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Digital Twins : Capgemini veut reprendre le service professionnel d’Unity

Unity continue de lâcher du lest pour retourner à l’équilibre financier. Cette fois-ci, c’est Capgemini qui annonce son intention de reprendre la branche de services professionnels « Digital Twins » de l’éditeur plus connu dans le monde du jeu vidéo.

Capgemini se prépare à acquérir l’activité de services d’Unity consacrée aux jumeaux numériques. L’ESN espère ainsi rassembler « l’un des plus grands ensembles de développeurs BtoB formés sur Unity dans le monde ».

Pour rappel, Unity Technologies est l’éditeur d’un moteur graphique largement exploité dans le monde du jeu vidéo et dans le développement d’expériences de réalité virtuelle et réalité augmentée. Il est le concurrent d’Epic, l’éditeur de l’Unreal Engine, un autre moteur graphique très répandu.

Plus précisément, si l’opération réussit, l’équipe Digital Twin Professional Services de Unity rejoindra Capgemini à partir du second trimestre 2024. Elle est jusqu’alors rattachée à l’entité Unity Accelerate Solutions et comprend actuellement environ 285 personnes, selon l’ESN française.

Jumeaux numériques : Capgemini a du pain sur la planche

Les deux entreprises avaient déjà annoncé un partenariat mondial en août 2022. Il s’agissait alors « d’aider les organisations à tirer parti des opportunités des expériences immersives et du métavers ». Capgemini et Unity devaient se soutenir l’un l’autre en partageant de bonnes pratiques, en définissant des méthodologies avec Capgemini Labs et en formant des développeurs à la création d’expérience en 3D temps réel.

L’acquisition du service professionnel consacré aux jumeaux numériques 3D devrait permettre à Capgemini de développer des solutions de simulation, des interfaces homme-machine et des formations immersives basées sur Unity dans des domaines ciblés. L’ESN compte proposer des « offres dédiées » dans « les secteurs de l’automobile, des produits de consommation et de la distribution, de l’énergie et des utilities, de l’aéronautique et de la défense, de la santé et des sciences de la vie, et de l’industrie ».

Le service professionnel d’Unity est actif depuis cinq ans. Il a notamment assisté l’agence Vectuel dans le développement d’un jumeau numérique des transports parisiens et des infrastructures des Jeux olympiques 2024 pour la société du Grand Paris. Il travaillait également avec Sitowise, une ESN finlandaise spécialisée dans les villes intelligentes.

Plus largement, le moteur graphique et ses intégrations avec les systèmes d’entreprise (CAO, PLM, ERP, BIM, etc.) convainquent de grands groupes.

BNP Paribas Real Estate s’est appuyée sur Unity pour développer son outil Wired, une cartographie 3D des biens immobiliers dans de grandes villes françaises comme Lyon.

De même, le moteur graphique est largement exploité par les fabricants automobiles, dont Toyota, BMW, Daimler, Honda, Volvo ou encore Volkswagen. Dans l’aéronautique et la défense, Unity a pour client l’US Air Force, Bell et Boeing, entre autres.

Unity se recentre sur son moteur et applique la méthode Red Hat

Autant d’éléments qui motivent les déclarations de la direction d’Unity. Dans sa lettre aux actionnaires de novembre 2023, Jim Whitehurst, à la tête d’Unity par intérim depuis octobre 2023, avait annoncé l’intention du groupe « de se concentrer sur un nombre restreint d’activités de grande taille et plus attrayantes, où [ses] compétences offrent un avantage concurrentiel évident, tel que les jumeaux numériques ».

Or, « Unity atteint un stade de sa croissance auquel les opportunités qui s’offrent à nous sur le marché des entreprises ont dépassé notre capacité à évoluer suffisamment vite pour répondre à la demande des clients », explique-t-il dans un communiqué de presse commun avec Capgemini. « Grâce à son envergure et à l’étendue de ses services – de la conception et de l’ingénierie à la transformation de l’entreprise et à l’expertise en matière de données –, Capgemini est bien placé pour libérer tout le potentiel de la technologie Unity pour les entreprises clientes dans tous les secteurs d’activité avec des cas d’utilisation spécifiques ».

La nomination de l’ancien président de Red Hat (avant et après le rachat par IBM) a lieu dans un contexte de crise économique pour l’éditeur et l’ensemble de l’industrie du jeu vidéo. John Riccitiello, PDG d’Unity depuis 2014, a quitté le groupe entré en bourse en 2020, après avoir orchestré trois opérations de licenciement en 2023. La plus importante vague a eu lieu en mai dernier et concernait 600 personnes, soit 8 % de la masse salariale d’Unity (7 000 personnes en mai 2023). 

Unity poursuit les coupes. À la fin du mois de novembre 2023, il a annoncé le licenciement de 265 salariés rattachés à Wētā Digital, la branche R&D du spécialiste néo-zélandais de la postproduction cinématographique, rachetée pour 1,63 milliard de dollars en décembre 2021. Si Unity conserve la propriété intellectuelle des outils acquis lors du rachat, son précédent propriétaire, Wētā FX, a obtenu le droit d’étendre les IP et a promis d’ouvrir des postes « au plus grand nombre possible de membres de l’équipe » de Wētā Digital. Après avoir déclaré plus de 577 millions de dollars de pertes au troisième trimestre fiscal 2023, en janvier 2024, Unity a indiqué vouloir se séparer de 25 % de sa masse salariale, soit 1 800 emplois.

Lors de la conférence consacrée au résultat du troisième trimestre 2023, Jim Whitehurst affirmait vouloir appliquer une recette proche de celle qu’il a appliquée chez Red Hat, à savoir se concentrer sur le moteur et sur les installations, et donc de stopper un certain nombre « d’expérimentations ». Voilà qui explique le projet de cession de l’activité Digital Twins Professional Services à Capgemini.

Un modèle économique qui passe mal auprès des studios de jeux indépendants

Le départ de John Riccitiello semble avoir été déclenché par les contre-feux du changement de modèle économique annoncé le 12 septembre 2023, qui imposait des frais fixes (Runtime Fee) suivant le nombre d’installations d’un jeu développé avec Unity.  

L’annonce a suscité la confusion et la colère des principaux clients d’Unity, des studios de développement indépendants qui promettaient de ne plus utiliser Unity, voire de retirer les jeux vidéo commercialisés qui auraient pu être concernés par cette « taxe ». Le 22 septembre, Unity s’est excusé et a clarifié son modèle en supprimant les frais d’installation pour l’édition Unity Personal de son moteur. Il a augmenté le plafond des recettes et des financements de 100 000 à 200 000 dollars par an pour les utilisateurs des versions d’Unity Personal disponibles à partir de 2024.

Les gros studios de développement de jeu vidéo qui utiliseront Unity 6 et qui paient les abonnements Pro (1 877 euros par siège par an) et Enterprise devront s’acquitter des frais Unity Runtime Fee à partir d’un million de dollars de revenu annuel et d’un objectif d’un million d’engagements mensuel. Si ces deux seuils sont atteints selon les relevés déclaratifs, ces studios devront 2,5 % des revenus liés à un jeu à Unity ou payer les frais d’installation liée à l’objectif d’engagement préalablement déterminé. Unity promet d’appliquer la « taxe » la plus faible. Cette politique tarifaire est entrée en application le 1ᵉʳ janvier 2024.

 De manière générale et à titre de comparaison, Epic ne fait pas payer directement son moteur, mais réclame 5 % de redevances (royaltie) quand un produit développé avec son moteur génère plus d’un million de dollars de chiffre d’affaires.

Capgemini et ses clients ne sont pas concernés par ces frais. Unity Industry (4 554 euros par siège par an), l’offre consacrée aux développements de solutions professionnelles, n’est pas soumise au Runtime Fee.

Pour approfondir sur SSII, ESN