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DMA : face aux géants de la Tech, l’UE régule, les États-Unis reculent

La Commission européenne considère Meta et Apple en infraction au regard de la loi sur les marchés numériques. Tandis que l’UE renforce ses régulations, les États-Unis réduisent les pouvoirs de leurs agences fédérales. Cependant, les mesures de l’UE pourraient forcer les géants de la Tech à changer radicalement leurs modèles d’exploitation.

Vu des États-Unis. Cette semaine, les régulateurs de l’UE ont estimé que le modèle publicitaire « pay or consent » du géant des médias sociaux Meta n’était pas conforme à la loi sur les marchés numériques (Digital Markets Act, DMA), une loi qui oblige les entreprises prédéterminées comme « gardiennes » (Gatekeepers) à ouvrir leurs écosystèmes et à créer davantage d’interopérabilité avec des tiers. La Commission européenne, l’organe exécutif de l’UE, a également estimé qu’Apple avait enfreint la loi sur les marchés numériques en appliquant les règles de l’App Store.

Le DMA vise à créer un environnement plus équitable et plus concurrentiel entre les plateformes numériques en ciblant ce que l’UE considère comme des modèles d’exploitation fermés, qui permettent à des entreprises telles que Meta, Apple et Google de contrôler certains aspects du fonctionnement de la plateforme, comme la collecte de données et le placement de produits. Tom Wheeler, ancien président de la FTC (Federal Trade Comission) de 2013 à 2017 et chercheur invité à la Brookings Institution, estime que la DMA entraînera probablement des changements importants dans le mode de fonctionnement des géants de la Tech, ce qui pourrait affecter par rebond les États-Unis. [Un phénomène que les Américains aiment appeler le « Brussels Effect » N.D.L.R.]

Toutefois, il a fait valoir que cela ne devrait pas empêcher les États-Unis de faire avancer leur propre politique numérique. En l’absence d’une telle politique, d’autres, comme l’Union européenne, prennent les devants en matière de réglementation. Les récents arrêts de la Cour suprême, qui réduisent le pouvoir réglementaire des agences fédérales, indiquent toutefois que la réglementation des grands de la technologie est peut-être encore loin pour les États-Unis.

 Le Congrès est contraint d’anticiper les évolutions futures, et les agences sont empêchées d’aborder ces évolutions, ce qui signifie que nous sommes coincés dans une réglementation de l’ère industrielle ».
Tom WheelerChercheur invité, Brooking Institution et ex-président, FTC

« Le Congrès est contraint d’anticiper les évolutions futures, et les agences sont empêchées d’aborder ces évolutions, ce qui signifie que nous sommes coincés dans une réglementation de l’ère industrielle », avance Tom Wheeler. « Cela signifie que ce sont d’autres pays, tels que l’UE et le Royaume-Uni, et les États (américains) qui finiront par établir les règles ».

Le règlement de l’UE va modifier les modèles d’exploitation des géants de la technologie

La DMA s’applique actuellement à sept entreprises qui fournissent 24 services de plateforme de base et que l’UE a désignées comme « gardiennes » : Meta, Apple, Alphabet, ByteDance, Microsoft, Amazon et Booking. Les « gatekeepers » désignés étaient tenus de présenter des plans de mise en conformité avec la DMA d’ici à mars 2024.

L’Autorité européenne a contesté les efforts déployés par Meta et Apple pour se conformer à la DMA. Dans ses conclusions préliminaires, la Commission déclare que Meta a introduit une offre de « paiement ou consentement » en novembre 2023 afin de se conformer à la directive sur la protection des données. Cette offre consistait à demander aux utilisateurs de choisir entre payer pour une version sans publicité de ses réseaux sociaux ou accéder aux réseaux gratuitement, mais avec des publicités.

Selon les conclusions de l’UE, le modèle n’était pas conforme à la directive sur la protection des données. Celui-ci ne permettait pas aux utilisateurs d’opter pour un service utilisant moins de données. Pour que Meta se conforme à la DMA, « les utilisateurs qui ne donnent pas leur consentement devraient quand même avoir accès à un service équivalent qui utilise moins leurs données personnelles, en l’occurrence pour la personnalisation de la publicité ».

La Commission a également estimé qu’Apple n’était pas en conformité avec le DMA parce que les règles de l’App Store empêchent les développeurs d’applications de communiquer librement avec les consommateurs sur les canaux d’offres et de contenu en dehors de sa place de marché. Apple a longtemps exclu les autres magasins d’applications de son modèle d’exploitation, invoquant des problèmes de confidentialité.

Les plans de mise en conformité initiaux d’entreprises telles qu’Apple et Meta décrivaient la manière dont elles comptaient se conformer aux règles ; plans dans lesquels la Commission a trouvé des failles, souligne M. Wheeler. L’UE a établi des normes par l’intermédiaire de la DMA. Elle attend maintenant que les grandes entreprises technologiques les appliquent, note-t-il.

Selon Tom Wheeler, l’une des raisons pour lesquelles l’UE a mis en place le DMA est que les lois existantes, y compris les lois antitrust, n’ont pas réussi à contrôler le pouvoir de ces « gatekeepers ». Les mesures telles que la DMA tentent d’envisager ce à quoi ressemble la supervision réglementaire dans un environnement numérique plutôt que de « cloner une supervision industrielle », qui, selon lui, a été conçue pour les défis de l’ère industrielle.

« Ces 25 dernières années, ce sont les grandes entreprises technologiques qui ont établi les règles, et elles l’ont fait dans leur propre intérêt. Les gouvernements américains n'ont pas été à la hauteur ».
Tom WheelerChercheur invité, Brooking Institution et ex-président, FTC

D’après l’ancien président de la FTC, la Commission européenne fait clairement comprendre que les entreprises technologiques n’ont plus le pouvoir de suivre leurs propres règles de fonctionnement.

« Ces 25 dernières années, ce sont les grandes entreprises technologiques qui ont établi les règles, et elles l’ont fait dans leur propre intérêt », signale Tom Wheeler. « Le gouvernement américain n’a pas été à la hauteur ».

Leviers de bouclier contre l’Union européenne

Certains ne sont pas d’accord avec l’approche de l’UE en matière de réglementation des marchés numériques.

Alors que Meta accordait aux usagers européens de Facebook et Instagram de parcourir les applications moyennant la présence de publicités, ou de payer pour s’en départir, l’UE veut que Meta propose une version à la fois gratuite et sans publicité, et lance un cadre d’une ONG soutenue financièrement (à hauteur de plus de 10 000 dollars chacun) par Amazon, Apple, Alphabet, Microsoft et d’autres. Forcer les entreprises à offrir des services en ligne sans frais d’abonnement et sans annonces ciblées créerait un « problème de parasitisme massif » où les utilisateurs du monde entier subventionneraient le coût de la fourniture de services à l’UE, avance Daniel Castro, vice-président de la Fondation pour les technologies de l’information et l’innovation (ITIF), dans un communiqué.

« Les États-Unis devraient défendre vigoureusement les intérêts des entreprises américaines que les réglementations européennes ont injustement ciblées [...] ».
Daniel CastroVice-président, ITIF

« Si des régions en dehors de l’UE mettaient en œuvre des politiques similaires, les services Internet entreraient rapidement dans une spirale fatale de coûts insoutenables par rapport aux revenus », ajoute-t-il. « Les États-Unis devraient défendre vigoureusement les intérêts des entreprises américaines que les réglementations européennes ont injustement ciblées, et le gouvernement Biden devrait formellement s’opposer à cette conclusion préliminaire de la Commission européenne ».

L’enquête de l’UE sur Meta et Apple se poursuivra l’année prochaine. Si les entreprises ne se mettent pas en conformité, elles pourraient se voir infliger des amendes allant jusqu’à 10 % de leur chiffre d’affaires annuel total. Si elles continuent d’enfreindre le DMA, elles pourraient se voir imposer des mesures correctives supplémentaires, y compris des mesures structurelles telles que l’obligation pour les sociétés de vendre une partie de leurs activités.

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