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Auprès de la CMA, AWS et Microsoft nient l’effet anticoncurrentiel des rabais sur le cloud

La Competition and Markets Authority (CMA) britannique constate que les acheteurs de services IT ne voient pas l’impact anticoncurrentiel que les remises peuvent avoir sur le marché britannique du cloud, même s’ils reconnaissent que les prix préférentiels peuvent dicter leur choix de fournisseur de cloud.

Selon les conclusions provisoires d’une enquête antitrust sur les rouages de l’industrie britannique du cloud, les clients ne voient pas en quoi les remises sur les dépenses engagées pourraient contribuer à les enfermer sur les plateformes des hyperscalers.

La Competition and Markets Authority (CMA), l’équivalent de l’autorité de la concurrence en France, a diffusé le premier d’une série de documents de travail destinés à informer les parties prenantes de l’évolution de son enquête sur le marché britannique des services en cloud.

Comme l’a précédemment rapporté Computer Weekly, une publication sœur du MagIT, le cas du marché britannique du cloud a été renvoyé à la CMA pour un examen plus approfondi par le régulateur des communications, l’Ofcom ; dont la propre enquête sur le marché, déjà évoquée par LeMagIT, a mis au jour des preuves d’un comportement anticoncurrentiel présumé.

La CMA a antérieurement décidé que son enquête porterait sur l’impact des barrières techniques et des problèmes d’interopérabilité sur la capacité des acheteurs de services cloud à changer de fournisseur ou à adopter une approche multicloud.

L’enquête concernera également la facturation des frais de sortie pour transférer leurs données vers l’environnement d’un compétiteur, ainsi que l’offre de remises pour attirer de nouveaux clients ou encourager les clients existants à employer davantage les services d’un certain fournisseur.

Les documents de travail comprennent un rapport qui examine le paysage concurrentiel global, ainsi que d’autres documents qui étudient séparément la manière dont la facturation de frais de sortie et l’offre de remises sur les dépenses engagées peuvent avoir un impact sur les fournisseurs que les entreprises choisissent d’utiliser.

La CMA a déclaré que si les documents peuvent donner une indication des domaines sur lesquels son enquête se concentre, leur contenu ne contient pas de détails provisoires sur la position ou les actions futures de l’autorité.

Pour les grands comptes britanniques, il n’y aurait « pas d’alternatives appropriées à AWS et Microsoft »

Dans ce contexte, le document de travail sur le paysage concurrentiel confirme qu’Amazon Web Services (AWS) et Microsoft sont les deux acteurs dominants du marché britannique du cloud, Google occupant la troisième place.

« De nombreux grands clients ne voient pas d’alternatives appropriées à AWS et Microsoft en tant que principal fournisseur de services cloud », peut-on lire dans le document. « Les entreprises ne considèrent pas que d’autres fournisseurs plus petits présentent des offres comparables à celles d’AWS et de Microsoft. Bien que Google soit perçu comme étant plus proche de ces derniers que ne le sont Oracle, IBM et d’autres fournisseurs plus petits ».

Et la CMA d’ajouter que ces petits fournisseurs « peuvent encore être considérés comme des alternatives appropriées pour certaines charges de travail, car ils proposent des offres solides pour certains segments ou types de clients ».

En ce qui concerne les frais de sortie, le document de travail suggère qu’il s’agit d’une préoccupation moins importante pour les clients, puisqu’il indique que « seuls quelques clients avec lesquels [l’autorité a] discuté ont spontanément identifié les frais de sortie comme un problème ».

D’ailleurs, en parallèle de l’enquête de la CMA et – officiellement – après l’entrée en vigueur du Data Act européen, AWS, Microsoft et Google se sont tous engagés publiquement à supprimer les frais de sortie, moyennant des conditions de migration rapides, sous deux mois, ce que certains experts ont jugé irréaliste.

L’épineuse question des remises sous conditions d’engagement

En ce qui concerne les rabais sur les dépenses engagées, le document de travail indique que le problème anticoncurrentiel réside moins dans l’importance des rabais offerts que dans les conditions fixées par les fournisseurs quant à la manière dont les consommateurs en bénéficient.

Par exemple, certains fournisseurs spécifient que pour bénéficier de réductions, les utilisateurs doivent atteindre un certain seuil d’utilisation (généralement relativement élevé) selon lequel, par exemple, 80 % de leurs charges de travail doivent être exécutées dans leur cloud pour que les réductions soient prises en compte.

En raison de l’emprise d’AWS et de Microsoft sur le marché britannique du cloud, le document de travail considère « que tout impact sur la concurrence découlant des [remises sur les dépenses engagées] est susceptible d’être plus important que celui des remises pratiquées par des plus petits fournisseurs ».

Ce document de travail a révélé une légère différence d’opinions entre les fournisseurs, les clients et la CMA quant à l’impact sur la concurrence des remises sur les dépenses engagées.

« IBM a déclaré que les remises sur les dépenses engagées renforcent les obstacles techniques au multicloud et représentent un défi du point de vue des clients, car ils peuvent limiter leur capacité à changer de fournisseur », peut-on lire dans le document.

Par ailleurs, des membres de la communauté des fournisseurs de logiciels indépendants ont déclaré aux auteurs du document de travail que « les remises sur les dépenses engagées sont des pratiques commerciales raisonnables », mais qu’elles dressent des barrières à l’entrée et à l’expansion pour les petits fournisseurs cloud.

AWS, Google et Microsoft ne voient pas le problème

En revanche, selon le document de travail, AWS affirme que l’idée selon laquelle ces rabais sous condition d’engagement freinent la concurrence, en incitant les clients à choisir un seul fournisseur, n’est pas vraie.

« L’hypothèse selon laquelle les CSD (Commited Spend discounts, en VO, ou remise sur les dépenses engagées) peuvent atténuer la concurrence en incitant les clients à utiliser un seul fournisseur pour la plupart ou la totalité de leurs besoins, ou selon laquelle les fournisseurs de services cloud exigent des clients qu’ils augmentent leur engagement de dépenses lors de la renégociation de leurs accords, ne tient pas », indique le document de travail d’AWS.

« [Selon AWS], les remises sont favorables à la concurrence et profitent directement aux clients, et un examen plus approfondi de ses prix et remises montre clairement qu’ils n’élèvent pas de barrières à l’entrée et à l’expansion ».

Microsoft a apporté un commentaire similaire en décrivant ces remises à l’engagement comme un « aspect essentiel de la concurrence sur les prix pour les clients nouveaux et existants, ce qui favorise la baisse des prix pour les clients au Royaume-Uni », tandis que Google a décrit les CSD comme étant « mutuellement bénéfiques » pour les clients et les fournisseurs cloud.

« La prévalence des pratiques de discount est généralement un indicateur d’un marché qui fonctionne bien », ajoute Google.

Le document de travail suggère également que les acheteurs de services numériques sont « peu susceptibles d’identifier les dommages causés par les CSD » parce qu’il est peu probable qu’ils internalisent l’effet » de ces derniers sur la structure concurrentielle globale du marché cloud. En clair, ces clients seraient trop concentrés sur les avantages financiers que ces accords apportent.

« Par conséquent, il est probable que la plupart des clients voient les remises sur les dépenses engagées d’un œil positif, même si elles avaient un effet anticoncurrentiel », mentionne le document de travail.

Malgré cela, les auteurs stipulent que la plupart des clients ont soutenu qu’il était « assez probable ou très probable » qu’une CSD ait un impact sur leur choix de cloud à utiliser pour de nouvelles charges de travail, en raison de l’impact qu’il pourrait avoir sur leur capacité à débloquer des réductions supplémentaires auprès de leur fournisseur actuel.

Mark Boost, PDG de Civo, fournisseur de cloud basé au Royaume-Uni, a déclaré à Computer Weekly que l’affirmation de Microsoft et d’AWS selon laquelle les rabais sur les dépenses engagées favorisent la concurrence sur le marché britannique du cloud, au lieu de l’étouffer, est « à côté de la plaque ».

« Il est clair pour tous les autres, à l’exception des hyperscalers, que le fait d’offrir d’énormes quantités de crédits gratuits et de remises influence les décisions des entreprises lorsqu’il s’agit de choisir un fournisseur, ce qui limite finalement la concurrence et étouffe l’innovation », lance-t-il.

« Comme le souligne le rapport de la CMA, les grandes [entreprises] technologiques incitent les clients à négocier des contrats en leur proposant des remises de 5 à 20 %, qui sont difficiles à ignorer et constituent souvent une porte d’entrée vers des contrats plus importants ».

Et d’ajouter que « le problème le plus important est celui de la durée des contrats proposés. Les remises les plus élevées s’appliquent lorsque vous vous engagez à rester plus longtemps. Bien que cela puisse aider l’entreprise à obtenir de meilleures offres à court terme, cela l’enferme également auprès d’un fournisseur unique ».

La CMA, un client pluriannuel d’AWS

Une enquête de Computer Weekly a dévoilé en novembre 2023 que la CMA était l’un des 15 organismes du secteur public à avoir bénéficié de réductions sur les services AWS dans le cadre de la première itération de l’accord One Government Value Agreement (OGVA).

Dans la foulée, Computer Weekly a révélé à la mi-mai 2024 que la CMA est sur le point de doubler ses dépenses sur le cloud d’AWS au cours des trois prochaines années après avoir renouvelé son contrat avec l’entreprise, ce qui l’amènera à continuer à utiliser les services du géant américain dans les années à venir.

Commentant le contenu des documents de travail, Nicky Stewart, ancienne responsable des TIC au Cabinet Office du gouvernement britannique, a déclaré à Computer Weekly que « Compte tenu de la réflexion de la CMA sur les remises liées à l’engagement de dépenses, et en particulier de la cécité des clients à leur égard, j’attendrai avec intérêt la décision provisoire de la CMA dans le courant de l’année. Surtout si l’on considère l’importance que le gouvernement et la CMA accordent à ces remises, qui ne font que souligner les conclusions de la CMA à ce jour ».

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