Rachat de VMware par Broadcom : le Cigref appelle l’Europe à l’aide
L’association des grandes entreprises françaises et trois de ses équivalentes en Europe alertent les plus hautes autorités sur les conséquences, qu’elles jugent néfastes, de la stratégie de Broadcom concernant VMware.
Nouveau rebondissement parmi les conséquences du rachat de VMware par Broadcom. Le Cigref, qui incarne le porte-voix des grandes entreprises et administrations françaises sur les sujets du numérique, vient d’envoyer une lettre à la Commission européenne pour la supplier de faire cesser le massacre commercial des clients historiques de VMware. La missive est cosignée par Beltug, CIO Platform et Voice, les équivalents du Cigref en Belgique, aux Pays-Bas et en Allemagne.
« Par ce courrier, nos quatre associations demandent à la Commission européenne de prendre d’urgence les mesures nécessaires pour résoudre ce désordre sur le marché de la virtualisation. De tels comportements nécessitent des interventions politiques […]. La Commission européenne doit protéger les utilisateurs professionnels européens de VMware contre ce type de pratiques abusives […]. Il est indispensable en effet d’empêcher la ponction financière exorbitante, illégitime et stérile que Broadcom s’apprête à commettre au détriment de l’économie européenne », lance ainsi Le Cigref en introduction de sa lettre.
« Nos membres craignent avant tout une forte augmentation des prix qui leur serait imposée par de nouveaux modèles de tarification (par exemple en remplaçant le modèle de licence d’utilisation perpétuelle par un modèle d’abonnement), ou une détérioration des conditions contractuelles, que Broadcom pourrait appliquer en raison de la dépendance de nos membres à l’égard des produits VMware. Cela s’est produit par exemple après le rachat de Symantec par Broadcom », illustre un porte-parole de CIO Platform.
Mettre un « terme » à la stratégie VMware de Broadcom
La raison de ce courroux ? Le changement radical que Broadcom a imposé à la stratégie de VMware. De vendeur au détail de logiciels d’infrastructures pour telle ou telle spécialité (les serveurs virtuels, le stockage, le réseau, la sécurité, le développement, les postes de travail, plus toute une galaxie d’extensions dédiées à une large variété de cas d’usage), l’offre de VMware est devenue un bundle global commercialisé sous la forme d’un abonnement mensuel.
Plus question d’acheter puis de rentabiliser sur la durée. Il faut désormais payer tous les mois. Et même payer beaucoup plus, sauf dans le cas des rares entreprises qui rachetaient régulièrement des licences pour l’intégralité du catalogue de VMware.
Au passage, les produits les moins rentables ont été retirés du catalogue. Les solutions de postes virtuels Horizon et Workspace One – qui servaient autant les fonctions de télétravail pour les salariés que de maquette pour les développeurs – ont été revendues pour 3,8 mds $. La suite de cybersécurité Carbon Black est quant à elle partie rejoindre les outils de Symantec, une autre acquisition de Broadcom, qui a elle aussi basculé dans l’abonnement.
Et plus question, non plus, de se raccrocher aux épaules de revendeurs historiques, qui auraient pu arranger des contrats commerciaux plus favorables : Broadcom a résilié tous les anciens partenariats de VMware.
« Nous voyons aujourd’hui un exemple concret du pouvoir de ces grands fournisseurs et de la manière dont ils l’utilisent. Nous demandons à la Commission d’agir afin de mettre un terme à ce type de comportement contraire à l’éthique. Il est absolument nécessaire de retarder les changements drastiques imposés unilatéralement par Broadcom. L’approche de Broadcom ne doit pas devenir un précédent », implore encore la lettre du Cigref.
Les nouveaux revendeurs de VMware : les grands hébergeurs de cloud privé
Du reste, la stratégie de Broadcom suit une certaine logique, auparavant appliquée à CA (racheté en 2018) : ne plus vendre qu’aux très gros clients et tant pis pour les entreprises qui ne parviennent pas à l’être.
Ici, les « très gros clients » s’entendent au sens de la doctrine européenne qu’avait déjà formulée VMware en 2022. Ce sont des hébergeurs qui pourraient se servir des logiciels de VMware pour bâtir des offres de cloud privé, souverain, des offres alternatives aux clouds publics des hyperscalers américains.
De fait, ces gros clients hébergeurs deviennent les nouveaux vrais revendeurs de technologies VMware à la découpe. En France, OVHcloud s’en félicite dans un communiqué : « Broadcom a décidé de conserver une relation directe uniquement avec 2 000 entreprises partenaires dans le monde. Avec maintenant un seul type de licence et un seul prix pour tous, la nouvelle stratégie de Broadcom privilégie les [fournisseurs d’] infrastructures dans le cloud. Le reste du marché est appelé à interagir au travers de ces partenaires. C’est donc la validation de l’intérêt des offres que nous avons construites pour nos clients depuis 14 ans. »
Et d’enfoncer le clou à propos de la capacité d’un hébergeur à pouvoir modéliser des tarifs selon les technologies utilisées : « Broadcom a sélectionné OVHcloud comme l’un de ses partenaires. Grâce à ce statut, nous avons pu négocier des conditions tarifaires très intéressantes pour nos clients sur les offres VMware on OVHcloud. Nous préparons aussi l’avenir avec les futures offres VCD Standard, VCD NSX et VCD NSX & vSAN qui arrivent en septembre 2024. » Le communiqué promet même – c’est de circonstance – « une stabilité des prix liés à la licence VMware durant les quatre prochaines années. »
Les autres hébergeurs entrent aussi en résistance
Communiqué du CISPECloud Infrastructure Services Providers in Europe
Problème, il y a bien plus que 2 000 hébergeurs de cloud dans le monde. Dans un communiqué paru plus tôt, le CISPE – l’association des hébergeurs de cloud européens qui ne sont pas aussi importants qu’OVHcloud – s’insurge, sur le même ton que celui qu’emploie aujourd’hui le Cigref, de ne pouvoir faire partie des partenaires revendeurs : « Le CISPE appelle les régulateurs, les législateurs et les tribunaux de toute l’Europe à examiner rapidement les actions de Broadcom, qui annule unilatéralement les conditions de licence pour des logiciels de virtualisation essentiels ».
Et d’insister : « Plusieurs membres du CISPE ont déclaré que sans la possibilité d’acquérir des licences et d’utiliser les produits VMware, ils feraient rapidement faillite et se retireraient du marché. Certains déclarent que plus de 75 % de leurs revenus dépendent des technologies de virtualisation logicielle de VMware ! »
Quant au Cigref, il conclut en faisant remarquer que ne plus pouvoir utiliser VMware, à cause de Broadcom, revient à ne plus pouvoir profiter de la sécurité d’un datacenter privé : « Les alternatives pour les entreprises se trouveront dans le cloud public. Cela renforcera encore la position et le pouvoir des hyperscalers, ce qui aura un impact profond sur l’ensemble du marché. Nous sommes convaincus qu’une action ou une communication de la Commission à l’encontre du comportement de Broadcom est nécessaire pour protéger l’avenir numérique de l’Europe. »