BCFC - stock.adobe.com

Procès Appian contre Pega : une cour d’appel annule le verdict de 2 milliards de dollars

Il y a deux ans, Appian a obtenu des dommages-intérêts record dans le cadre de son procès contre Pegasystems, qu’elle accusait d’espionnage. Une cour d’appel a annulé cette décision.

En mai 2022, un jury a accordé à Appian 2,036 milliards de dollars de dommages et intérêts, estimant que Pegasystems s’était livré à une appropriation illicite « délibérée et malveillante » de secrets commerciaux. La semaine dernière, ce verdict a été annulé par une cour d’appel de Virginie.

Un développeur qui travaillait sur le logiciel Appian dans le cadre d’un contrat gouvernemental a été accusé d’avoir espionné l’entreprise de 2012 à 2014. Il aurait partagé des secrets commerciaux avec Pegasystems dans le cadre d’une opération baptisée « Project Crush », selon Appian.

Pega soutient que le contractant était « simplement un utilisateur standard du logiciel comme n’importe quel autre des milliers d’utilisateurs du logiciel Appian ».

Appian a affirmé que Pegasystems avait engagé le développeur pour divulguer des détails sur son logiciel et fournir une centaine de vidéos de l’environnement de développement. Le projet a été révélé par un ancien employé de Pegasystems, ce qui a conduit Appian à intenter un procès. Il avait alors obtenu le plus gros paiement en dommages et intérêts de l’histoire du système judiciaire de Virginie.

Pegasystems a qualifié le développeur d’« espion » en interne, selon un communiqué de presse publié par Appian pour annoncer le verdict en 2022.

« C’est stupéfiant de stupidité », déclarait Will McKeon-White, analyste chez Forrester, à la suite du verdict initial. « On n’espionne pas les gens et l’on ne met pas le terme “espion” par écrit ».

Appian a affirmé que les employés de Pegasystems avaient utilisé de fausses identités pour accéder à des versions d’essai du logiciel Appian, un système low-code pour créer des applications et des flux de travail. Elle a également déclaré que le PDG de Pegasystems, Alan Trefler, avait accédé au système sous le pseudonyme d’Albert Skii. Un autre élément réfuté par Pega.

Pegasystems a demandé à la Cour d’appel de Virginie d’annuler le verdict du jury et de rendre un jugement en sa faveur. Pega invoque l’insuffisance des preuves d’appropriation illicite de secrets commerciaux. Lors du procès, les avocats de Pega s’appuyaient sur le fait que les dirigeants d’Appian n’ont pas été en mesure de désigner des secrets commerciaux qui auraient été divulgués. 

Cinq fonctionnalités présumément copiées ont été détaillées par Appian. Et Pega de répondre que ces capacités, principalement des processus visuels et des éléments d’automatisation de charges de travail, ne sont pas « uniques à Appian ». Pega n’aurait qu’étudié le produit du compétiteur sans reprendre ses « innovations », c’est-à-dire sans copier littéralement des éléments de code de son adversaire. Si le contractant n’a manifestement pas respecté l’accord avec son employeur et Appian concernant la divulgation de certaines informations demandées par Pega, il n’avait pas accès au code source de la plateforme éponyme.

Le 30 juillet, le juge Frank K. Friedman a estimé que le tribunal de première instance avait « commis une série d’erreurs qui l’obligent à annuler le jugement concernant les plaintes d’Appian relatives aux secrets commerciaux ».

Des « eaux juridiques inexplorées » et une histoire… d’ordinateur portable

Dans l’avis de la cour d’appel, le juge Friedman déclare qu’en première instance, le tribunal « a également abusé de son pouvoir discrétionnaire en refusant d’autoriser Pega à tenter d’authentifier ses preuves logicielles ». Celui-ci a « exclu le logiciel de Pega – un moyen principal de démontrer que l’éditeur n’a pas volé de secrets par l’intermédiaire [du contractant gouvernemental] – au motif qu’il se trouvait sur un ordinateur portable différent de celui fourni lors de la découverte… », écrit-il.

Et de préciser que la société Appian a elle-même présenté des preuves issues de la plateforme BPM de Pega sur un ordinateur différent de celui utilisé lors de la découverte.

De plus, « Appian a formulé sa demande de dommages et intérêts sur les ventes totales de Pega » entre 2012 et 2021. Ce que le tribunal a accepté et il « a délégué à Pega la charge de prouver que ces chiffres n’étaient pas entachés d’irrégularités ». Lors d’un interrogatoire mené par les avocats d’Appian, Pega n’a pas pu désigner les revenus générés par les deux versions du logiciel concerné dans ce procès, parce que l’entreprise ne rapporte pas ses revenus par version de logiciels. Soit dit en passant, très peu d’éditeurs rapportent leur chiffre d’affaires de cette manière, même indirectement.

« Le tribunal de première instance a considéré cette réponse comme une déclaration selon laquelle Pega “ne peut pas ventiler [ses] recettes en fonction de secteurs d’activité”. Il a donc décidé que Pega ne pouvait pas apporter la preuve qu’une grande partie de son chiffre d’affaires provenait de produits avec lesquels Appian n’était même pas en concurrence ».

Or, selon l’analyse en droit du juge Friedman, Appian devait d’abord prouver que les ventes étaient liées aux secrets commerciaux. À charge de Pega ensuite de prouver quels coûts et dépenses doivent être déduits de ces ventes et quelle portion des revenus est due à d’autres facteurs légitimes et non aux secrets commerciaux d’Appian.

Enfin, l’argument de Pega selon lequel des milliers d’utilisateurs peuvent accéder aux secrets commerciaux d’Appian par une phase d’essai gratuit n’a pas été retenu par la cour de première instance ni instruit au jury.

Selon le juge Friedman, cet élément n’est pas à exclure, quand bien même il statue qu’Appian a apporté suffisamment d’éléments de preuve de protection de ses secrets commerciaux.

« Cette erreur a privé Pega de la possibilité de faire valoir efficacement qu’Appian avait renoncé à la protection de ses secrets commerciaux en partageant largement les informations avec des milliers de personnes ».

« Ce procès complexe s’est aventuré dans des eaux juridiques inexplorées et a abouti à une condamnation à des dommages et intérêts de plusieurs milliards de dollars que nous annulons aujourd’hui. Nous […] renvoyons l’affaire pour un nouveau procès conforme à cet avis », conclut-il.

Appian fera appel de cette décision

Pegasystems a publié une déclaration applaudissant le jugement.

« Cette décision confirme notre point de vue selon lequel le verdict était le résultat d’un procès défectueux sur de nombreux fronts, y compris le fait que nous avons été empêchés de démontrer que notre logiciel n’a jamais adopté de supposés secrets commerciaux d’Appian », déclare un porte-parole de Pegasystems dans un communiqué. « Comme nous le disons depuis le début, le jugement annulé avait l’intégrité structurelle d’un gratte-ciel de cartes, il n’est donc pas surprenant qu’il se soit effondré. Nous félicitons le tribunal d’avoir vu clair dans les tactiques d’Appian visant à empêcher le jury d’entendre des faits cruciaux dans cette affaire ».

L’organisation d’un nouveau procès n’a pas encore été fixée.

Matthew Calkins, PDG d’Appian, a découvert l’ampleur du projet Crush au printemps 2020 – près de 10 ans après le début de « l’espionnage » – lorsqu’un ancien employé l’a mis au courant. « J’ai été stupéfait non seulement par l’audace de ce projet, mais aussi par sa durée », a-t-il déclaré lors d’une interview accordée à SearchSoftwareQuality, une publication sœur du MagIT, en 2022.

À l’époque, Matt Calkins avait noté à quel point le jury avait insisté sur l’importance de l’affaire.

« Ce que je retiens le plus de ce verdict, c’est leur certitude et leur condamnation », déclarait-il. « Outre la rétribution de plusieurs milliards de dollars, le verdict du jury a établi que Pegasystems s’était livré à une appropriation illicite, délibérée et malveillante de secrets commerciaux ».

Selon le communiqué de presse, Pegasystems n’était pas tenu de payer le montant du jugement avant d’avoir épuisé toutes les voies de recours.

Appian a l’intention de se battre contre la décision de la cour d’appel.

« Nous ferons appel de la décision auprès de la Cour suprême de Virginie et chercherons à rétablir le verdict. Nous restons persuadés que les preuves de détournement et notre droit à des dommages-intérêts correspondants seront correctement examinés par les tribunaux de Virginie », confirme un porte-parole d’Appian.

Pour approfondir sur BPM et RPA

Close