Sabotage des lignes Internet françaises en plein Jeux olympiques

Cette nuit, les fibres qui constituent la colonne vertébrale d’Internet en France ont été coupées en plusieurs endroits névralgiques. Le ralentissement des télécommunications pourrait durer plusieurs heures.

Après le sabotage des lignes de TGV, celui des fibres backbone qui véhiculent les communications d’Internet aux quatre coins de la France métropolitaine. De manière coordonnée, dans la nuit du dimanche 28 au lundi 29 juillet, entre 2h00 et 2h30, au moins six segments de cette colonne vertébrale d’Internet sur le territoire ont été sectionnés.

Dans la Meuse, par où passent les flux vidéo des JO, collectés par l’Olympic Broadcast Service au Bourget (en région parisienne) et envoyés aux datacenters d’Alibaba à Francfort, d'où ils sont rediffusés dans le monde entier.

Dans les Bouches-du-Rhône et la Drôme, sur l’axe qui relie les datacenters parisiens aux datacenters marseillais, d’où les flux partent vers l’Asie, via des câbles sous-marins.

Dans l’Oise, où les fibres relient les datacenters parisiens aux datacenters du Nord (OVHcloud, notamment) et aux fibres venues de Hollande ou d’Angleterre par lesquelles arrivent les contenus nord-américains.

Et dans le sud, dans l’Héraut et l’Aude, où les fibres en provenance de Marseille et Paris arrivent près de Montpellier pour repartir vers Barcelone.

Beaucoup de ralentissements, quelques coupures, en plein JO

Les fibres backbone – ou fibres dorsales – acheminent le trafic Internet sur le territoire, essentiellement en reliant entre eux les datacenters dans lesquels les opérateurs télécoms interconnectent leurs réseaux régionaux. Si des liens alternatifs existent – par exemple une communication entre Marseille et Paris peut passer par le Moyen-Orient et l’Europe de l’Est – la connexion d’une fibre backbone présente l’intérêt de la meilleure bande passante. Sans fibre backbone, le trafic est dégradé, voire non acheminé en certains endroits.

« Très clairement, dans le cadre des JO, il est inévitable de penser à un acte de sabotage. Les axes Paris-Lyon, Paris-Strasbourg, Montpellier-Marseille ont été touchés. Nous avons donc affaire à des actes extrêmement costauds, à des endroits visiblement très, très bien renseignés », commente Nicolas Guillaume, le président du groupe Nasca qui réunit les opérateurs B2B Netalis et ASC.

« En ce qui nous concerne, les conséquences sont de légers ralentissements, voire quelques interruptions de service, mais de manière très isolée. La plupart de nos clients disposent désormais de connexion 4G ou 5G de secours avec nos fibres optiques. De plus, nous avons des liaisons de secours entre les datacenters qui empruntent des chemins physiquement séparés, y compris via la Suisse. »

« Après, ce sont évidemment les fibres optiques de différents opérateurs nationaux et internationaux qui sont touchées et qui passent dans les fourreaux longue distance de SFR. Donc oui, il y a forcément un impact économique pour beaucoup d’entreprises, mais aussi des coupures de réseaux fixes ou mobiles dans certaines communes où l'infrastructure opérateur est plus isolée », analyse-t-il.

« Il est à craindre que le rétablissement des connexions prenne des dizaines d’heures, ne serait-ce qu'à cause des constats des services de police et de gendarmerie qui sont en cours », ajoute-t-il.

Une infrastructure sensible trop peu protégée

Le sabotage coordonné qui a eu lieu cette nuit n’est pas une première en France. Le 27 avril 2022, une opération identique avait ciblé les fibres backbones. Durant la nuit, plusieurs groupes d’individus ayant connaissance des chemins de fibres dissimulés sur le territoire, avaient simultanément accédé à des trappes de visite situées sur les axes nord, est et sud. Ils les avaient ouvertes sans grande difficulté et avaient tronçonné à la scie circulaire des câbles blindés de plusieurs centimètres de diamètre.

La photo qui illustre cet article est l’une de celles prises à l’époque par l’opérateur Free. Les fourreaux de SFR sont une infrastructure dans laquelle passe des fibres appartenant ou utilisées par divers opérateurs, nationaux et internationaux.

Un second sabotage de ce type avait eu lieu six mois plus tard, cette fois-ci à Aix-en-Provence, par où les fibres venues de Paris arrivent à Marseille.

À l’époque, les opérateurs avaient plus suspecté une action coordonnée de sous-traitants en colère qu’un sabotage intenté par une puissance étrangère. SFR avait alors la triste réputation de ne pas payer en temps et en heure les artisans et petites sociétés qui raccordent ses abonnés à sa fibre. Et ceux-ci déploraient depuis de longs mois que leurs revendications ne fussent pas écoutées. Des analystes avaient évoqué, sans convaincre, la possibilité d’une tentative de déstabilisation de la part de la Russie dans le cadre de la guerre en Ukraine.

« Toujours est-il que nous n’avons jamais eu l’information concernant les auteurs de ces sabotages ! Je suis franchement remonté contre les services de l'État qui ne prennent pas du tout la mesure de la protection des infrastructures vitales. On l'a vu avec la SNCF, on le voit aussi avec les télécoms : il y a des gens qui savent couper aux bons endroits et on ne sait pas s’en prémunir », s’agace Nicolas Guillaume.

« Oui, nous sommes exaspérés que les réseaux télécoms soient mal protégés ! Les réseaux télécoms longue distance sont absolument critiques pour le pays et on a le sentiment que rien n’est fait pour garantir leur sécurité, qu’on laisse impunément quantité d’informations sensibles être communiquées à l’extérieur. Il faut modifier la loi, prévenir ces actes par des sanctions fortes », lance-t-il, en suggérant que, cette fois, il serait souhaitable de mettre en place des enquêtes qui permettent réellement de retrouver les auteurs des faits.  

Nicolas Guillaume soupçonne un manque de volonté de la part de l’État : « si cette question de la protection des réseaux télécoms était prise au sérieux, nous aurions, nous les opérateurs, été convoqués. Nous aurions déjà fait des réunions, des propositions. Mais non. Comme d’habitude, l’État pense que c’est Orange qui maîtrise tout cela. L’État n’a toujours pas pris la mesure du fonctionnement en cascade des réseaux télécoms », conclut-il.

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