-il.

« Parmi les fardeaux financiers que les SSD font peser sur le développement des disques durs, il faut aussi tenir compte de l’extrême volatilité des prix sur le marché des mémoires NAND. Elle impose sans cesse aux fabricants de freiner prudemment les investissements dans leurs développements », abonde John Chen.

Côté clients, les analystes estiment qu’ils ont tout à gagner d’un fournisseur qui ne fabrique plus que des SSD. « Ce que SanDisk faisait très bien, c’était imposer une marque, avoir un réseau solide de distributeurs, travailler sur des intégrations verticales et, in fine, mettre l’accent sur les utilisateurs finaux avec des produits pour PC et pour le grand public », estime Joseph Unsworth, analyste chez Gartner.

Il rappelle que le besoin en disques durs est désormais une problématique circonscrite aux datacenters – voire aux seuls hyperscalers – et que ces clients-là nécessitent des efforts commerciaux qui n’ont rien à voir avec ceux de la grande distribution.

Les disques durs resteront longtemps une activité pérenne

Reste à savoir si les deux entités auront une pérennité équivalente. Depuis de nombreuses années, les experts prophétisent une disparition des disques durs au profit des seuls SSD, le prix du Go sur des SSD moins énergivores et moins fragiles ayant tendance à rejoindre celui du Go sur les disques durs. Pour autant, les mêmes experts avaient prédit que la bande disparaîtrait il y a des années, alors qu’il s’en vend toujours autant pour archiver durablement les données.

« Bien que les chiffres ne soient pas précisément connus, on estime que 85 % des données de production sont toujours stockées sur des disques durs. Et rien n’indique que cette part se réduira à court terme. Bien sûr, elle se réduira, mais cela prendra beaucoup de temps », dit Ed Burns, en refusant catégoriquement de croire que la vente de disques durs soit dans une impasse.

« Qu’un fabricant de disques durs ait les mains libres pour développer ses technologies est une chose. Qu’il y parvienne en est une autre. »
John ChenAnalyste, Trendfocus

Un avis que pondère John Chen : « qu’un fabricant de disques durs ait les mains libres pour développer ses technologies est une chose. Qu’il y parvienne en est une autre. Nous porterons une attention particulière au cours des six prochaines années à la transition technologique de Western Digital vers la technologie HAMR », dit-il, en faisant référence à la mise au point de nouveaux dispositifs censés maintenir les disques durs au même niveau de capacité que celui atteint, désormais, par les SSD.

La croissance de capacité des mémoires NAND suit en l’occurrence le même schéma que la montée en puissance des processeurs. Il suffit d’investir régulièrement dans des moyens industriels plus précis pour densifier les semiconducteurs et multiplier ainsi leurs caractéristiques pour un format donné. Les revêtements magnétiques utilisés dans les disques durs butent en revanche sur des limites physiques et il faut inventer de tout nouveaux principes de fonctionnement – l’émission de chaleur dans le cadre de la technologie HAMR – pour les contourner.

Au fait, et la fusion Western Digital-Kioxia ?

Cette scission remet sur la table la rumeur – qui traîne depuis trois ans – d’une fusion des activités Flash de Western Digital et de son concurrent Kioxia, un autre grand nom de la fabrication de mémoires NAND. Tous les experts y pensent, actant qu’elle était finalement impossible, tant que les SSD Western Digital partagent la même comptabilité que les disques durs Western Digital. Surtout que l’on sait à présent qu’il n’est pas question de cesser de fournir des disques durs à des acteurs comme les hyperscalers qui maintiennent une forte demande.

La scission entre ces deux fabricants de mémoire NAND permettrait de rationaliser les coûts importants que suscite le renouvellement récurrent des usines de semiconducteurs.

En revanche, les analystes n’imaginent pas de fusion entre les trois fabricants de disques durs qui existent encore sur le marché : Seagate, Western Digital et Toshiba. Et cela n’a rien à voir avec l’absence d’intérêt de consolider ici les coûts industriels.

« Il y a une raison commerciale qui va contre une telle fusion : cela serait perçu comme une atteinte à la liberté des clients de faire jouer la concurrence », estime Ed Burns, en précisant que Toshiba, le plus petit des trois fournisseurs en matière de ventes, serait pourtant une proie facile pour les deux autres.

« Les clients apprécient d’avoir trois acteurs, car si vous n’avez qu’une seule alternative à votre fournisseur, vous avez nécessairement moins de poids dans les négociations. Mais même pour un fournisseur, la diversité de l’offre devient plus difficile à gérer à mesure que l’on se consolide », abonde John Chen.

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