SAP sommé de clarifier sa position sur l’innovation et le cloud
SAP laisse entendre que seuls ses clients cloud ayant souscrit à Rise bénéficieront des prochaines innovations de S/4. À commencer par l’IA et l’IA générative. Les groupes utilisateurs grognent. Les experts invitent SAP – focalisé sur le cloud – à ne pas couper ses clients de l’innovation. Les écoutera-t-il ? Réponse en 2024.
L’IA générative (et plus largement l’innovation) et les efforts continus pour migrer – certains diront « pousser » – ses clients vers le cloud domineront encore l’agenda de SAP en 2024.
Ces deux problématiques sont d’ailleurs liées l’une à l’autre depuis l’été dernier, suscitant au passage la colère d’une partie de la base de clients « sur site » – encore très importante. SAP a en effet annoncé que désormais certaines avancées, comme la GenAI ou celles pour gérer la durabilité dans l’ERP, ne seraient disponibles que pour les clients ayant migré vers S/4HANA Cloud et dans le cadre du programme Rise with SAP.
En 2023, le DSAG, le groupe d’utilisateurs germanophones de SAP, et le UKISUG, son alter ego au Royaume-Uni et en Irlande, ont exprimé leur mécontentement à l’égard de cette stratégie. Reste que, selon plusieurs observateurs du secteur, le passage au cloud s’avère souvent nécessaire pour tirer pleinement parti de technologies comme l’Intelligence artificielle, même si les cas d’usage de la GenAI dans l’ERP ne sont pas encore bien identifiés ni réellement matures dans le catalogue de SAP.
Nouvelle année, vieux problèmes
En substance, la nouvelle année de SAP commence avec les vieux problèmes des années précédentes, estime Joshua Greenbaum, directeur chez Enterprise Applications Consulting. La grande question est de savoir comment et quand les clients passeront au cloud – principalement à S/4HANA Cloud. Ces sujets sont compliqués et n’ont pas de réponses rapides ou simples, ajoute-t-il.
Il ne serait par ailleurs pas mauvais que les clients et les partenaires prennent leurs temps et soient prudents, considère Joshua Greenbaum. D’après son expérience, de nombreuses entreprises qui se sont lancées tête baissée ont ensuite dû revoir leurs implémentations de S/4HANA Cloud. Beaucoup de clients prévoient certes de passer à S/4HANA Cloud, ajoute-t-il, mais ils essaient de le faire aujourd’hui selon leurs propres conditions.
« Les clients veulent une véritable mise à niveau qui modernise les processus de l’entreprise et pas une simple une mise à niveau technique, c’est un changement important », constate-t-il.
SAP a bien tenté de rendre le passage à S/4 en mode cloud moins compliqué grâce au programme Rise, lancé en 2021. Mais présenté à l’origine comme un simplificateur, où les clients n’ont plus qu’un seul interlocuteur (SAP), Rise a évolué et semble devenir un passage obligé – la seule voie possible – pour bénéficier de toute la valeur à venir de S/4.
Rise ne convient pas à tous les clients
Tous les clients ne sont cependant pas séduits par Rise. Et les contrats Rise ne sont pas toujours très clairs, souligne doublement Liz Herbert, analyste chez Forrester. Gérer un début de fronde de certains clients risque d’être un vrai sujet pour SAP en 2024.
« Dans l’ensemble, les clients se demandent, à juste titre, si ce que SAP propose avec Rise correspond bien à leurs besoins », résume Liz Herbert. « Ils ont par ailleurs des indices qui montrent que SAP a peut-être survendu [les fonctionnalités après] le passage à S/4HANA ».
Il est peu probable que SAP modifie sa stratégie « cloud first », voire « Rise only » pour les innovations. L’éditeur continuera, a priori, à ne proposer ses nouveautés majeures qu’à ses clients S/4HANA Cloud, entrevoit-elle. D’autant plus que le marché des logiciels ERP évolue vers le SaaS.
« SAP se trouve dans une situation difficile, car ils n’ont probablement pas intérêt à revenir en arrière », synthétise Liz Herbert. « Mais ils ont tout aussi intérêt à réfléchir aux premiers clients qui ont fait le pari de S/4 [N.D.R. : sur site et/ou hors Rise] et à la maturité de leurs produits [cloud] ».
Autre grief, pour Vinnie Mirchandani, fondateur de Deal Architect, l’échéance fixée par SAP pour la fin du support d’ECC devient une inquiétude pour les clients. L’éditeur aurait au contraire intérêt à les rassurer et à les accompagner – en trouvant des solutions pour accélérer ce processus – plutôt que de leur mettre la pression. « SAP doit encourager une plus grande automatisation dans la migration vers S/4HANA », invite-t-il. « Les migrations, qui sont de très gros chantiers, dépendent encore trop des intégrateurs ».
En revanche, pour lui, le début de controverse autour des nouveautés réservées aux clients cloud n’aurait pas lieu d’être. « Le monde de l’entreprise évolue vers le cloud depuis maintenant trois décennies et, contrairement à une idée reçue dans le secteur, SAP a joué un rôle majeur dans cette transition », écrit-il.
Si SAP est capable de justifier tout surcoût lié à de nouvelles fonctionnalités en montrant la valeur ajoutée qu’elles apportent, Vinnie Mirchandani ne s’attend pas à une réaction négative des clients – contrairement à celle qu’a dû gérer SAP en 2008 lorsqu’il avait augmenté sa maintenance en pleine récession.
Privilégier l’innovation plutôt que les contrats Rise
Conséquence de ce contexte, la question se pose de savoir si SAP sera perçu comme un partenaire de transformation (digital et métier), renchérit Jon Reed, cofondateur de la société d’analyse IT Diginomica.
SAP doit mieux expliquer les raisons techniques pour lesquelles les clients devraient passer par Rise pour accéder à l’IA et d’autres fonctionnalités innovantes, estime-t-il.
Certaines raisons sont valables pour justifier le recours au cloud, comme le suivi des crédits d’IA, continue-t-il. Mais les clients demandent à être en mesure d’accéder à certaines de ces fonctionnalités sans passer immédiatement au cloud, avertit Jon Reed.
« Jusqu’à présent, SAP n’a cessé de parler de Rise pour l’IA, et de Rise pour d’autres fonctions », a-t-il déclaré. « Mais même si le ROI de Rise a l’air positif pour certains clients, SAP doit faire attention à ne pas dresser de barrières entre les autres et l’innovation à venir ».
Joshua Greenbaum AnalystEnterprise Applications Consulting
Joshua Greenbaum souligne lui aussi que SAP devra rapidement dissiper la confusion autour des fonctionnalités « cloud-only » et « Rise-only », un sujet qui domine aujourd’hui les conversations.
« Les clients se demandent s’ils ont vraiment besoin d’un contrat Rise [pour certaines fonctions] et s’ils seront en mesure de faire certaines choses s’ils n’ont pas Rise. SAP rend une tâche complexe encore plus complexe en embrouillant le marché avec ses conditions générales d’utilisation, aussi bien pour la technologie que pour les produits. C’est regrettable ».
Les discussions portent trop souvent sur les conditions contractuelles, ce qui n’a rien à voir avec les discussions sur l’orientation technologique et la résolution des problèmes métier, continue Joshua Greenbaum.
« Ils devraient évacuer ce sujet pour se concentrer sur ce qui est plus pertinent pour le succès de ses clients », avertit l’expert, « car il existe toutes sortes de domaines dans lesquels on peut innover sans Rise. Ce qui s’avère être aussi une très bonne option ».