Chez MicroStrategy, l’IA doit générer… des migrations vers le cloud
Désormais plus célèbre pour ses investissements dans le bitcoin que pour sa plateforme BI, MicroStrategy prétend faire son retour sur le devant de la scène IT. Pour le concurrent de Tableau et de Qlik, l’IA générative est une aubaine pour inciter ses clients à migrer vers le cloud.
L’essence de MicroStrategy, la BI, s’est-elle diluée dans son portefeuille de Bitcoins ? Non, affirme Emmanuel Brochard, EVP et directeur général international (EMEA, LATAM, APAC) chez MicroStrategy, auprès du MagIT.
« MicroStrategy, c’est plus de 4000 clients à travers le monde et c’est plus d’une centaine de nouveaux clients chaque année, dont plus d’une dizaine en France, plus de vingt en Allemagne ou encore plus de quinze en Espagne », assure-t-il. « Nous parlons ici de grands comptes, nous arrivons à capter de nouveaux clients, malgré notre manque de communication ».
Le dirigeant évoque un taux de renouvellement de 96 %, un indicateur qu’il considère comme honorable au vu de ce manque de présence marketing.
La « belle endormie » présente ses arguments face aux géants de la BI
« MicroStrategy était un peu la belle endormie, mais nous avons véritablement changé d’approche en 2023 », signale-t-il.
Emmanuel BrochardEVP et directeur International, MicroStrategy
Depuis 2021, MicroStrategy investit à hauteur d’environ 20 % de ses revenus (hors réserves de bitcoins) par an dans la R&D de sa plateforme. Phong Le, CEO de l’entreprise depuis août 2022, a repris les rênes pour accélérer la transition de l’éditeur vers le cloud.
Après une refonte complète de sa plateforme en 2021, l’éditeur a profité de son événement World 2023 pour la renommer MicroStrategy One, une édition disponible depuis juin 2023.
D’abord disponible sur Microsoft Azure, l’éditeur a lancé des versions cloud natives puis sur la marketplace d’AWS en novembre 2023, et depuis le 9 avril 2024 sur celle de Google Cloud. L’éditeur proposait déjà des versions managées par ses soins sur Azure, AWS et GCP depuis décembre 2023.
« Nous ne sommes pas une filiale d’un gros éditeur ou d’un hyperscaler, nous sommes indépendants », défendait Phong Le, lors de la conférence World 2023.
Pour Emmanuel Brochard, MicroStrategy a même les moyens pour rivaliser avec Tableau, Qlik et Power BI.
« Tableau s’est emparé du marché de la self-service BI sur l’aspect départemental, l’utilisateur final. Cela fonctionne plutôt bien, mais quand il y a besoin d’une solution multidepartement, de gouvernance à l’échelle de l’entreprise, Tableau n’est pas forcément la bonne solution », affirme-t-il. « Aujourd’hui, nous remplaçons Tableau par MicroStrategy chez les clients existants et nous les voyons assez peu en face de nous chez les prospects. Cela vaut aussi pour Qlik ».
Quant à Power BI, Emmanuel Brochard y voit une « bonne solution départementale », mais elle ne serait pas au cœur de la stratégie de Microsoft. « Microsoft éduque le marché sur le fait que la BI devienne une commodité, mais quand le client a besoin de scalabilité, de montée en puissance, Microsoft est plus enclin à pousser MicroStrategy parce que c’est une plateforme plus conséquente, qui génère plus de consommation cloud », juge-t-il. Ce serait vrai avec les autres fournisseurs cloud, même si GCP a des prétentions d’unifier la BI avec Looker et qu’AWS a su convaincre avec QuickSight.
MicroStrategy et Microsoft peuvent être concurrents quand il faut cibler de plus petits clients. Henri-François « HF » Chadeisson, directeur avant-vente Europe chez MicroStrategy, constate qu’historiquement, les clients de l’éditeur misaient principalement sur sa plateforme BI, mais « quelques bulles » se sont ajoutés autour, dont celles de Qlik, Tableau et de Power BI. « Aujourd’hui, Power BI a pris beaucoup du marché de Tableau et a modernisé, dépoussiéré Excel », ajoute-t-il.
MicroStrategy, « indépendant », mais très proche de Microsoft
Malgré son indépendance affichée, la stratégie d’accélération dans le cloud de MicroStrategy passe en premier lieu par un partenariat avec Microsoft.
C’est à la faveur de ce partenariat que l’éditeur a été l’un des premiers à lancer en disponibilité générale au début du mois d’octobre 2023, quatre fonctionnalités d’IA générative nommées Auto dans l’offre MicroStrategy AI. Elles sont accessibles sous la forme d’extensions Web pour les clients ayant adopté MicroStrategy One Update 11 (et plus) et les environnements cloud associés.
Il y a d’abord Auto Answers. « Auto Answers permet à l’utilisateur de poser des questions à son tableau de bord afin de trouver des réponses qui ne sont pas forcément visibles du premier coup d’œil », décrit Henri-François Chadeisson. « Il n’est plus nécessaire de faire appel à un analyste pour répondre à des questions qui émergent au fil de l’eau et l’on réduit grandement la nécessité de créer des rapports ad hoc ».
Par défaut, les réponses d’Auto Answers « sont dérivées des filtres de visualisation », précise la documentation de l’éditeur. Les questions les plus fréquentes sont suggérées dans l’interface. Answers peut aussi être intégré dans les tableaux de bord relatifs aux analyses prédictives ou de tendances.
Depuis la version March 2024 de MicroStrategy One (l’éditeur a changé le nom de ses mises à jour après l’update 12), il est possible d’étendre les réponses en chargeant des « knowledge assets », des fichiers XLSX (5 Mo, 200 lignes max.) contenant uniquement des informations textuelles sur le jargon de l’entreprise, les profils types de ses clients ou des informations contextuelles sur le marché cible (ex. : langues parlées, nombre d’habitants, etc.)
Sans ces actifs, quand la réponse n’est pas contenue dans le tableau de bord, le grand modèle de langage sous-jacent « pourrait fournir des résultats trompeurs », prévient la documentation. Si les résultats présents dans les tableaux de bord sont invariables (et vérifiables), pour une même question posée deux fois, la réponse en langage naturel peut varier du fait de « la nature non déterministe des LLM ».
Néanmoins, en ayant fourni suffisamment de contextes et en partant d’un jeu de données global (ou par pays), il est possible pour des départements de filtrer les réponses par localité, par exemple, signale Henri-François Chadeisson. Par ailleurs, dans la version One (March 24), l’éditeur a ajouté un moyen de répondre à des questions « multifacettes », permettant par exemple d’obtenir des indicateurs recoupant plusieurs dimensions.
Et, contrairement à Tableau Pulse, l’équivalent d’Auto Answers chez Tableau/Salesforce, il n’est pas nécessaire de construire un dashboard de toute pièce pour bénéficier de ce niveau de lecture.
Les fonctions Auto, les vitrines GenAI de MicroStrategy
Pour les business analysts, MicroStrategy a mis au point Auto Dashboard. « Auto Dashboard peut analyser le ou les datasets sous-jacents et suggérer des analyses. Le tableau de bord correspondant est généré en un clic », avance Henri-François Chadeisson. L’outil est compatible avec différents graphiques et moyens de représentation de la plateforme.
Techniquement, la demande de l’utilisateur est envoyée via API à un modèle d’OpenAI. En parallèle, les éléments de la question sont analysés afin de les faire correspondre à des objets présents dans la couche de gouvernance de la plateforme BI.
Le système est tributaire des temps d’accès à la base de données ou au datawarehouse sous-jacent ainsi que des échanges entre les API de MicroStrategy. Ce ne serait pas un véritable problème pour les clients, selon le directeur avant-vente.
« Depuis septembre, nous avons amélioré les performances, mais les clients nous indiquent que la valeur qu’apporte [ce système] mérite d’attendre plus longtemps que lors d’une recherche Google », considère-t-il.
Auto SQL, lui, permet, à partir d’un environnement Workstation de générer, d’optimiser et d’expliquer des requêtes SQL à partir de demandes en langage naturel. MicroStrategy prévient toutefois qu’il y a des précautions à prendre, notamment en matière de qualité de données, et que l’utilisateur doit effectuer des demandes spécifiques, en connaissance du modèle des données interrogées. Par ailleurs, Auto SQL n’est pas encore capable de traiter les schémas les plus vastes comprenant de « multiples » tables et namespaces, tout comme il ne reçoit pas encore l’ensemble des noms de colonnes en provenance de BigQuery.
Enfin, Auto Bot peut être considérée comme une version personnalisable d’Auto Answers pour les tableaux de bord embarqués dans des applications ou sur des sites Web tiers.
Le tout serait aisément configurable, selon le directeur avant-vente qui évoque une démonstration montée en quelques minutes pour le besoin d’un rendez-vous client… démonstration finalement menée par le client lui-même à partir d’un accès à la plateforme.
L’IA comme « élément déclencheur » de migrations vers le cloud
Les fonctions de MicroStrategy AI sont exclusivement disponibles dans les environnements cloud. C’est un choix délibéré, selon Emmanuel Brochard.
« Toutes les nouvelles fonctionnalités relatives à l'AI sont disponibles dans l’offre cloud. C’est clairement l’objectif », confirme-t-il. « Nous nous sommes attelés depuis deux ans à accompagner nos clients dans la migration de leurs solutions on-premise vers le cloud. Aujourd’hui, nous avons plus de 50 % de clients qui sont dans le cloud et nous avons beaucoup de projets de migration qui démarrent en 2024 », assure le directeur général international, s’en renseigner de chiffres exacts.
Emmanuel BrochardEVP et directeur général, MicroStrategy
« Et le premier élément déclencheur de migration, aujourd’hui, c’est l’IA », souligne Henri-François Chadeisson. Et à Emmanuel Brochard d’évoquer l’exemple d’un client du secteur automobile qui rechignait à migrer et qui a trouvé dans l’offre IA de MicroStrategy « la bonne raison pour y aller ».
« Nous repositionnons notre proposition de valeur autour des besoins métier et cela crée des demandes fortes qui génèrent derrière des migrations vers le cloud ou des discussions avec de nouveaux prospects. Mon équipe y consacre 80 % de son temps », assure le directeur avant-vente Europe.
C’est en tout cas la stratégie de Phong Le, le CEO de l’éditeur qui, lors de la présentation des résultats du quatrième trimestre fiscal 2023, en février dernier, considérait que « si l’impact de l’IA ne sera peut-être pas extrêmement important en 2024 – il pourrait l’être, mais nous en sommes pas encore certains-ce qui sera important, c’est la manière dont elle pousse nos clients à migrer vers le cloud ». La discussion avec les analystes financiers portait toutefois en grande majorité sur sa gestion d’actifs en cryptomonnaie.
La volonté d’indépendance de MicroStrategy pourrait intimer une adaptation de sa solution aux plateformes d’IA générative de Google Cloud et d’AWS. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. « Pour les services d’IA générative, nous utilisons les API d’Azure OpenAI. Peu importe le cloud choisi par le client, cela fonctionne dans toutes les configurations », avance Henri-François Chadeisson. Cela ne poserait pas de problèmes en matière de confidentialité de données, puisque les interactions seraient limitées « à quelques lignes de données ».
SearchBusinessAnalytics, une publication sœur du MagIT, a évoqué les propos de Doug Henschen, analyste chez Constellation Research. Lui affirme que l’éditeur aurait prévu des intégrations avec Amazon Bedrock et Google Vertex AI, sans que l’information soit officialisée. « Le fait d’avoir le choix, y compris des modèles plus petits, plus ciblés et plus abordables, compléterait les très fortes capacités multicloud de MicroStrategy », incite-t-il.