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ERP industriels : tendance forte aux acquisitons chez les éditeurs

IFS, Epicor, Infor. Ces grands éditeurs spécialisés dans les ERP industriels ont tous racheté des sociétés pour compléter, renforcer ou approfondir leurs offres. La tendance est profonde sur ce marché, et elle devrait se poursuivre. Et pas qu’aux États-Unis.

Les éditeurs d’ERP pour l’industrie manufacturière – comme Epicor, Infor et IFS – sont en pleine vague d’acquisitions. Ils ont tous les trois récemment mis la main sur de jeunes entreprises. Cette dynamique de fusions-acquisitions est portée par la volonté, d’une part, de se spécialiser avec des éléments spécifiques à certains sous-secteurs, et d’autre part, de se doter de technologies de pointe – en premier lieu l’Intelligence artificielle.

Epicor – qui se concentre sur les ERP pour la fabrication, la distribution et la vente au détail – a acquis l’éditeur de gestion des informations sur les produits Kyklo en juin, et Smart Software, un fournisseur de planification des stocks, en mai.

IFS, qui propose des systèmes ERP, FSM et EAM pour le manufacturing, a étoffé son portefeuille de produits avec le rachat d’EmpowerMX – un éditeur de logiciels de maintenance, de réparation et de révision (MRO) en juillet. En juin, il a acquis le Canadien Copperleaf Technologies, spécialiste de la gestion des actifs industriels augmentée à l’IA.

Ces opérations sont caractéristiques d’un marché de l’ERP manufacturier en pleine évolution, où les éditeurs établis sont désireux d’ajouter des technologies « innovantes », déchiffre l’analyste Brian Sommer, fondateur et PDG de TechVentive.

« Je vois encore un certain nombre d’acquisitions qui sont rapidement rentables, car la société acquise est petite et les produits s’intègrent facilement », explique-t-il. « Mais il y a une autre raison qui motive la plupart des transactions : un éditeur plus petit est souvent plus innovant, il a de solutions remarquables qui, ajoutées au catalogue d’un éditeur de la “vieille école” peuvent rajeunir ses solutions en les rendant plus modernes et plus pertinentes. »

Passer des verticaux aux micros verticaux

Epicor explique qu’il souhaitait également approfondir les fonctionnalités dans ses trois secteurs d’activité principaux. « Nous n’envisageons pas seulement des verticaux – comme la fabrication, la distribution ou le commerce de détail – nous envisageons des sous-verticaux, comme la fabrication de métaux dans la fabrication ou la distribution de pompes à fluides dans la distribution HVAC », précise Vaibhav Vohra, CTO et CPO d’Epicor.

Les récentes acquisitions de Smart Software et de Kyklo s’inscrivent dans cette stratégie.

Les capacités d’IA de Smart Software peuvent être largement appliquées à la planification et à l’optimisation des stocks. Mais le portefeuille de Kyklo en matière de gestion des informations sur les produits permet à Epicor, plus particulièrement dans le domaine de la fabrication et de la distribution, de syndiquer le contenu sur différents canaux, comme les sites de commerce électronique, les catalogues et les marketplaces.

« Nous n’envisageons pas seulement des verticaux – comme la fabrication, la distribution ou le commerce de détail – nous envisageons des sous-verticaux. »
Vaibhav VohraCTO et CPO d’Epicor

Il en va de même chez IFS. « Le point commun de toutes nos acquisitions est de fournir aux entreprises des capacités poussées et spécifiques à leur secteur d’activité, désormais grâce à une plate-forme dotée d’IA », résume Travis Johnstone, directeur de l’exploitation de la division aérospatiale et défense d’IFS.

Prenons l’acquisition d’EmpowerMX. IFS disposait déjà de capacités MRO dans IFS Cloud. Mais EmpowerMX lui apporte des capacités adaptées à la maintenance des cellules d’avion. La cellule est la structure principale d’un appareil (à l’exclusion du groupe motopropulseur et de l’instrumentation). Ses éléments font l’objet de processus et de systèmes MRO bien distincts.

« Avec EmpowerMX, nous pouvons étendre la capacité de notre offre intégrée de bout en bout et [avec] des capacités spécifiques pour les entreprises de l’aérien en matière d’ingénierie, de planification de la maintenance et d’exécution de la maintenance », se félicite Scott Helmer, président de la division aérospatiale et défense d’IFS.

« Le point commun de toutes nos acquisitions est de fournir aux entreprises des capacités poussées et spécifiques à leur secteur d’activité. »
Travis JohnstoneDirecteur de l’exploitation de la division aérospatiale et défense d’IFS.

Pour lui, c’est la demande des clients qui guide la stratégie d’achat d’IFS. L’éditeur ne chercherait pas à ajouter des nouveautés – comme de l’IA – pour ajouter de la nouveauté, assure-t-il. IFS essaie en revanche d’équilibrer son portefeuille avec des entreprises en phase de démarrage, à croissance rapide, qui sont à la pointe d’une vague technologique, et avec des entreprises plus établies, comme Copperleaf.

Infor, un autre éditeur de progiciels de gestion intégrés dédiés à l’industrie manufacturière, a lui aussi récemment racheté de petites entreprises technologiques.

En juillet, Infor a acquis Acumen. Acumen fournit des logiciels et des services de promotion commerciale pour l’industrie des biens de consommation emballés. Là encore, l’opération vise à renforcer des capacités très spécifiques (ce que Infor nomme depuis des années des microverticaux). Acumen sera particulièrement utile pour les clients dans le secteur de l’alimentation et des boissons, confirme Kevin Samuelson, PDG d’Infor.

Dans un autre domaine, l’éditeur a également mis la main sur Albanero au début du mois. Le but ici est de se doter d’une plate-forme de gestion des données pour aider les migrations vers le cloud. Une mauvaise gestion des données peut en effet faire capoter un projet d’ERP cloud ou en diminuer significativement la valeur. Idem pour l’analytique et l’IA qui ont besoin de données propres et standardisées.

« En nous associant à Albanero, nous avons constaté qu’il y avait une forte demande de la part des clients », raconte Kevin Samuelson. « Et les résultats de ceux qui utilisent cette technologie – que ce soit pour la facilité de migration des données, la qualité de cette migration ou garder ces données propres – sont assez extraordinaires. »

Points communs de ces rachats

Chaque acquisition est unique, mais elles ont toutes des caractéristiques communes.

Pour Predrag Jakovljevic, analyste chez Technology Evaluation Centers, les éditeurs utilisent ces acquisitions pour combler les lacunes de leurs portefeuilles produits ou pour obtenir des applications qu’ils peuvent développer pour des ventes croisées.

« Il n’y a rien de révolutionnaire ici – ils ajoutent simplement des choses utiles pour renforcer leurs solutions », résume-t-il.

Par exemple, à première vue, l’acquisition d’EmpowerMX n’avait pas un intérêt évident, étant donné qu’IFS possédait déjà un MRO. Mais les besoins des entreprises en matière de MRO sont très différents. « Il s’agit d’être plus ciblé et d’avoir une longueur d’avance sur la concurrence » synthétise Predrag Jakovljevic.

Une autre moteur de cette tendance de fusions acquisition (M&A) est que les technologies de pointe sont désormais à l’agenda d’entreprises qui les avaient ignorées pendant des années, constate Holger Mueller, analyste et vice-président chez Constellation Research.

« Il y a un changement générationnel des dirigeants dans l’industrie […] Le cycle de modernisation des machines déclenche une modernisation de l’atelier, qui a besoin d’un ERP différent. »
Holger MuellerAnalyste chez Constellation Research

« Il y a un changement générationnel des dirigeants de l’industrie manufacturière […] Le cycle de modernisation des machines déclenche une modernisation de l’atelier, qui a besoin d’un ERP différent ou d’un système de gestion de la chaîne d’approvisionnement pour le gérer », explique Holger Mueller. Les éditeurs d’ERP achètent donc des technologiques pour suivre ces nouveaux besoins.

Les éditeurs d’ERP sont également engagés dans une course à la taille. Ils doivent, en quelque sorte, grossir pour survivre. « Ces éditeurs sont désormais dans une situation où l’échelle compte », ajoute l’analyste de Constellation Research.

Pour Brian Sommer de TechVentive, un autre facteur est aussi à prendre en compte. Les éditeurs d’ERP et les petites entreprises qu’ils acquièrent ont des intérêts qui convergent. Ce qui faciliterait les M&A.

Les jeunes entreprises, très verticalisées et encore petites, cherchent des compétences et du capital pour faire évoluer leurs produits et se développer. Les éditeurs d’ERP, plus gros et plus génériques (bien que centrés sur le manufacturing), cherchent, eux, à pénétrer des verticaux clés. Or « avec un rachat bien choisi, ils peuvent acquérir des clients et obtenir les fonctionnalités verticales nécessaires », explique Brian Sommer.

La logique est exactement la même pour les petits éditeurs plus anciens. Ils sont bien établis, avec une belle base client, mais leurs plates-formes deviennent obsolètes. Ils ont besoin de ressources pour se moderniser. Les éditeurs d’ERP – Epicor, Infor ou IFS – apparaissent comme des solutions. Ils peuvent alors acquérir ces technologies (et ces bases clients) pour un prix raisonnable et les replatformer progressivement pour le cloud.

Sam Hamway, de Nucleus Research, ajoute que les récentes fusions-acquisitions mettent bien en évidence une volonté d’aller vers des offres ERP plus complètes pour le haut du midmarket et les grands groupes.

« Les éditeurs proposent de réduire la complexité IT [des clients] en consolidant les fonctionnalités [spécifiques] sous la houlette d’un seul fournisseur », constate-t-il. « L’acquisition de Smart Software par Epicor, par exemple, améliore spécifiquement son SCM, ce qui peut répondre aux attentes des clients qui souhaitent des fonctionnalités plus étendues, en particulier dans le haut du marché ».

Cette tendance à l’acquisition de sociétés spécialisées devrait se poursuivre, prévoit-il.

Et pas qu’aux États-Unis. En Europe, Forterro a par exemple racheté l’Allemand Prodaso (IA, jumeaux numériques et IoT) en juin, et Divalto l’éditeur basé à Besançon Flexio (développement no code) en mars. Les deux en suivant exactement cette même tendance de fond.

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