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Pour SAP, concernant l’IA, attendre n’est pas la bonne stratégie

Philipp Herzig, premier responsable de l’IA chez SAP, présente la nouvelle organisation de l’entreprise axée sur l’IA et souligne les raisons pour lesquelles les entreprises devraient commencer à expérimenter les technologies de l’IA.

SAP s’engage pleinement dans l’IA.

L’éditeur allemand vient de créer une nouvelle unité dédiée au développement et à l’adoption de l’IA dans l’ensemble de son portefeuille d’outils de gestion, et en janvier il a nommé Philipp Herzig, chez SAP depuis 15 ans, au poste de responsable de l’IA de l’entreprise. Le premier. Il rendra compte directement au PDG Christian Klein.

La mission de la nouvelle entité IA : stimuler son développement au sein de l’entreprise, intégrer l’IA dans les applications SAP et guider la mise en œuvre chez les clients. Elle est au cœur de ce que SAP a baptisé la Business AI, qui vise à fournir des résultats spécifiques à l’entreprise ou à l’industrie grâce à Joule, l’assistant d’IA générative proposé par l’éditeur.

Pour nous en dire plus, Philipp Herzig a accepté de répondre aux questions du groupe TechTarget, dont fait partie LeMagIT.

Philipp Herzig, chief AI officer, SAPPhilipp Herzig
Responsable IA, SAP

LeMagit/TechTarget : De manière générale, quelle est la stratégie actuelle de SAP en matière d’IA et d’IA générative ?

Philipp Herzig : Tout d’abord j’aime rappeler que l’IA n’est pas un sujet nouveau pour SAP, je date d’ailleurs la première étape à 2014-15. Au fur et à mesure que nous apprenons de nouvelles choses, que nous sommes confrontés à de nouvelles réalités et que la technologie évolue, nous avons fait pivoter notre stratégie. Dans la nouvelle configuration, elle reste la même, à savoir intégrer l’IA dans nos applications au service des entreprises, qu’il s’agisse des finances, de la chaîne d’approvisionnement ou des ressources humaines.

Il s’agit d’intégrer l’IA dans leurs processus pour aider les clients à faire plus avec moins, mais aussi pour changer l’expérience de l’utilisateur avec Joule, notre propre solution de GenAI. Il y a aussi SAP Business Technology Platform (BTP) qui permet aux clients de construire leurs propres capacités parce qu’ils veulent des versions légèrement différentes de ce que nous avons pensé ou parce qu’ils veulent construire leurs propres approches, hors du produit standard.

LeMagit/TechTarget : Comment est structurée l’organisation de l’IA que vous dirigez au sein de SAP ?

Philipp Herzig : Étant donné qu’il s’agit d’une énorme transformation avec des évolutions rapides, nous devions adopter une perspective à 360 degrés pour examiner la question sous tous ces angles internes (mise sur le marché, enjeux commerciaux et juridiques, marketing, approche services), mais également nous adapter au fur et à mesure que nous adoptions en interne des éléments provenant de SAP ou d’autres fournisseurs. Il existe une équipe dédiée au marketing de l’IA, une équipe dédiée à la mise sur le marché de l’IA, une équipe dédiée à ce que nous appelons la mise en œuvre régionale, afin que les premiers clients puissent adopter rapidement les fonctions de l’IA au fur et à mesure que nous lançons de nouveaux produits.

Nous avons des fonctions de gestion des produits et des partenaires pour l’IA, où nous examinons à la fois notre feuille de route et ce que les partenaires veulent construire, et comment tout cela s’articule. En outre, ce nouveau mandat et cette nouvelle configuration relèvent directement de Christian Klein, notre PDG, et cela nous permet une intégration plus rapide du sujet dans toutes les fonctions et tous les domaines du conseil d’administration de SAP.

LeMagit/TechTarget : Pouvez-vous expliquer le concept de Business AI de SAP ?

Philipp Herzig : Prenons trois exemples. Tout d’abord, il y a l’expérience de l’utilisateur, avec notre assistant d’IA Joule. C’est spécifique, car les utilisateurs sont en mesure de l’exploiter dans tous les domaines de leur entreprise en même temps. Nous n’avons pas créé Joule pour SuccessFactors ou Joule pour S/4HANA public cloud – il s’agit d’un seul et même Joule. Pourquoi est-ce important ? Supposons que vous soyez responsable du recrutement au sein d’une entreprise. Vous travaillez sur des fonctions liées aux ressources humaines dans SuccessFactors et vous utilisez Joule pour effectuer certaines tâches, comme modifier le lieu de travail d’un employé ou ouvrir un poste et diffuser une proposition d’emploi.

Mais une fois cette tâche terminée, il se peut que vous deviez revoir le budget – donc dans un autre contexte d’équipe ou de logiciel – et vous souhaitez pouvoir continuer à travailler sans avoir à changer d’application. Le système financier étant connecté, il peut répondre à cette question financière dans SuccessFactors. Ensuite, si vous voulez aller plus loin, vous pouvez naviguer dans les applications financières et continuer à y travailler. Nous harmonisons les frontières et les points d’intégration entre tous ces systèmes.

Le deuxième exemple porte sur la couche intermédiaire. Grâce au travail d’intégration que nous avons réalisé, nous pouvons servir les clients de bout en bout. Il ne s’agit pas seulement de rendre le commercial plus efficace dans le domaine des ventes ou les responsables du service dans celui de la gestion des services sur le terrain. Il s’agit d’un service de bout en bout – comme de la gestion de carrière du recrutement à la retraite, ou bien le développement de la conception à l’exploitation ou encore la logistique de l’approvisionnement au paiement. Vous pouvez envisager tous ces cas avec la GenAI.

Enfin, il y a la base sous-jacente. Nous l’avons construite pour nous-mêmes, parce que nous bénéficions d’une infrastructure importante, mais nous savons que chaque client en veut une version légèrement différente, comme une description de poste ou une génération d’appel d’offres légèrement différente. C’est là qu’ils peuvent aller sur BTP dans le hub d’IA générative, où ils verront les possibilités d’extension et pourront apporter leurs changements. Ils ne peuvent pas tout changer, pour des raisons de sécurité et à cause de certains vecteurs d’attaque, mais nous leur donnons des accès dédiés qui leur permettent de développer des choses spécifiques à leur entreprise.

De plus, si vous souhaitez créer une application personnalisée avec une fonction qui n’est pas incluse dans l’application standard, comme dans SuccessFactors par exemple, vous pouvez la créer sur BTP parce qu’elle est déjà intégrée. […] Nous avons fait tout ce travail et nous le fournissons aux clients pour qu’ils puissent commencer leurs développements à un niveau d’abstraction plus élevé pour créer des applications d’IA générative beaucoup plus rapidement.

LeMagit/TechTarget : Quelle est la relation entre les progrès des services d’IA et le cloud dans la stratégie de SAP ? Les clients doivent-ils être dans le cloud pour en profiter ?

Philipp Herzig : Nous devons distinguer deux cas. Le premier est celui de l’intégration, c’est-à-dire de l’utilisation en dehors d’un contexte applicatif donné. Dans ce cas, nous avons clairement dit que l’IA et le cloud allaient de pair. Nous avons aujourd’hui 27 000 clients qui utilisent régulièrement l’IA, et la réalité est que moins de 1 % de ces clients sont des clients sur site.

Ainsi, lorsqu’il s’agit d’IA, les clients ont déjà pris leur décision concernant le cloud. Comment cela se fait-il ? Parce qu’il s’avère que c’est difficile à faire sur site. Nous pouvons reproduire dans SAP tout ce que nous faisons en laboratoire, mais si vous arrivez dans un système sur site dont le modèle de données a été modifié ou dont la distribution des données et les colonnes sont différentes, vous vous retrouvez soudain face à un tout nouveau projet. Supposons que l’algorithme d’IA promette des économies d’un million de dollars. Si vous avez d’abord besoin d’un projet qui vous coûte 3 millions de dollars [pour réaliser ces économies], c’est fini.

Nous avons conçu les scénarios intégrés de manière à ce qu’ils soient prêts à l’emploi sous forme de services, car nous pensons que l’adoption ne se fera que si vous pouvez l’activer de cette manière. Si vous pouvez en récolter les bénéfices immédiatement, l’adoption se fera plus facilement.

Cependant, avec BTP et la boîte à outils AI Foundation, nous offrons également aux clients la possibilité de créer des applications personnalisées à partir de leur système existant. Il n’y a aucune restriction technique. Donc, si vous voulez faire un effort supplémentaire parce que vous avez une idée géniale qui peut peut-être vous faire économiser des millions, nous pouvons vous aider. Mais il est très clair qu’il s’agit d’un projet à part entière et non d’une expérience prête à l’emploi sur la couche applicative.

LeMagit/TechTarget : Comment la réglementation, telle que la future Loi européenne sur l’IA, affecte-t-elle la stratégie de SAP en matière d’IA et comment les clients commenceront-ils à utiliser l’IA dans le cadre de leurs activités professionnelles ?

Philipp Herzig : Cela nous ramène à la dimension intégrée de l’IA. Imaginons que vous souhaitiez créer une application à haut risque selon la Loi européenne sur l’IA [AI Act], par exemple pour les ressources humaines. Les entreprises peuvent s’en abstenir parce qu’elles craignent les efforts supplémentaires que cela implique. Mais nous accueillons favorablement la Loi européenne sur l’IA parce que nous travaillons dans ce sens depuis des années.

En 2018, nous avons publié la première version de la politique d’éthique SAP AI, qui a évolué au fil des ans. Cette politique d’éthique en matière d’IA garantit que nous faisons trois choses importantes. Premièrement, nous énonçons nos valeurs. La technologie change tout le temps, mais les valeurs ne devraient pas changer. Ces valeurs comprennent l’absence de préjugés et de langage discriminatoire, ainsi que la supervision humaine lorsque l’homme est le décideur final, et la fourniture des sources pour tout ce que l’IA génère ou recommande.

Deuxièmement, nous prenons ces valeurs et les appliquons depuis le stade des premières idées jusqu’au déploiement, car les préoccupations sont différentes en fonction du moment ; que l’on soit dans la conception ou bien l’exécution.

Troisièmement, la manière dont nous procédons. Nous disposons d’un organe de gouvernance de l’IA complet, et tous les cas d’utilisation que nous avons livrés ou qui figurent sur la feuille de route pour cette année passent par cet organe de gouvernance. Cet organe comprend le responsable de la sécurité, le responsable de la diversité et de l’inclusion, le responsable de la confidentialité des données et le conseiller juridique de SAP. Ils examinent chaque cas d’utilisation et peuvent retirer des idées parce qu’elles ne s’appliquent pas aux valeurs énoncées.

Lorsque la loi européenne sur l’IA a été publiée, la réalité était qu’elle ne changeait rien – nous l’appliquions déjà.

LeMagit/TechTarget : Les effets de l’IA sont-ils de la même ampleur que la révolution de l’Internet ? Et comment les entreprises doivent-elles se préparer à l’avenir ?

« Certaines entreprises n’ont même pas commencé et attendent, mais elles devraient se lancer et faire quelques expériences pour voir ce qui ajoute de la valeur dans tel ou tel département. »
Philipp Herzig Responsable IA, SAP

Philipp Herzig : Oui, l’IA est aussi perturbatrice qu’Internet ou la téléphonie mobile en leur temps, mais l’introduction et l’adoption se sont passées beaucoup plus rapidement. Comment cela se fait-il ? Parce que nous avons le cloud et le mobile à disposition, nous avons toute cette infrastructure. Bien sûr nous avons actuellement une pénurie de GPU, etc., mais c’est un problème temporaire qui disparaîtra un jour.

C’est très rapide, mais les entreprises ne peuvent et ne doivent pas l’ignorer. C’est mon premier conseil. Certaines entreprises n’ont même pas commencé et attendent, mais elles devraient se lancer et faire quelques expériences pour voir ce qui ajoute de la valeur dans tel ou tel département. Bien sûr, d’autres sont plus rapides et le font déjà, mais je ne peux clairement pas recommander aux entreprises qui n’ont pas encore commencé d’attendre, car ce n’est pas la bonne stratégie.

LeMagit/TechTarget : Mais y a-t-il un danger à aller trop vite et à se lancer sans la préparation et les garde-fous adéquats ?

Philipp Herzig : Absolument. C’est pourquoi vous devez également travailler avec un partenaire solide afin de vous préparer et d’utiliser certaines des technologies. Mais il n’y a plus aucune raison, du point de vue de la confidentialité des données ou de la sécurité, de ne pas commencer – ces choses sont en place chez les fournisseurs sérieux.

C’est ce que nous avons fait chez SAP, par exemple. Nous avons maintenant le centre d’IA générative, mais nous avons donné une première version à nos employés, où ils pouvaient utiliser les LLM [grands modèles de langage, N.D.L.R.], qu’ils proviennent d’Anthropic, d’OpenAI, d’Aleph Alpha ou de Llama 2. Plus de 50 000 employés de SAP l’ont utilisé l’année dernière, et nous avons généré plus de 2,5 millions d’invites dans différents domaines [tels que] les services, les ventes [et] le marketing. Nous avons veillé à la sécurisation et à la confidentialité de l’entreprise, et nous en avons tiré des avantages considérables dans le domaine des ventes, etc. Ce niveau de base, qui consiste à choisir une technologie, à commencer à l’utiliser et à apprendre, est donc déjà bien présent en interne.

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