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Il n’y a pas que l’IA générative dans l’IT en 2024 (Forrester)
Dans ses prévisions 2024, Forrester Research souligne l’importance de travailler, encore et toujours, le socle « data » des entreprises et de réfléchir à la manière d’embarquer l’Intelligence artificielle dans les process. Tout en invitant à se préparer sérieusement à la révolution « Green ».
La fin du monde et la fin du mois. Les organisations et les entreprises (et leurs DSI) sont confrontées, comme les individus, à la double contrainte de gérer au mieux le présent – dont leurs transformations numériques –, tout en prenant soin de devenir durables. C’est en substance l’idée générale qu’a développée Forrester lors de la présentation de ses prévisions 2024 à Paris ce 7 février.
Une perte de confiance dans les organisations
« Sur les 10 plus grands risques identifiés par AXA [dans son rapport “Future Risks Report 2023”], 3 sont directement liés à des problématiques environnementales », souligne Thomas Husson, Vice-Président et Principal Analyst chez Forrester. « Le changement climatique est le premier risque perçu par le grand public ».
Mais dans le même temps, les problématiques IT sont très présentes, avec d’une part la cybersécurité (n° 2 du Top 10 d’AXA), et d’autre part le big data et l’intelligence artificielle – en particulier l’IA générative qui propulse les deepfakes et la désinformation dans une nouvelle ère –, au moment même où la moitié de la population mondiale est appelée à voter en 2024.
Thomas HussonVice President, principal analyst, Forrester Research
Dans le domaine du développement, l’IA produit du « code pas toujours sécurisé, loin de là. On s’attend donc à ce qu’en 2024, il y ait au moins trois cyberattaques liées [à des failles dans] du code produit par des IA génératives » que Forrester appelle des « Turing Bots ».
Idem d’un point de vue réglementaire, sur les données – notamment les données clients – qui sont ingérées en entrée des LLM. « Nous allons voir une multiplication des amendes liées au RGPD », entrevoit Thomas Husson qui évoque « un doublement des procédures liées aux contenus produits par l’IA ».
Conséquence directe, Forrester anticipe une perte de 10 points de la confiance dans les entreprises. « C’est colossal », commente son VP. « Ce chiffre varie d’un pays ou d’une industrie à l’autre, mais l’enjeu [commun], c’est de reconstruire cette confiance ».
Le machine learning bouge encore
Dans ce contexte, qui plus est instable avec les incertitudes géopolitiques et économiques, comment naviguer ?
En prenant des risques, maîtrisés, « pour se frayer de nouveaux chemins », répond Forrester. C’est ce que permettrait, dans son côté positif, l’IA générative « qui est, selon nous, une rupture technologique aussi, voire plus importante qu’Internet », souligne Thomas Husson.
Mais il invite aussi à ne pas oublier les autres formes d’IA, aux potentiels de transformation intacts. « On a parfois l’impression qu’avant ChatGPT, il n’y avait rien. [Mais] les LLMs sont des sous-domaines du deep learning et du machine learning qui continuent à évoluer […] il y a toujours des améliorations sur des modèles algorithmiques prédictifs classiques ».
Thomas HussonVice President, principal analyst, Forrester Research
L’expert voit aussi poindre des modèles plus verticalisés et spécialisés, les Small Language Models.
Résultat, pour Forrester, les investissements dans les plateformes d’IA devraient tripler en 2024 et une entreprise sur huit devrait se doter d’un poste de Chief AI Officer.
Reste que l’IA est un « catalyseur ». Pour générer de la valeur, elle doit pouvoir s’appuyer sur un socle solide. « Pas de data, pas d’IA », résume Thomas Husson, « cela paraît évident, mais on a trop tendance à l’oublier […] il faut désiloter [les sources], la collecter [la data], la raffiner. On sait que c’est compliqué ». Sous-entendu : mais il faut continuer à faire du data management.
L’IA au sens large, un catalyseur davantage concurrentiel si…
L’expert invite également à réfléchir à la manière d’embarquer l’IA dans les process et dans les métiers (formations, etc.), le tout avec une gouvernance pertinente. Car quoi qu’il arrive, les collaborateurs utiliseront ces outils, quitte à ce que ce soit en shadow IT, ou dans un mode « Bring your own AI ».
Tester, diffuser, piloter l’IA. « Tout cela suppose une transformation de l’entreprise. [Mais] c’est ça qui donnera un avantage concurrentiel », tranche le VP.
Thomas HussonVP, principal analyst, Forrester Research
Et le bénéfice peut être massif. « Michelin par exemple a identifié plus de 500 millions d’euros d’opportunités liées à l’IA », illustre-t-il.
L’amélioration de la productivité est le principal bénéfice interne identifié, mais Forrester estime que 2024 sera aussi l’année de l’IA tournée « vers l’extérieur ».
« En 2024, un grand groupe sur deux expérimentera une IA à destination du consommateur final pour améliorer l’expérience client. On le voit déjà avec des exemples comme CDiscount, qui a sorti un chatbot qui ne s’appuie pas sur du NLU classique ou sur un arbre de décision, avec un taux de satisfaction trois fois supérieur ».
Les marques vont devenir conversationnelles, résume Thomas Husson, dans une tendance longue où elles se numérisent. « Fin 2024, en France, 15 % des ventes Retails se feront sur des canaux digitaux », chiffre Forrester.
L’IA va donc s’immiscer un peu partout. Mais il reste une question centrale : « la confiance », insiste Thomas Husson.
Pour la créer, ou la re-créer, « il faut investir dans ce que nous appelons le “Quotient Robotique” par analogie au QI ou au quotient émotionnel ». En clair, rendre l’IA transparente, auditable, explicable. Mais aussi s’acculturer, la tester. Et (surtout ?) rassurer les équipes qui n’ont souvent rien contre le fait d’être augmentées (au sens technologique du mot) par l’IA, mais qui redoutent d’être remplacées par elle. Et licenciées.
« L’IA va impacter 4,5 fois plus d’emplois qu’elle ne va en détruire », tempère Thomas Husson, ce qui implique tout de même que « nous allons tous devoir apprendre à travailler avec ».
Une révolution industrielle Green inévitable
Voilà pour la fin du mois. Et pour la fin du monde ? Le consommateur éco-engagé ne règne pas en maître. Aujourd’hui, c’est plus la recherche du meilleur prix et des facilités de paiement qui prime, concède Thomas Husson. « Mais ce sont les entreprises qui pivotent leurs modèles économiques et qui repensent leurs chaînes de valeur afin de livrer plus de valeurs environnementales, pour le même prix, qui seront les grandes gagnantes de demain », anticipe-t-il.
« C’est compliqué à faire. Il y a peu de grandes entreprises matures là-dessus », constate-t-il. Mais c’est possible, avance-t-il, optimiste. « Par exemple l’industriel Nexans a fait une très belle évolution en intégrant davantage la circularité dans son modèle économique ».
Mener cette seconde transformation n’est pas qu’une question éthique de responsabilité sociétale de l’entreprise, ou une question juste réglementaire, insiste-t-il (en estimant d’ailleurs au passage, qu’à peine 20 % des entreprises concernées par la CSRD seront prêtes d’ici 2025).
« C’est aussi un formidable outil, certes complexe, pour repenser la stratégie et se préparer à l’évolution des modèles économiques. Ce sont aussi des opportunités énormes de disruption autour des Green Tech et des Climate Tech », s’enthousiasme-t-il. « Cette révolution, à notre avis, est une révolution analogue à celles des révolutions industrielles des siècles passés ». S’y préparer est donc inéluctable pour Forrester Research.