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Cloud et énergies renouvelables : Amazon s’arrangerait-il avec la réalité ?

Le rapport annuel 2023 d’Amazon sur le développement durable est vivement critiqué par des employés et des anciens du groupe ainsi que par des experts de l’IT durable. En cause, un supposé manque de transparence dans ses pratiques et l’absence de données précises concernant sa filiale cloud.

Dans son sixième rapport ESG annuel publié le 10 juillet 2024, le géant du e-commerce affirme avoir atteint son objectif sept ans avant l’échéance qu’il s’était lui-même fixée. Celui-ci consiste à alimenter ses activités par 100 % d’énergies renouvelables.

Plus précisément toute l’électricité consommée par le groupe et ses activités, dont ses data centers, a été compensée par des investissements sur 513 projets d’énergies renouvelables dans le monde au cours de l’année 2023.

« Collectivement, notre portefeuille représente 28 gigawatts (GW) de capacité d’énergie renouvelable, une augmentation par rapport au total de 20 GW en 2022 », déclare l’entreprise, dans son document de 98 pages. « Ce portefeuille [de projets d’énergie renouvelable] fournit de l’électricité décarbonée aux réseaux des communautés dans lesquelles nous opérons. Grâce à cette ampleur, nous avons été désignés comme le plus grand acheteur d’énergie renouvelable au monde pour la quatrième année consécutive ».

Amazon attribue directement la baisse de 11 % d’une année sur l’autre de ses émissions Scope 2 en 2023 à ses investissements dans les sources d’énergie renouvelable. « Cette diminution résulte de notre utilisation accrue d’électricité provenant de sources renouvelables, telles que l’éolien et le solaire sur site, ainsi que de l’achat d’attributs environnementaux supplémentaires (tels que les crédits d’énergie renouvelable) pour signaler notre soutien aux énergies renouvelables dans les réseaux où nous opérons, conformément à la production attendue des projets que nous avons contractés », est-il indiqué.

Toutefois, le fait que l’entreprise investisse dans des projets d’énergie renouvelable pour compenser l’utilisation de sources d’énergie non renouvelable dans d’autres secteurs de son activité vaut à Amazon des critiques de la part d’un collectif réunissant ses propres employés.

Le groupe Amazon Employees for Climate Justice (AECJ) s’est formé en 2019, à la suite de l’annonce par Amazon de son engagement à afficher un bilan net zéro d’ici 2040. Depuis, il organise des débrayages pour inciter l’entreprise à changer sa façon de travailler et à s’assurer que ses activités ne risquent pas de contribuer (davantage) au changement climatique.

Une « comptabilité créative »

Selon l’AECJ, l’objectif d’Amazon en matière d’énergies renouvelables a été atteint grâce à une « comptabilité créative ». Malgré ce que prétend le géant du e-commerce, la manière dont il gère ses activités, n’est pas durable.

« Une entreprise qui fait rouler des millions de camions diesel à travers des quartiers populaires et des terrains de jeu et dont les centres de données consomment plus d’énergie que des villes entières ne devrait pas prétendre qu’elle fait du bon travail en atteignant un objectif de 100 % d’énergies renouvelables (en utilisant une comptabilité créative) », assène un représentant du groupe dans un communiqué adressé à Computer Weekly, une publication sœur du MagIT.

« Amazon doit être réaliste quant à ses progrès. Tant que tous les camions Amazon que vous voyez rouler sur les autoroutes ne sont pas électriques, tant que tous les centres de données, y compris ceux de Virginie et d’Arabie Saoudite, n’utilisent pas de l’énergie renouvelable 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, les activités de l’entreprise ne sont pas durables, quel que soit le système d’échange de quotas d’émission choisi par l’entreprise ».

Le même jour de la parution de l’« Amazon Sustainability Report 2023 », le groupe AECJ a publié sa contre-enquête. Celle-ci est intitulée « Burns Trust : The Amazon unsustainability report ». Le document creuse un peu plus les problèmes que ses employés rencontrent avec la stratégie de l’entreprise en matière d’énergie renouvelable.

« Lorsque nous examinons les sites américains où Amazon exploite ses centres de données, nous estimons qu’Amazon n’obtient que 22 % d’énergie renouvelable des fournisseurs d’énergies locaux dans ces régions », indique l’AECJ. « Et elle investit dans l’expansion de ses centres de données dans des régions fortement dépendantes du pétrole, du gaz et du charbon, comme la Virginie du Nord et l’Arabie saoudite ».

« Comment Amazon peut-elle prétendre que ses activités sont alimentées par 90 % d’énergie renouvelable alors que les projets d’énergie renouvelable dont elle est responsable n’alimentent pas réellement ses activités ? ».
Amazon Employees for Climate Justice

« Comment Amazon peut-elle prétendre que ses activités sont alimentées par 90 % d’énergie renouvelable alors que les projets d’énergie renouvelable dont elle est responsable n’alimentent pas réellement ses activités ? ».

La réponse d’Amazon

Computer Weekly a demandé à Amazon de réagir au contenu du rapport de l’AECJ, notamment aux affirmations selon lesquelles les progrès de l’entreprise en matière de durabilité ne sont pas aussi importants qu’il y paraît. Il a reçu la déclaration suivante en réponse.

« Le rapport d’Amazon sur le développement durable contient des données correctes, des méthodologies publiées transparentes et des garanties de tiers », affirme un porte-parole d’Amazon.

« Le rapport d’Amazon sur le développement durable contient des données correctes, des méthodologies publiées transparentes et des garanties de tiers ».
Amazon

« Le document [de l’AECJ] auquel vous faites référence présente des conclusions et des hypothèses incorrectes, probablement parce que, comme l’admettent ses auteurs, il est basé sur des données et des opinions extérieures à l’entreprise ».

La dernière partie de cette déclaration est une description que les membres de l’AECJ contesteraient, étant donné que le collectif souligne que les opinions de ses membres sont basées sur une connaissance interne des rouages du géant du e-commerce.

« Nous sommes les propres employés d’Amazon qui construisent ces entreprises et nous n’acceptons pas la propagande d’Amazon qui surestime massivement les progrès réalisés par l’entreprise », poursuit la déclaration de l’AECJ. « Les clients d’Amazon et les régulateurs ne devraient pas non plus accepter ces affirmations ».

AWS, une activité noyée dans un rapport global

L’AECJ n’est pas la seule à contester le contenu du rapport d’Amazon sur le développement durable. Mark Butcher, fondateur et directeur de la société de conseil en développement durable Posetiv Cloud, est l’un des experts en développement durable IT à faire de même.

Dans un billet de blog publié sur le réseau social professionnel LinkedIn, il souligne le fait que le rapport ne fournisse pas de ventilation distincte des émissions de gaz à effet de serre générées par sa branche de cloud public, Amazon Web Services (AWS). Un élément préoccupant, selon lui.

Diminution de la quantité d’acier utilisé et béton renfermant 35 % de CO2 (46 500 tonnes équivalent CO2 évité pour une trentaine de datacenters construits en 2023, selon AWS), puces Graviton toujours plus efficientes, allongement du cycle de vie des serveurs de cinq à six ans et de deux ans des disques durs supportant S3, 14,6 millions de composants reconditionnés, usage plus fréquent du refroidissement à air ambiant, recours au biocarburant HVO pour remplir les générateurs de secours de certains sites… Le rapport d’Amazon liste – à nouveau – les contributions d’AWS pour réduire l’empreinte environnementale globale de l’entreprise. En revanche, le géant du e-commerce ne mentionne aucun détail spécifique sur les émissions de Scope 1,2 et 3 de sa filiale cloud.

C’est pourquoi le rapport environnemental d’Amazon n’a qu’une valeur limitée pour les responsables des achats IT, tranche Mark Butcher.

D’autant plus que la parution du document suit de peu les publications similaires de Microsoft et de Google, qui ont toutes deux révélé une augmentation de leurs émissions totales de gaz à effet de serre, attribuée à l’empreinte croissante de leurs centres de données. Les deux autres géants de l’IT accusent les effets des émissions de Scope 3 résultant, sans trop de doute possible, de l’achat de GPU consacrés à l’entraînement et à l’inférence de modèles d’IA.

« Les chiffres d’AWS sont encore cachés parmi les totaux de l’entreprise Amazon ».
Mark ButcherFondateur et directeur, Posetiv Cloud

« Les chiffres d’AWS sont encore cachés parmi les totaux de l’entreprise Amazon », considère Mark Butcher. « Ces chiffres ne peuvent pas et ne devraient pas – à mon avis – être utilisés pour se comparer à leurs concurrents. Ils ne sont ni granulaires ni significatifs ».

Une diminution des émissions… fonction de la méthode de calcul

Le rapport environnemental d’Amazon 2023 indique toutefois que les émissions totales de carbone de l’entreprise ont diminué de 3 % par rapport à 2022, avec une réduction de 11 % en glissement annuel des émissions de Scope 2 et une baisse de 5 % des émissions de Scope 3. Ses émissions de Scope 1 ont toutefois augmenté de 7 % au cours de la même période.

Malgré cela, Mark Butcher estime que le fait qu’Amazon s’appuie uniquement sur des « méthodes fondées sur le marché », pour calculer ses émissions Scope 2 et 3, ne permet pas de rendre compte avec précision de l’empreinte environnementale totale de l’entreprise.

Pour trouver les valeurs sans compensation par l’achat de crédit carbone ou d’énergie renouvelable, il faut se rendre dans les annexes du rapport.

Amazon indique un scope 3 de 51,76 millions de tonnes équivalent CO2 en 2023 (54,28 millions en 2022, au lieu de 54,97 millions rapporté en juillet 2023) avec la méthode fondée sur les marchés. Lorsque son estimation est basée sur la localisation de ses sites, il rapporte un Scope 3 de 54,63 millions de tCo2eq (56,50 millions en 2022, rapportés en 2023).

Le scope 2 sans compensation atteint 15,67 millions de tCO2eq (12,77 millions en 2022, rapportés en 2023), contre 2,79 millions de tCo2eq (3,14 millions en 2022, au lieu de 2,89 millions rapporté en 2023) quand il est calculé à l’aide de la méthode fondée sur les marchés.

Ainsi, selon la méthode basée sur la localisation, Amazon émet 84,57 millions de tCo2eq, contre 68,82 millions de tCo2eq en 2023 avec la technique de calcul prenant en compte les compensations carbone.

D’après la méthode basée sur la localisation, le groupe aurait émis 82,67 millions de tCo2eq en 2022. Cela indiquerait une hausse des émissions de 2,3 % d’une année sur l’autre. Son Scope 3 ne baisserait pas de 5 %, mais plutôt de 3,3 % par rapport à 2022, tandis que son Scope 2 grimperait… de 22,4 %.

Mais certains des petits calculs effectués par LeMagIT pour comparer les émissions du géant du e-commerce entre 2022 et 2023 sont potentiellement caducs. Comme nous l’indiquons sans subtilité, Amazon a « mis à jour [sa] méthodologie carbone utilisée pour [son] bilan carbone 2022 et 2023 ».

Un outil de monitoring des émissions cloud qui n’inclut pas le Scope 3

En outre, par le passé, AWS a été critiqué pour son outil permettant à ses clients de suivre les émissions de carbone générées par leur utilisation des services cloud. Cet outil n’inclut pas les émissions de Scope 3.

La société a précédemment informé Computer Weekly que cette fonctionnalité serait ajoutée à son outil de suivi de l’empreinte carbone des clients au début de l’année 2024, mais – à l’heure où nous écrivons ces lignes – aucune mise à jour de cette nature n’a été effectuée.

Il semblerait que la filiale cloud soit en train de réaliser les évaluations du cycle de vie nécessaires pour générer des données sur les émissions de Scope 3 à incorporer dans cet outil de suivi. Mais rien n’indique pour l’instant quand ce travail sera achevé.

Adrian Cockcroft, qui a été vice-président de l’architecture de développement durable chez AWS jusqu’en juin 2022 et qui dirige désormais le projet Real Time Cloud de la Green Software Foundation, a fait part sur son blog de ses réflexions sur l’absence persistante de données relatives au Scope 3 mises à la disposition des clients d’AWS.

« L’outil d’évaluation de l’empreinte carbone des clients d’AWS était embarrassant lors de son lancement, et il n’a pas progressé au cours des années qui ont suivi ».
Adrian CockroftDirecteur du projet Real Time Cloud, Green Software Foundation

« L’outil d’évaluation de l’empreinte carbone des clients d’AWS était embarrassant lors de son lancement, et il n’a pas progressé au cours des années qui ont suivi », écrit-il. « Ils m’ont dit qu’une équipe y travaillait, mais tant que rien n’est publié, c’est une énorme lacune ».

« Le guide [Amazon Exchange Carbon Measurement Guide] indique que des mesures et de la transparence sont nécessaires, et AWS est toujours au point mort, sans transparence et sans progrès sur les mesures que ses clients demandent depuis des années ».

Computer Weekly a demandé à Amazon de préciser quand l’outil d’évaluation de l’empreinte carbone des clients d’AWS pourrait être mis à jour, mais l’entreprise n’a pas encore répondu à la question.

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