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Câbles sous-marins : la France en chemin pour racheter ASN à Nokia

L’Agence des participations de l’État a annoncé son intention d’acquérir 80 % des parts Alcatel Submarine Networks auprès de Nokia, une opération estimée à 100 millions d’euros. La France entend soutenir l’activité d’un leader dans son secteur et retenir son savoir-faire en Europe.

C’est l’un des trois leaders mondiaux de la fabrication, de la maintenance et de l’installation de câbles sous-marins avec le Japonais NEC et l’Américain TE SubCom. Il gère près de 800 000 kilomètres de câbles à l’aide de sept « câbliers », des navires conçus pour l’occasion.

Sous pavillon finlandais depuis le rachat d’Alcatel-Lucent par Nokia en 2016 pour 15,6 milliards d’euros, Alcatel Submarine Networks fait l’objet d’une « vigilance » particulière de l’État depuis près de dix ans. À défaut d’une indépendance complète, le fabricant de câbles est devenu une filiale à 100 % de Nokia à partir de 2017. Après des échanges infructueux avec Ekinops en 2018, puis Orange Submarine en 2019, Nokia se tourne finalement vers l’État, partie prenante importante dans ces discussions.

Le 27 juin au matin, Nokia a annoncé le rachat de 80 % des parts d’ASN par la France, à travers l’Agence des participations de l’État (APE). L’entreprise est valorisée à 350 millions d’euros, selon Nokia, mais l’État devrait débourser environ 100 millions d’euros, d’après Bercy. Elle devrait être clôturée « après consultations des représentants des salariés » à la fin de l’année 2024 ou au début 2025. « Les accords discutés avec Nokia prévoient, à terme, la possibilité pour l’État d’acquérir 100 % du capital de l’entreprise. Nokia demeurera actionnaire minoritaire dans une première phase pour faciliter la transition », indique un communiqué de presse diffusé par le ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique.

De son côté, Nokia précise qu’il conserve 20 % des parts restantes de l’entreprise et, du moins temporairement, une représentation au comité de direction d’ASN.

Un rachat considéré comme stratégique

L’État soutient là un triple objectif : économique, politique et stratégique. ASN emploie près de 2 000 salariés en Norvège, au Royaume-Uni et en France. Dans l’Hexagone, ses différents sites accueillent 1 370 employés, dont plus de 600 personnes qui travaillent à l’usine de Calais. Des salariés qui n’ont pas été informés de la manœuvre par la direction (selon un délégué syndical central Force Ouvrière interrogé par Radio6), mais qui s’attendaient de longue date à la revente de la société. Le délégué syndical FO voit d’un bon œil la décision de l’État, perçu comme un potentiel « actionnaire à long terme ».

De fait, la fabrication et l’installation de câbles sous-marins ne représentent pas une activité « cœur » pour Nokia. « En cédant ASN, une activité autonome non essentielle pour Nokia, Nokia peut concentrer son portefeuille d’infrastructures de réseau sur les opportunités de croissance de ses marchés principaux et améliorer encore la rentabilité de sa branche Infrastructures de réseau », indique le groupe finlandais dans un communiqué de presse.

Quant à l’État, il se porte acquéreur d’une société en apparente bonne santé financière. Après une baisse d’activité entre 2016 et 2018, son chiffre d’affaires n’a fait que progresser pour dépasser le milliard d’euros, soit près du double d’il y a sept ans.

Auprès du MagIT, le DSI d’ASN avait témoigné en 2023 d’une transformation importante des systèmes d’information et de la société pour faire face à la demande des géants du Web, qui sont « les plus gros clients d’ASN partout dans le monde ». Ils sont en tout cas des parties prenantes importantes des consortiums qui mandatent le groupe.

Il y a évidemment un enjeu de souveraineté. « La maîtrise des procédés de fabrication et des unités de production de ces infrastructures essentielles participe à la résilience de la France et du continent européen », indique le ministère de l’Économie dans son communiqué. Les câbles sous-marins font transiter près de 99 % du trafic Internet transcontinental, rappelle-t-il. Une activité qui revêt un véritable enjeu géopolitique. Reste à savoir si l’arrivée de l’État à la barre d’ASN ne changera pas la dynamique du marché.

Nokia veut acquérir Infinera

De son côté, Nokia poursuit sa restructuration. En octobre 2023, l’entreprise avait entamé un plan de réduction de ses coûts de 800 millions à 1,2 milliard d’euros d’ici fin 2026, mettant sur la sellette jusqu’à 14 000 employés. En janvier 2024, le groupe rapportait une baisse de 11 % de ses ventes entre l’année fiscale 2023 et 2022.

Il a été affecté par la baisse de la demande en équipements 5G de la part des opérateurs, la perte d’un contrat important auprès d’AT&T aux États-Unis (qui lui a préféré Ericsson) et l’inflation. En mars 2024, sa branche française a annoncé le licenciement de 357 collaborateurs dans ses entités R&D et commerciales. Au mois d’avril 2024, le groupe rapportait de nouveau une chute de 19 % de ses ventes entre le premier trimestre 2023 et le Q1 2024. Cette perspective baissière pourrait prendre fin au second semestre, estime l’équipementier télécom.

Si la vente d’ASN devait réduire le chiffre d’affaires net de son entité Network Infrastructure de 1 milliard d’euros, cela devrait augmenter sa marge bénéficiaire opérationnelle de « 100 à 150 points de base ».

Cela ne l’empêche pas d’investir dans les systèmes d’infrastructure réseau. Le 28 juin, Nokia a indiqué son intention d’acquérir d’Infinera, un fabricant américain de puces photoniques et fournisseur d’équipement optiques, pour 2,3 milliards de dollars. L’opération devrait être clôturée au cours de la première moitié de l’année 2025.

Ce fabricant de systèmes et de connecteurs pour la fibre a été sélectionné par le consortium AAE1 (Asia-Africa-Europe1) en vue de fournir certains équipements qui soutiendront les fonctions d’un système de câbles de 25 000 kilomètres de long reliant Marseille à Hong Kong (et les grandes cités portuaires sur le chemin), en passant par la mer Rouge.

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