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Chaîne logistique : l’IA, une tendance majeure à bien contrôler
L’IA est en train d’être adoptée pour les chaînes d’approvisionnement des entreprises, mais les organisations doivent se méfier du battage médiatique et évaluer la valeur commerciale et la faisabilité de ces applications.
L’adoption de l’IA est devenue une tendance importante des développements à attendre autour des outils de gestion de la chaîne logistique (supply chain), mais les organisations doivent se méfier des promesses exagérées.
L’IA, y compris l’IA générative (GenAI) sur laquelle nous avons récemment fait le point en matière de logistique, est notamment mise en avant dans un récent rapport de Gartner. Ce rapport annuel sur la supply chain rassemble les recherches de plusieurs analystes de Gartner et vise à fournir des recommandations aux responsables de la chaîne d’approvisionnement pour la planification de la stratégie et de la sélection des bons outils et services.
L’une des principales tendances mises en avant porte sur ce que Gartner – jamais avare de nouveaux concepts – appelle l’IA « composite », qui est définie comme « l’application combinée de plusieurs techniques d’IA » dans le but de résoudre des problèmes ou de conduire à des améliorations de la performance du suivi logistique.
Au-delà de ce paradigme, qui vise à relativiser le poids futur de la seule GenAI, citons, parmi les autres tendances lourdes, les systèmes de vision activés par l’IA, les agents « augmentés et connectés », les achats centrés sur la maintenance des machines, les robots humanoïdes de prochaine génération, les risques liés à la cyberextorsion, la gouvernance des données tout au long de la chaîne d’approvisionnement et enfin la mise en place de chaînes logistiques durables de bout en bout. Autant de cas d’usages qui dépassent de loin la seule IA générative.
Car cela semble bien être l’un des objectifs du rapport : remettre la thématique IA – particulièrement dans le contexte hautement BtoB de la supply chain – dans un contexte bien plus large que la seule IA générative. Pour Dwight Klappich, l’un des VP de Gartner auteurs du rapport, « il est crucial de se rappeler que l’IA n’est pas une chose monolithique, mais bien un portefeuille de techniques d’analyse avancées que les organisations peuvent utiliser pour résoudre des problèmes. »
Et de mettre en garde contre des choix de circonstances : « les entreprises rejettent parfois certaines approches parce que, en matière d’optimisation, nous ne voulons plus parler que d’IA (…) Mais il y a des cas où une approche plus méthodique a encore du sens et où l’optimisation combinatoire traditionnelle est le meilleur mécanisme pour résoudre un problème particulier. Il ne s’agit pas de succomber systématiquement au battage médiatique autour de la GenAI. »
D’autant que pour lui « l’apprentissage automatique derrière la GenAI est une catégorie déjà traditionnelle de l’IA, qui est couramment intégrée dans des applications telles que les prévisions, la planification de la demande et la planification de la gestion des effectifs ».
Certains fournisseurs utilisent déjà des algorithmes d’apprentissage automatique. Les gens qui utilisaient beaucoup de tableurs avec des algorithmes de base sont allés chercher du ML (machine learning) pour les remplacer dès lors que les modèles historiques étaient épuisés.
Pour Dwight Klappich, la GenAI bénéficie, certes, d’un gros battage médiatique, mais ce qu’elle sait faire – créer du contenu à partir de grands modèles de langage – n’est finalement pas encore très utile dans les processus propres à la chaîne d’approvisionnement. Elle est surtout envisagée pour des applications telles que les chatbots intelligents qui peuvent interroger les systèmes logistiques afin de signaler les commandes en retard ou d’autres problèmes.
Construire ou acheter pour l’IA
Plus que de s’interroger sur la GenAI, la question qui se pose désormais aux responsables supply chain est de savoir à quel moment ils veulent se lancer dans l’IA et s’ils doivent créer leurs propres applications ou utiliser des applications infusées à l’IA.
« Il y aura toujours des entreprises qui voudront créer leur propre système », selon Dwight Klappich. « Mais la plupart des entreprises expliquent que lorsqu’elles envisagent d’acheter des applications, elles veulent surtout être certaines que le fournisseur s’appuie sur la technologie la plus récente – donc aujourd’hui l’IA – qui leur offrira la meilleure solution globale. »
L’adoption d’applications basées sur l’IA dans la gestion de la chaîne d’approvisionnement dépend également de la potentialité réelle des applications infusées à l’IA et de leur coût. Par exemple, l’utilisation de camions autonomes dans la gestion des transports est évoquée depuis des années, mais elle n’est pas nécessairement réalisable, en raison de problèmes de sécurité ou de coûts de mise en œuvre élevés. En revanche, les entreprises utilisent déjà des fonctions prédictives pour le calcul des horaires dans la gestion des transports, car ce type d’application est à la fois utile, simple à déployer et particulièrement rentable.
Pour Dwight Klappich, « ce type d’outil utilise l’apprentissage automatique [N.D.R. : Machine learning] basé sur des conditions, pour déterminer si quelque chose qui doit arriver le mardi à midi n’arrivera finalement pas avant le jeudi ». Il s’agit déjà d’IA hautement applicable. D’autres fonctionnalités sont émergentes, mais également réalisables « comme la détection des dommages ou l’inspection visuelle avec des systèmes de vision basés sur l’IA » pour déterminer si le bien dans un lot emballé est intègre ou non.
IA : se méfier de ce qui brille trop
De son côté Simon Ellis, analyste chez IDC, reconnaît également que le niveau d’adoption de l’IA traditionnelle et de l’IA générique est une tendance forte dans le secteur logistique tout en conseillant aux organisations de demeurer réalistes et de ne pas céder devant le battage médiatique autour de ces technologies.
« Je m’inquiète toujours du risque d’être trop séduit par l’objet technologique brillant », explique Simon Ellis, qui constate néanmoins que les organisations s’intéressant à l’IA pour la logistique en sont déjà à planifier sa mise en œuvre. Dès lors, il estime que trois questions fondamentales se posent à elles.
La première concerne les données et la question de savoir si les données internes d’une organisation sont suffisamment complètes et de bonne qualité pour une IA efficace. La deuxième est de savoir si elles doivent envisager l’IA au sens large – et la GenAI en particulier – par le biais de cas d’utilisation intégrés dans les applications traditionnelles de la chaîne d’approvisionnement, ou comme une couche sur laquelle construire des applications. La troisième question est de savoir si les entreprises doivent être des « adoptants précoces » [early adopters] afin de bénéficier de l’avantage du premier arrivé, ou si elles doivent au contraire être des suiveurs rapides ou des seconds de cordée sur les applications innovantes propres à l’IA.
« Il n’y a pas de réponse simple à ces questions, et les approches varieront en fonction des entreprises », explique Simon Ellis.
Selon lui, les cas d’utilisation de l’IA dans la chaîne d’approvisionnement vont se développer très vite, car l’IA sera une tendance qui caractérisera cette année.
« La plupart des premiers cas d’utilisation sont liés à la productivité pour des choses comme le traitement plus efficace des documents ou la meilleure compréhension du flux logistique (…) Il s’agit d’accélérer le temps d’expertise, de rendre les gens plus productifs plus rapidement, ou bien de faire en sorte que l’automatisation et l’IA effectuent les tâches les plus routinières afin d’aider les gens à être plus prolifiques et efficaces » explique Simon Ellis.
« L’une des craintes que suscite l’augmentation rapide des applications basées sur l’IA est que l’IA remplace les personnes qui effectuent le travail », affirme Simon Ellis qui précise cependant que selon lui ces craintes sont très exagérées.
Simon EllisAnalyste, IDC
Il veut bien concéder que « oui, certains emplois seront remplacés par la technologie, mais il y en a beaucoup plus qui sont créés grâce à la technologie (…) Ce n’est peut-être pas toujours le cas, mais dans l’ensemble, il y a plus d’emplois, et non pas moins d’emplois ».
Selon lui, une préoccupation plus immédiate porte sur la capacité des individus à utiliser les applications de l’IA pour en tirer les meilleurs résultats. Une utilisation qui nécessitera des compétences supérieures en matière d’esprit critique, afin de déterminer si les recommandations fournies par l’IA passent le test du bon sens. Par exemple, si une application de prévision basée sur l’IA recommande de produire 10 000 exemplaires d’un produit cette année, alors que l’entreprise n’en a produit que 100 l’année précédente, les résultats devront être examinés avec circonspection.
Pour Simon Ellis les IA ne sont jamais que « des systèmes d’apprentissage, voir des systèmes d’apprentissage étroits. Ils ont un rôle très spécifique et leur qualité dépend des données sur lesquelles ils ont été formés. »